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Tribunal administratif de la Polynésie française
Lecture du 19/09/2017
Décision n° 1600355

Solution : Rejet

Décision du Tribunal administratif n° 1600355 du 19 septembre 2017

Tribunal administratif de Polynésie française


Vu la procédure suivante :
Par une requête, des mémoires et des pièces, enregistrés les 11 juillet 2016, 28 décembre 2016, 14 mars 2017, 20 mars 2017 et 24 avril 2017, M. Bernard J., représenté par Me Ceran-Jerusalemy, avocat, demande au tribunal : 1°) de condamner la commune de Faa’a à verser la somme totale de 68 743 600 F CFP en réparation du préjudice subi par les ayants droit de Mme Teura S., du fait de l’occupation irrégulière de leur parcelle par la commune par l’installation d’une décharge municipale ; 2°) de mettre à la charge de la commune de Faa’a une somme de 336 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la commune occupe depuis plus de 30 ans la terre Mumuvai et a installé un dépotoir ;
- la commune ne met pas en œuvre la procédure d’expropriation annoncée et commet une faute ;
- il en résulte une occupation illégale de cette terre et un préjudice fondé sur la valeur de vente de la terre, les loyers perdus et des dommages et intérêts.
Par mémoires en défense enregistrés les 29 octobre 2016 et 5 avril 2017, la commune de Faa’a conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 150 000 F CFP soit mise à la charge de M. J. au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le tribunal est incompétent s’agissant d’un litige relatif à une procédure d’expropriation ou de voie de fait ;
- la requête est irrecevable pour défaut de demande préalable ;
- sur le fond les requérants ne sont devenus propriétaires qu’à compter de la publication du jugement du 9 juillet 2003, soit le 24 novembre 2014 et ne peuvent revendiquer un droit de propriété antérieurement ;
- M. J. n’a pas intérêt à agir car il ne prouve pas sa qualité d’indivisaire et même s’il prouvait sa qualité d’indivisaire, il ne démontre pas avoir la qualité pour procéder à une vente ou une location sans l’accord des autres indivisaires de sorte qu’aucune indemnité ne peut lui être attribuée ;
- la faute de la commune est exonérée par la faute du haut- commissaire de la République en Polynésie française ;
- la prescription quadriennale doit être appliquée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- le code de procédure civile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 5 septembre 2017 :
- le rapport de Mme Zuccarello, première conseillère ;
- les conclusions de M. Retterer, rapporteur public ;
- et les observations de Me Ceran-Jerusalemy, représentant M. J..
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Faa’a occupe depuis de nombreuses années des parcelles situées dans le quartier Saint-Hilaire, sur la terre dite « Mumuvai », aux fins de décharge par enfouissement des déchets ménagers et assimilés. Un jugement du tribunal civil de première instance de Papeete du 9 juillet 2003 a décidé du partage notamment de la terre dite « Mumuvai » entre les consorts Salmon et les consorts M., et a accordé aux héritiers de Taurua a M. le lot n°9, d’une superficie de 26 437 m², soit la parcelle cadastrée R n°1004. M. J. arrière- petit- fils de Mme Taurua a M., demande au tribunal de condamner la commune de Faa’a à l’indemniser, ainsi que ses frères et sœurs, du fait de l’occupation illégale de la terre en cause par l’ouvrage public que constitue la décharge.
Sur la compétence de la juridiction administrative :
2. Sauf dispositions législatives contraires, la responsabilité qui peut incomber à l’Etat ou aux autres personnes morales de droit public en raison des dommages imputés à leurs services publics administratifs est soumise à un régime de droit public et relève en conséquence de la juridiction administrative. Cette compétence, qui découle du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires posé par l’article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et par le décret du 16 fructidor an III, ne vaut toutefois que sous réserve des matières dévolues à l’autorité judiciaire par des règles ou principes de valeur constitutionnelle. Dans le cas d’une décision administrative ou d’un comportement portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif est compétent pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l’extinction du droit de propriété. 3. Il est constant que la commune de Faa’a occupe sans droit ni titre le lot n°9, terre « Mumuvai », dont la propriété a été attribuée aux héritiers de Mme Taurua a M. par jugement du 9 juillet 2003 du tribunal de première instance de Papeete. Si l’occupation de cette parcelle par la commune de Faa’a a porté atteinte au libre exercice du droit de propriété des héritiers sur ce bien, elle n’a pas eu pour effet de les en déposséder définitivement. Il résulte de ce qui précède que le tribunal administratif est compétent pour statuer sur les conclusions tendant à l’indemnisation des conséquences dommageables de cette occupation irrégulière.
Sur les fins de non recevoir opposées par la commune de Faa’a : 4. Aux termes de l’article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction en vigueur à la date d’enregistrement de la requête : « Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ».
5. En premier lieu, en vertu des dispositions précitées du code de justice administrative, les conclusions de M. J. tendant à ce que la commune de Faa’a soit condamnée à l’indemniser des préjudices résultant pour lui de l’emprise irrégulière sur la parcelle R. 1004, sont recevables même en l’absence de demande préalable d’indemnité adressée à la commune. 6. En second lieu, il ressort clairement des pièces du dossier que M. J. est le fils de Mme Teura Jeanne S., laquelle était la fille adoptive de Mme Tetuarae Céline a M.V., laquelle enfin était la fille de Mme Taurua a M.. Le lien de parenté étant suffisamment établi avec Mme Taurua a M., dont il est l’arrière petit-fils, M. J. justifie d’un intérêt à agir dans la présente instance en sa qualité d’héritier de sa mère Mme Teura Jeanne S., ou celle-ci étant prédécédée, de Mme Tetuarae Céline a M.V., sa grand mère. 7. En troisième lieu, eu égard à l’effet relatif de la publicité foncière qui ne constitue qu’un mode d’information des tiers concernant le changement de titulaire du droit de propriété mais qui n’a pas d’incidence sur ce droit de propriété, la commune de Faa’a n’est pas fondée à soutenir que M. J. ne pourrait se voir reconnaitre la qualité de propriétaire indivis ayant un intérêt à agir dans la présente instance, qu’à compter de la date de transcription, au bureau des hypothèques ,du jugement du 9 juillet 2003 du tribunal de première instance de Papeete.
8. Il résulte de ce qui précède que les fins de non recevoir opposées par la commune de Faa’a doivent être rejetées et que la requête de M. J. est ainsi recevable.
Sur la responsabilité de la commune : 9. Il ne résulte pas de l’instruction que les héritiers de Mme Taurua a M. auraient donné leur accord pour l’occupation par la commune de Faa’a de la parcelle en cause par l’installation d’un ouvrage public consistant en une décharge. Aucun autre élément du dossier ne permet d’établir l’existence d’un droit ou d’un titre détenu par la commune de Faa’a sur le lot n°9 de la terre Mumuvai. M. J. est, dès lors, fondé à soutenir que l’ouvrage public est irrégulièrement implanté sur un terrain dont il est propriétaire indivis et que cet ouvrage est à l’origine d’une emprise irrégulière.
10. La commune de Faa’a soutient que sa responsabilité doit être exonérée du fait de l’inertie dont aurait fait preuve le haut-commissaire de la République en Polynésie française dans la mise en œuvre de la procédure d’expropriation qu’elle a initiée dès 2004 et qui n’a pas abouti à ce jour. Cependant, et à supposer même que les services de l’Etat n’aient pas fait preuve de célérité dans le traitement du dossier d’expropriation déposé par la commune de Faa’a, cette circonstance est sans lien avec l’entière responsabilité de la commune dans l’emprise irrégulière ci-dessus constatée.
11. Il résulte de ce qui précède que la commune de Faa’a doit être déclarée entièrement responsable des dommages causés par l’emprise irrégulière qu’elle commet sur la parcelle cadastrée R 1004 en cause.
Sur les préjudices :
12. En l’absence d’extinction du droit de propriété, la réparation des conséquences dommageables résultant de la décision d’édifier un ouvrage public sur une parcelle appartenant à une personne privée ne saurait donner lieu à une indemnité correspondant à la valeur vénale de la parcelle, mais uniquement à une indemnité moindre d’immobilisation réparant le préjudice résultant de l’occupation irrégulière de cette parcelle. En conséquence, en l’absence d’extinction du droit de propriété, le préjudice invoqué par M. J. correspondant à la valeur vénale du terrain, ne peut pas être indemnisé. En revanche, M. J. ainsi que ses frères et sœurs qu’il représente en vertu de mandats produits au dossier, peuvent prétendre à une indemnité d’immobilisation ou de location de la parcelle en cause que M. J. estime, sans être utilement contredit, à 10 % de la valeur vénale du terrain.
13. Cependant les éléments du dossier ne permettent pas de déterminer la quotité de la parcelle de 26 437 m² revenant à la succession de Mme Teura Jeanne S., ou celle-ci étant prédécédée à sa mère, à la succession de Mme Tetuarae Céline a M.. Or il n'appartient qu'à l'autorité judiciaire de trancher les questions relatives au droit de propriété. Eu égard au caractère sérieux de la question soulevée, il y a lieu pour le tribunal, en application de l’article R. 771-2 du code de justice administrative, de surseoir à statuer sur les conclusions de la requête de M. J. tendant à l’indemnisation du préjudice de jouissance subi, jusqu'à ce que la juridiction de l’ordre judiciaire compétente se soit prononcée sur la question préjudicielle de la quotité de propriété qui doit être attribuée à la branche de Mme Teura Jeanne S., ou celle-ci étant prédécédée, à sa mère à la branche de Mme Tetuarae Céline a M., dans le sous-partage du lot n°9 d’une superficie de 26 437 m² de la terre Mumuvai sur la commune de Faa’a.
En ce qui concerne l’exception de prescription quadriennale : 14. Aux termes du premier alinéa de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics : « Sont prescrites, au profit de l'État, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ».
15. Lorsque la responsabilité d’une personne publique est recherchée au titre d’un dommage causé à un tiers par un ouvrage public, les droits de créance invoqués par ce tiers en vue d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens de ces dispositions, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. Il en va différemment lorsque la créance indemnitaire alléguée est relative à la réparation d’un préjudice présentant un caractère continu qui doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. En conséquence, le préjudice résultant de la privation de jouissance ou d’immobilisation du terrain en cause est continu et se rattache à chacune des années durant lesquelles il est subi par les propriétaires. Il ressort des pièces du dossier qu’un courrier du 20 juin 2015, adressé par M. J. à la commune de Faa’a, par lequel il sollicitait l’indemnisation de son préjudice, a interrompu le court de la prescription quadriennale à cette date. En conséquence les créances nées antérieurement à l’année 2011 sont prescrites et ne peuvent donner lieu à indemnisation. 16. Il résulte de ce qui précède que la commune de Faa’a doit être regardée comme responsable du dommage subi par M. J. ainsi que par ses frères et sœurs, lesquels peuvent prétendre à une indemnisation de la privation de jouissance ou d’immobilisation à compter de l’année 2011. Il est sursis à statuer sur les conclusions indemnitaires résultant de la privation de jouissance du bien immobilier dans l’attente de la réponse du juge judiciaire à la question préjudicielle énoncée au point 13.
DECIDE :
Article 1 : Les conclusions de la requête de M. J., aux fins d’indemnisation du préjudice lié à la valeur vénale du lot n°9 de la terre Mumuvai, situé sur la commune de Faa’a, sont rejetées.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur le surplus des conclusions de la requête de M. J. jusqu’à ce que l’autorité judiciaire se soit prononcée sur la quotité de propriété revenant à M. J. ainsi qu’à ses frères et sœurs sur le lot n°9 de la terre Mumuvai.
Article 3 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n’est pas statué par le présent jugement sont réservés jusqu’à la fin de l’instance.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. J., à la commune de Faa’a et à la présidente du tribunal de première instance de Papeete.
Délibéré après l'audience du 5 septembre 2017, à laquelle siégeaient : M. Tallec, président, Mme Meyer, première conseillère, Mme Zuccarello, première conseillère.
Lu en audience publique le 19 septembre 2017.
La greffière,
D. Germain
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition Un greffier,
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