Tribunal administratif de la Polynésie française Lecture du 09/01/2018 Décision n° 1700253 | Décision du Tribunal administratif n° 1700253 du 09 janvier 2018 Tribunal administratif de Polynésie française Vu les procédures suivantes : I°) Par une requête enregistrée le 30 juin 2017 sous le n° 1700253 et un mémoire enregistré le 26 octobre 2017, présentés par Me Reynaud, avocate, la société à responsabilité limitée (SARL) Temana Import demande au tribunal : 1°) d’annuler le marché conclu par la commune de Rurutu suivant l’appel d’offres ouvert publié les 28, 29 et 30 novembre 2016 pour la fourniture d’un camion-citerne de feux de forêts ; 2°) de condamner la commune de Rurutu à lui verser une indemnité de 3 087 701 F CFP en réparation de son manque à gagner ; 3°) de mettre à la charge de la commune de Rurutu une somme de 450 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : En ce qui concerne la demande d’annulation du marché : - elle a obtenu la note de 10 sur 20 au critère de la valeur technique alors que son offre respectait toutes les conditions énoncées par le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) ; le camion Rosenbauer satisfaisait à toutes les normes NF en vigueur, et le sous- critère de la norme NF 377 relative au mode de certification des véhicules n’a pas été porté à la connaissance des candidats ; ainsi, le principe d’égalité de traitement des candidats n’a pas été respecté ; - eu égard à son imprécision, le critère de garantie du service après- vente caractérise un manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence ; en tout état de cause, elle ne pouvait obtenir la note de 0 dès lors qu’elle a indiqué que le constructeur de l’engin s’engage à fournir les pièces détachées indispensables à son utilisation durant 10 ans et qu’en sa qualité de représentante de Rosenbauer en Polynésie française, elle dispose nécessairement de ces pièces ; - le rejet de son offre lui a été notifié après la signature du marché, en méconnaissance du principe d’égalité de traitement entre les candidats ; En ce qui concerne la demande indemnitaire : - elle avait des chances sérieuses d’obtenir le marché ; son manque à gagner s’élève à la marge qu’elle aurait réalisée, soit 3 087 701 F CFP. Par des mémoires en défense enregistrés les 26 septembre et 7 décembre 2017, présentés par la SELARL Groupavocats, la commune de Rurutu conclut au rejet de la requête et demande au tribunal de mettre à la charge de la SARL Temana Import une somme de 250 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - la valeur technique de l’offre de la SARL Temana Import était inférieure à celle de la société FEPI car le véhicule et les équipements Rosenbauer ne disposent pas de la certification NF 377 applicable aux matériels de sapeurs-pompiers ; en outre, la puissance du véhicule était inférieure de 20 CV à celle du véhicule retenu ; - la SARL Temana Import n’a produit aucun document relatif à la garantie de service après-vente ; A titre subsidiaire : - l’annulation du marché entraînerait pour la commune des conséquences manifestement excessives telle que l’absence prolongée de véhicule de secours disponible, ce qui n’est pas acceptable au regard des obligations de sécurité qui lui incombent ; - la SARL Temana Import ne démontre ni qu’elle aurait eu des chances sérieuses de remporter le marché, ni que son manque à gagner s’élèverait à 3 087 701 F CFP. Par des mémoires enregistrés les 29 septembre et 7 décembre 2017, présentés par la SELARL MLDC, société d’avocats, la société Formation Etudes Protection Incendie (FEPI) conclut au rejet de la requête et demande au tribunal de mettre à la charge de la SARL Temana Import une somme de 250 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - le véhicule proposé par la SARL Temana Import n’a pas fait l’objet de la certification NF 377 « matériels sapeurs-pompiers », en méconnaissance de l’article 2 du CCTP, de sorte que la note de 10 / 20 n’était pas insuffisante ; - la SARL Temana Import n’indique pas en quoi le critère du service après-vente, auquel elle a répondu, serait imprécis ; la note de 0 / 20 était justifiée en l’absence de stock de pièces détachées et de main d’œuvre spécialisée permettant d’intervenir dans ce domaine technique particulier ; - le dépassement du délai d’information du rejet d’une offre n’est pas de nature à justifier l’annulation du marché ; - l’annulation du marché aurait des conséquences désastreuses en termes de sécurité publique du fait du report de l’acquisition d’un véhicule de lutte contre l’incendie pas la commune de Rurutu. II°) Par une requête enregistrée le 19 juillet 2017 sous le n° 1700270 et un mémoire enregistré le 16 octobre 2017, présentés par la SELARL Manavocat, la société anonyme (SA) Argos Polynésie demande au tribunal : 1°) d’annuler le marché passé par la commune de Rurutu pour la fourniture d’un camion-citerne de feux de forêts, suivant l’appel d’offres ouvert publié les 28, 29 et 30 novembre 2016 ; 2°) de mettre à la charge de la commune de Rurutu une somme de 400 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - la lettre du 31 mai 2017 l’informant du rejet de son offre est insuffisamment motivée ; - les critères de notation n’étaient pas pondérés, en méconnaissance des dispositions du 7° de l’article 20 du code des marchés publics local ; - le critère du délai de garantie se confond nécessairement avec celui du délai de livraison mentionné à l’article 25 du code des marchés publics local, ce qui caractérise un ajout à la loi et une redondance ; - le critère du délai de livraison ne peut peser le même poids que celui du prix dès lors que l’offre la plus intéressante économiquement doit être recherchée ; - la seule explication plausible à l’absence de motivation du rejet de son offre est que la procédure de passation du marché a été viciée ; - elle avait des chances sérieuses d’obtenir le marché car elle aurait dû obtenir la note de 20 et non de 0 sur le délai de garantie ; la commission aurait dû lui demander un complément d’information sur les différents délais de garantie. Par des mémoires en défense enregistrés les 26 septembre et 7 décembre 2017, présentés par la SELARL Groupavocats, la commune de Rurutu conclut au rejet de la requête et demande au tribunal de mettre à la charge de la SA Argos Polynésie une somme de 250 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - dès lors que les dispositions invoquées par la SA Argos Polynésie sont inapplicables aux marchés publics des communes de Polynésie française, ses demandes sont irrecevables car mal fondées ; - à titre subsidiaire, l’annulation du marché entraînerait pour la commune des conséquences manifestement excessives telle que l’absence prolongée de véhicule de secours disponible, ce qui n’est pas acceptable au regard des obligations de sécurité qui lui incombent. Par un mémoire enregistré le 7 décembre 2017, présenté par la SELARL MLDC, société d’avocats, la société FEPI conclut au rejet de la requête et demande au tribunal de mettre à la charge de la SA Argos Polynésie une somme de 250 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - le code des marchés publics de la Polynésie française n’est pas applicable aux marchés des communes de Polynésie française ; - la SA Argos Polynésie a omis d’indiquer ses délais de garantie alors que ce critère de notation était prévu à l’article 5 du RPAO ; - l’annulation du marché aurait des conséquences désastreuses en termes de sécurité publique du fait du report de l’acquisition d’un véhicule de lutte contre l’incendie pas la commune de Rurutu. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ; - le code des marchés publics applicable aux communes de Polynésie française ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus au cours de l’audience publique : - le rapport de Mme Meyer, rapporteure, - les conclusions de M. Retterer, rapporteur public, - et les observations de Me Me Roy représentant la SARL Temana Import, de Me Chapoulie représentant la SA Argos Polynésie, de Me Jourdaine représentant la commune de Rurutu et de Me Varrod représentant la société FEPI. Dans l’affaire n° 1700253, des notes en délibéré présentées pour la commune de Rurutu et pour la société FEPI ont été enregistrées le 14 décembre 2017. Dans l’affaire n° 1700270, une note en délibéré présentée pour la société FEPI a été enregistrée le 14 décembre 2017. Considérant ce qui suit : 1. Par un avis publié les 28, 29 et 30 novembre 2016, la commune de Rurutu a lancé un appel d’offres ouvert pour la fourniture d’un camion- citerne de feux de forêts. La SARL Temana Import et la SA Argos Polynésie, candidates évincées, demandent l’annulation du marché attribué à la société FEPI. La SA Argos Polynésie présente en outre des conclusions indemnitaires. Sur la jonction : 2. Les requêtes nos 1700253 et 1700270, présentées respectivement pour la SARL Temana Import et la SA Argos Polynésie, présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement. Sur la requête n° 1700253 : En ce qui concerne la légalité de la procédure de passation du marché : Sans qu’il soit besoin d’examiner le moyen tiré de l’irrégularité du critère du délai de garantie : 3. D’une part, aux termes de l’article 300 du code des marchés publics applicable aux communes de Polynésie française : « La commission élimine les offres non conformes à l’objet du marché ; elle choisit librement l’offre qu’elle juge la plus intéressante, en tenant compte du prix des prestations, de leur coût d’utilisation, de la valeur technique, des garanties professionnelles et financières présentées par chacun des candidats et du délai d’exécution. La commission peut décider que d’autres considérations entrent en ligne de compte ; celles-ci doivent avoir été spécifiées dans l’avis d’appel d’offres. Sont toutefois prohibées les considérations qui ne seraient pas justifiées par l’objet du marché ou ses conditions d’exécution. (…). » 4. D’autre part, pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l’information appropriée des candidats sur les critères d’attribution d’un marché public est nécessaire, dès l’engagement de la procédure d’attribution du marché, dans l’avis d’appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d’autres critères que celui du prix, l’information appropriée des candidats doit alors porter également sur les conditions de mise en œuvre de ces critères. Il appartient au pouvoir adjudicateur d’indiquer les critères d’attribution du marché et les conditions de leur mise en œuvre selon les modalités appropriées à l’objet, aux caractéristiques et au montant du marché concerné (CE 30 janvier 2009 n° 290236, A). 5. Il résulte de l’instruction que l’article 3 du règlement particulier d’appel d’offres imposait aux candidats d’accepter sans aucune modification le CCTP, dont l’article 5 relatif au jugement des offres annonçait, sans autre précision, la prise en compte des critères du prix, de la valeur technique, du délai de livraison, du délai de garantie et de la garantie du service après-vente. En l’absence d’indication d’une pondération, il a été décidé d’attribuer à chacun de ces critères une note sur 20 points. La valeur technique a été examinée au regard des caractéristiques techniques fixées à l’article 2.1 du CCTP (camion double cabine 4 x4, nombre de portes, peinture de couleur rouge « pompier », motorisation, puissance du moteur, transmission, direction assistée et PTAC), en limitant toutefois l’analyse des équipements énumérés par cet article aux rubriques « équipement incendie nécessaire selon la norme en vigueur » et « impression « sapeur pompier de Rurutu » aux 2 côtés latéraux ». Alors que le tableau récapitulatif des offres établi le 23 janvier 2017 par la commission d’ouverture des plis fait apparaître que chacune des trois offres présentées satisfaisait à la totalité des éléments pris en compte pour analyser la valeur technique, des notes différentes leur ont été attribuées. Pour justifier la note de 10 sur 20 attribuée à la SARL Temana Import, la commune de Rurutu fait valoir qu’elle n’a pas produit les justificatifs de la certification NF 377. Or, de tels justificatifs n’étaient pas exigés par le règlement du marché dès lors que la conformité à « la norme », mentionnée sans autre précision à l’article 2.1 du CCTP, devait seulement, selon son article 4, donner lieu à une attestation, avec visa du constructeur, au plus tard le jour de la réception du marché. De même, la commune de Rurutu ne peut utilement invoquer, dans son dernier mémoire, la puissance du véhicule proposé par la SARL Temana Import, inférieure à celui de l’offre retenue, puisque les trois offres étaient conformes au CCTP qui se bornait à exiger une puissance supérieure ou égale à 250 CV. Par suite, la SARL Temana Import est fondée à soutenir que la notation des offres a été réalisée en méconnaissance du principe d’égalité de traitement des candidats. En ce qui concerne les conséquences de l’illégalité : 6. Il appartient au juge, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, d’en apprécier les conséquences. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l’illégalité éventuellement commise, soit de prononcer la résiliation du contrat ou de modifier certaines de ses clauses, soit de décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité contractante, soit d’accorder des indemnisations en réparation des droits lésés, soit enfin, après avoir vérifié si l’annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général ou aux droits des cocontractants, d’annuler, totalement ou partiellement le contrat, le cas échéant avec un effet différé (CE 16 juillet 2007 n° 291545, A). En l’espèce, la méconnaissance du principe d’égalité de traitement des candidats a eu une incidence sur le choix du cocontractant. L’atteinte excessive à l’intérêt général invoquée par la commune de Rurutu, qui fait valoir que l’annulation du contrat aurait pour effet de l’empêcher de faire face à ses obligations de sécurité, ne peut être regardée comme présentant un caractère sérieux en l’absence de toute précision sur l’état de fonctionnement du camion-citerne existant, destiné à être remplacé par le matériel neuf dont la livraison est prévue pour le mois d’avril 2018. Eu égard à l’objet du marché et en l’absence d’argumentation de la société FEPI sur les conséquences d’une annulation sur sa propre situation, il y a lieu de prononcer l’annulation du marché notifié le 12 mai 2017. En ce qui concerne la demande indemnitaire : 7. Lorsqu’une entreprise candidate à l’attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière, il appartient au juge de vérifier d’abord si l’entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché. Dans l’affirmative, l’entreprise n’a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu’elle a engagés pour présenter son offre. Il convient ensuite de rechercher si l’entreprise avait des chances sérieuses d’emporter le marché. Dans un tel cas, l’entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n’ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d’une indemnisation spécifique (CE 18 juin 2003 n° 249630, B). 8. Dès lors que les trois offres, ainsi qu’il a été dit au point 5, satisfaisaient à la totalité des éléments pris en compte pour l’analyse de la valeur technique, elles ne peuvent qu’être regardées comme équivalentes au regard de ce critère, auquel elles auraient dû obtenir la même note. Dans cette hypothèse, la SARL Temana Import aurait obtenu une note totale supérieure de 0,49 point à celle de la société FEPI. Ainsi, elle a perdu une chance sérieuse de remporter le marché. 9. La SARL Temana Import produit une attestation détaillée de son expert-comptable faisant apparaître, après déduction de ses charges, un manque à gagner de 3 087 701 F CFP. Toutefois, ce calcul repose sur un « prix de cession du camion HT tel que prévu dans la proposition de prix » de 29 470 000 F CFP, différent du prix de 27 259 000 F CFP constaté par la commission d’ouverture des plis. Dès lors que ce dernier fait foi, il y a lieu de retenir, après déduction des mêmes charges, un manque à gagner de 876 701 F CFP. Par suite, la SARL Temana Import est seulement fondée à demander la condamnation de la commune de Rurutu à lui verser une indemnité de 876 701 F CFP. Sur la requête n° 1700270 : 10. Eu égard à l’annulation prononcée au point 6, la requête de la SA Argos Polynésie est devenue sans objet (CE 5 mai 2017 n° 391925, A). Par suite, il n’y a pas lieu d’y statuer. Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : 11. Dès lors que la commune de Rurutu et la société FEPI sont la partie perdante, les conclusions qu’elles présentent au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. 12. Il y a seulement lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre une somme de 200 000 FCP à la charge de la commune de Rurutu au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la SARL Temana Import. Par suite, les conclusions présentées par la SA Argos Polynésie doivent être rejetées. DECIDE : Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur la requête de la SA Argos Polynésie. Article 2 : Le marché conclu par la commune de Rurutu avec la société FEPI suivant l’appel d’offres ouvert publié les 28, 29 et 30 novembre 2016 pour la fourniture d’un camion-citerne de feux de forêts est annulé. Article 3 : La commune de Rurutu est condamnée à verser à la SARL Temana Import une indemnité de 876 701 F CFP en réparation de son manque à gagner. Article 4 : La commune de Rurutu versera à la SARL Temana Import une somme de 200 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté. Article 6 : Le présent jugement sera notifié à la SARL Temana import, à la SA Argos Polynésie, à la commune de Rurutu et à la société FEPI. Délibéré après l'audience du 12 décembre 2017, à laquelle siégeaient : M. Tallec, président, Mme Meyer, première conseillère, Mme Zuccarello, première conseillère. Lu en audience publique le 9 janvier 2018. La greffière, D. Germain La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition Un greffier, |