Tribunal administratif de la Polynésie française Lecture du 12/12/2019 Décision n° 1900009 Type de recours : Plein contentieux Solution : Satisfaction partielle | Décision du Tribunal administratif n° 1900009 du 12 décembre 2019 Tribunal administratif de Polynésie française Vu la procédure suivante : Par une requête enregistrée le 12 janvier 2019, complétée par des mémoires et pièces enregistrés le 3 octobre 2019, le 16 novembre 2019 et le 23 novembre 2019, Mme Ondicolberry, en sa qualité de tutrice de M. R. , représentée par Me Allain-Sacault, demande au tribunal : 1°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 3 000 000 F CFP en réparation du préjudice moral à raison d’un défaut de surveillance imputable à l’administration pénitentiaire et d’une faute dans l’organisation du service ; 2°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 150 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - durant l’incarcération de M. R. au centre de détention de Nuutania, il a été violé par un codétenu, alors qu’il avait alerté l’administration pénitentiaire en demandant un changement de cellule et que le codétenu auteur du viol, ultérieurement condamné par la cour d’assises, avait lui aussi demandé à être placé dans une autre cellule ; l’administration a commis une faute en le plaçant dans la même cellule qu’un codétenu dangereux, alors qu’elle le savait jeune et en état de faiblesse, a manqué à son obligation de surveillance et n’a pas pris les mesures nécessaires pour éviter l’infraction ; - le préjudice moral subi par M. R. s’élève à la somme de 3 000 000 F CFP. Par mémoire enregistré le 3 octobre 2019, la garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête. Elle fait valoir qu’aucun des moyens n’est fondé. Par un mémoire enregistré le 29 novembre 2019, l’association Te Mau Aratai, représentée par son président, déclare reprendre l’instance engagée par M. R. . L’association fait valoir qu’elle a été désignée comme nouvelle tutrice de M. R. . Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions a été mis en cause dans la présente instance, mais n’a produit aucun mémoire. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ; - le code de procédure pénale ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus au cours de l’audience publique du 8 octobre 2019 : - le rapport de M. Katz, premier conseiller ; - les conclusions de M. Retterer, rapporteur public ; - et les observations de Me Allain-Sacault, représentant M. R. . Considérant ce qui suit : 1. Le 4 août 2014, M. R. , alors incarcéré au centre de détention de Nuutania, a été victime d’un viol commis pas un codétenu, ce dernier ayant ensuite été condamné pour cette agression par un arrêt de cour d’appel de Papeete du 6 septembre 2016, devenu définitif. Par sa requête, M. R. demande la condamnation de l’Etat à l’indemniser du préjudice moral résultant de ce viol, qu’il impute à des manquements de l’administration pénitentiaire, notamment à un défaut de surveillance. L’association Te Mau Aratai, représentée par son président, a déclaré reprendre l’instance engagée par M. R. en sa qualité de nouvelle tutrice de ce dernier. 2. Aux termes de l’article D. 189 du code de procédure pénale : « A l’égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire, à quelque titre que ce soit, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale ». S’agissant des mesures privatives de liberté, si elles s’accompagnent inévitablement de souffrance et d’humiliation, tout détenu doit être détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine et les modalités de détention ne doivent pas soumettre le détenu à une détresse ou à une épreuve qui excède le niveau de souffrance inhérent à une telle mesure et, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, sa santé et son bien-être doivent être assurés de manière adéquate. 3. Il résulte de l’instruction que l’auteur du viol dont a été victime M. R. avait été condamné à deux reprises pour agression sexuelle et pour viol sur mineur de 15 ans, ce que l’administration pénitentiaire ne pouvait ignorer puisque cette personne était incarcérée à raison de ces faits. Il résulte également de l’instruction que plusieurs expertises psychiatriques réalisées dans différents centres de détention ayant accueilli l’agresseur de M. R. , et qui étaient nécessairement connues de l’administration pénitentiaire, avaient révélé le risque que cet individu représentait pour autrui, un rapport mentionnant notamment une « dangerosité criminologique inquiétante en terme de récidive ». En outre, il résulte des éléments versés au dossier que l’agresseur de M. R. avait lui-même demandé à la direction de l’établissement pénitentiaire de ne pas le placer dans la même cellule que le requérant, qui était alors âgé de 19 ans, en raison d’une attirance incontrôlable pour les jeunes garçons. Enfin, il résulte de l’instruction que M. R. , outre son jeune âge, présentait un état de particulière faiblesse lors de son incarcération et avait demandé à changer de cellule le 1er août 2014, soit avant le viol commis sur sa personne. En l’espèce, l’administration pénitentiaire disposait ainsi d’éléments en nombre suffisant pour établir l’existence d’un risque d’agression sexuelle sur la personne du requérant avant même que le viol qui a eu lieu ne lui ait été dénoncé. Par conséquent, en s’abstenant de prendre des mesures particulières, notamment de surveillance, destinées à prévenir les risques d’agression qui se sont réalisés, l’administration a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat, qui a concouru à la réalisation de l’infraction dont a été victime le requérant. 4. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par M. R. à raison de ce viol en l’évaluant à la somme de 1 500 000 F FCP. 5. Il résulte toutefois de l’instruction qu’à la suite d’une transaction passée avec le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI), une somme de 1 200 000 F CFP a été versée à la tutrice de M. R. en réparation du préjudice résultant du viol subi par ce dernier. Le FGTI, subrogé dans les droits de M. R. à hauteur de la somme de 1 200 000 F CFP en vertu des dispositions de l’article 706-11 du code de procédure pénale, a été mis en cause par le tribunal dans la présente instance, mais n’a produit aucune observation. Par conséquent, afin d’éviter une double indemnisation du préjudice subi par M. R. , il y a lieu de condamner l’Etat à lui verser la somme de 300 000 F CFP. 6. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat la somme de 150 000 F CFP au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. DECIDE : Article 1er : L’Etat est condamné à verser la somme de 300 000 F CFP à M. R. en réparation de son préjudice. Article 2 : L’Etat versera la somme de 150 000 F CFP à M. R. au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté. Article 4 : Le présent jugement sera notifié à l’association Te Mau Aratai, à M. Houanui R. , à la garde des sceaux, ministre de la justice et au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions. Copie en sera adressée au directeur des établissements pénitentiaires en Polynésie française. Délibéré après l’audience du 3 décembre 2019, à laquelle siégeaient : M. Tallec, président, M. Katz, premier conseiller, Mme Theulier de Saint-Germain, première conseillère, Lu en audience publique le 12 décembre 2019. La greffière, D. Germain La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision. Pour expédition, Un greffier |