Tribunal administratif de la Polynésie française Lecture du 17/09/2024 Décision n° 2300515 Type de recours : Excès de pouvoir Solution : Rejet | Décision du Tribunal administratif n° 2300515 du 17 septembre 2024 Tribunal administratif de Polynésie française 1ère Chambre Vu la procédure suivante : Par une requête, enregistrée le 7 novembre 2023, et trois mémoires enregistrés le 10 novembre 2023 et les 2 février et 8 avril 2024, la société Pacific Petroleum et Services (PPS), représentée par Me Lenoir, demande au tribunal : 1°) d'annuler : - à titre principal, l'article 2 de l'arrêté n° 1474 CM du 30 août 2023 portant modification de la partie "Arrêtés" du code de la concurrence, ainsi que le rejet implicite par le président de la Polynésie française de sa demande du 5 septembre 2023 tendant au retrait dudit article ; - à titre subsidiaire, la décision appliquant les nouvelles modalités de détermination des coûts aux cargaisons des navires BW Krestel 09 et BW Cheetach V14, ainsi que le refus du ministre de procéder à cette annulation ; 2°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 200 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - sa requête n'est pas tardive et est recevable ; - la nouvelle rédaction de l'article A 112-4 est entachée d'une erreur de droit au regard des articles LP 112-2 et LP 112-3 du code de la concurrence, dès lors que ces articles imposent que soit pris en compte, pour la détermination du prix maximal de vente des hydrocarbures, le coût du fret effectivement supporté ; - en fixant un coût de fret établi par référence à la route la plus courte entre Singapour et Papeete, le conseil des ministres a entaché sa décision d'une erreur dans la qualification juridique de la notion de coût, à tout le moins d'une erreur manifeste d'appréciation ; - elle est entachée d'un détournement de pouvoir au regard de l'accord tripartite conclu en 2006 ; - la décision d'appliquer la nouvelle rédaction de l'article A 112-4 à des chargements intervenus avant la publication de cette nouvelle rédaction, en l'espèce aux chargements des navires BW Krestel 09 et BW Cheetach V14 intervenus respectivement jusqu'au 14 juillet et jusqu'au 18 août 2023 est entachée d'une rétroactivité illégale au regard de l'article 112-4 du code de la concurrence. Par une intervention, enregistrée le 28 novembre 2023, complétée par mémoires enregistrés les 2 février et 8 avril 2024, la société TotalEnergies Marketing Polynésie (TMP), représentée par Me Lenoir, demande au tribunal d'annuler l'article 2 de l'arrêté n° 1474 CM du 30 août 2023. Elle fait valoir que : - son intervention est recevable ; - la nouvelle rédaction de l'article A 112-4 est entachée d'une erreur de droit au regard des articles LP 112-2 et LP 112-3 du code de la concurrence, dès lors que ces articles imposent que soit pris en compte, pour la détermination du prix maximal de vente des hydrocarbures, le coût du fret effectivement supporté ; - en fixant un coût de fret établi par référence à la route la plus courte entre Singapour et Papeete, le conseil des ministres a entaché sa décision d'une erreur dans la qualification juridique de la notion de coût, à tout le moins d'une erreur manifeste d'appréciation ; - elle est entachée d'un détournement de pouvoir au regard de l'accord tripartite conclu en 2006. Par deux mémoires en défense enregistrés les 9 janvier et 29 février 2024, la Polynésie française conclut au rejet de la requête présentée par la société Pacific Petroleum et Services et de l'intervention présentée par la société TotalEnergies Marketing Polynésie. Elle fait valoir que : - la requête est irrecevable ; - l'intervention de la société Totalénergies Marketing Polynésie doit être rejetée pour défaut d'intérêt à intervenir ; - aucun des moyens soulevés n'est fondé. Par une ordonnance du 15 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 avril 2024 à 11h00 (heure locale). Un mémoire, présenté pour la société TotalEnergies Marketing Polynésie, a été enregistré le 23 avril 2024 après la clôture de l'instruction et n'a pas été communiqué. Vu les autres pièces du dossier ; Vu : - la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ; - le code de la concurrence ; - le code de justice administrative ; Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Busidan, - les conclusions de M. Boumendjel, rapporteur public, - les observations de Me Lenoir, pour la requérante et l'intervenante et celles de M. A pour la Polynésie française. Une note en délibéré, présentée pour l'intervenante, a été enregistrée le 11 septembre 2024. Considérant ce qui suit : 1. Sur le fondement de l'article LP. 112-3 du code de la concurrence, le conseil des ministres de Polynésie française définit, par arrêté, le prix maximal de vente de certains hydrocarbures, dont il fixe également la liste en vertu de l'article LP. 112-2 du même code. Au nombre des cinq composants que le conseil des ministres doit prendre en compte pour fixer, en vertu de l'article LP. 112-3, le prix maximal de vente des hydrocarbures listés, figure la valeur " CAF barème " représentative de la valeur des hydrocarbures en douane. Cette valeur " CAF barème " résulte de l'application d'une formule que définit l'article A. 112-4 dudit code, et dans la composition de laquelle entre notamment le coût du fret, c'est-à-dire le prix du transport des hydrocarbures par pétrolier. Ce prix du transport des hydrocarbures est lui-même fonction, notamment, du trajet suivi par le navire d'une part, et du coût de l'utilisation du navire d'autre part, tels qu'ils résultent d'indices " FR " et " WS " établis par l'association Worldscale. Par l'article 2 de l'arrêté n° 1474 CM du 30 août 2023, paru au Journal Officiel de la Polynésie française du 1er septembre 2023, le conseil des ministres a modifié l'article A. 112-4 du code de la concurrence en changeant l'indice " FR " pris en compte dans le calcul du prix du transport des hydrocarbures. Cet indice " FR ", auparavant celui " de la route effectivement utilisée départ Singapour " par le navire, est ainsi devenu, à compter du 1er septembre 2023, celui " de la route directe Singapour - Papeete ". 2. Par courrier parvenu dans les services du gouvernement le 5 septembre 2023, la société Pacific Petroleum et Services (PPS), qui importe et distribue en Polynésie française des hydrocarbures, a demandé au ministre de l'économie, du budget et des finances, d'une part, le retrait des dispositions de l'article 2 de l'arrêté du 30 août 2023, d'autre part, la non-application du nouvel article A. 112-4 du code de la concurrence au calcul du prix de vente des hydrocarbures transportés par les navires BW Krestel V09 et BW Cheetah V14, respectivement chargés entre les 10 et 14 juillet et entre les 14 et 18 août 2023. Alors que, par courrier n° 1052 daté du 27 septembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et du budget a expressément rejeté la seule demande tendant au retrait des dispositions de l'article 2 de l'arrêté du 30 août 2023, la société PPS demande au tribunal, à titre principal, l'annulation dudit article 2 de l'arrêté du 30 août 2023, et, à titre subsidiaire, l'annulation du refus implicite de ne pas appliquer les nouvelles modalités de détermination de la valeur CAF barème aux cargaisons des navires BW Krestel 09 et BW Cheetach V14. Sur l'intervention de la société Totalénergies Marketing Polynésie : 3. La société TotalEnergies Marketing Polynésie justifie, en sa qualité d'importateur d'hydrocarbures, d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'article 2 de l'arrêté n° 1474 CM du 30 août 2023. Par suite, son intervention à l'appui de la requête formée par la société Pacific Petroleum et Services est recevable. Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'article 2 de l'arrêté n° 1474 du 30 août 2023 : 4. En premier lieu, l'article 91 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française dispose : " Dans la limite des compétences de la Polynésie française, le conseil des ministres : /() / 15° Fixe les conditions d'approvisionnement, de stockage et de livraison ainsi que les tarifs des hydrocarbures liquides et gazeux ". Si la société requérante fait valoir qu'aucun avis préalable des importateurs/distributeurs d'hydrocarbures n'a été recueilli avant la prise de l'arrêté contesté, elle ne se prévaut d'aucune disposition législative ou réglementaire qui imposerait une telle consultation. Dès lors, la circonstance que l'arrêté réglementaire en litige a modifié " de façon unilatérale " l'article A. 112-4 du code de la concurrence est sans incidence sur sa légalité. 5. En deuxième lieu, aux termes de l'article LP. 112-2 du code de la concurrence : " Le conseil des ministres fixe la liste des hydrocarbures dont le prix maximal nécessite un encadrement en raison de leur impact sur le développement économique et social de la Polynésie française ". L'article LP. 112-3 du même code dispose : " Par dérogation aux dispositions des articles LP. 111-1 à LP. 111-3, le prix maximal de vente des produits listés en application de l'article LP. 112-2 est défini par arrêté pris en conseil des ministres sur la base des cinq composants suivants : / 1° Valeur CAF barème représentative de la valeur en douane des produits pétroliers ; / 2° Droits et taxes, calculés par référence à la valeur CAF barème tels qu'ils résultent de la réglementation en vigueur ; / 3° Montant de stabilisation fixé par arrêté pris en conseil des ministres conformément à la réglementation en vigueur ; / 4° Rémunération des prestations locales des sociétés pétrolières ;/ 5° Marge.// () ". 6. Les dispositions précitées se bornent à énumérer cinq composants du prix maximal de vente des hydrocarbures listés sans donner une définition précise de chacun de ces composants. Contrairement à ce que soutient la requérante, l'expression " valeur CAF barème représentative de la valeur en douane des produits pétroliers " ne renvoie pas, par elle-même, à une valeur s'appuyant nécessairement sur le coût du fret effectivement supporté par les importateurs d'hydrocarbures. Ladite valeur CAF barème ne peut être conçue sans l'arrêté auquel renvoie l'article LP. 122-3, en l'espèce l'article A. 112-4 du code de la concurrence, lequel est précisément celui modifié par l'arrêté contesté. Par suite, le moyen tiré de ce que le conseil des ministres aurait entaché l'arrêté en litige d'une erreur de droit au regard de l'article LP. 112-3 du code de la concurrence doit être écarté. 7. En troisième lieu, la requérante semble soutenir que l'expression " coût du fret du chargement " utilisée dans l'article A. 112-4 renvoyant nécessairement à la prise en compte de charges réellement supportées par le transporteur, en décidant que ce " coût " résultera d'un calcul qui est fonction, entre autres, de l'indice FR systématiquement rattaché à la route directe Singapour-Papeete, le conseil des ministres aurait commis " une erreur de qualification juridique de la notion de coût ", à tout le moins une erreur manifeste d'appréciation. A l'appui de ces moyens, la requérante fait valoir qu'aucun navire ne fait jamais un trajet direct Singapour-Papeete mais toujours des trajets comportant plusieurs escales et qu'ainsi la formule retenue ne reflète pas la réalité économique. Cependant, elle ne verse au dossier aucun élément chiffré établissant que le coût du fret résultant de ladite formule, dans laquelle, en outre, d'autres éléments que l'indice FR ont été fixés par convention, tel l'indice IC dit " de correction forfaitaire correspondant à l'optimisation des navires multi-produits et des rotations ", serait si inférieur aux coûts réellement supportés par les transporteurs que son utilisation dans la formule aboutissant au prix maximal des hydrocarbures listés fixé par l'article A. 112-4 entacherait ce dernier d'une erreur manifeste d'appréciation. Dans ces conditions, le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation entachant l'arrêté en litige doit être écarté, et par voie de conséquence celui tiré de " l'erreur de qualification juridique ", laquelle est seulement un instrument utilisé par le juge administratif pour définir le type de contrôle qu'il exerce sur les faits soumis à son appréciation. 8. En dernier lieu, comme il a été rappelé au point 4 du présent jugement, le conseil des ministres est compétent, en vertu du 15° de l'article 91 de la loi organique du 27 février 2004 pour fixer les tarifs des hydrocarbures liquides et gazeux. Dans ces conditions, la société requérante ne peut se prévaloir utilement des stipulations d'un accord tripartite, au demeurant caduc à la date de l'arrêté attaqué, en vertu duquel les éléments permettant de déterminer le prix maximal des hydrocarbures avaient été déterminés par consensus, pour soutenir que le conseil des ministres aurait entaché l'arrêté en litige du 30 août 2023 d'un détournement de pouvoir. Sur les conclusions relatives à la valeur CAF barème applicable aux cargaisons des navires BW Krestel 09 et BW Cheetach V14 : 9. L'article A. 112-4 du code de la concurrence dispose : " La valeur CAF barème est constatée le 1er jour de chaque mois, par arrêté pris en conseil des ministres ", et donne ensuite la formule de calcul de cette valeur CAF barème, assortie de la définition des variables de ladite formule. Parmi ces variables, figure le nombre " n " de cargaisons chargées vers la Polynésie française durant le mois débutant deux mois avant le début du mois m au 1er jour duquel est constatée la valeur CAF barème. Par suite, si les cargaisons des navires BW Krestel 09 et BW Cheetach V14 ont été chargées respectivement en juillet et en août 2023, ces cargaisons seront prises en compte seulement dans la valeur CAF barème des mois postérieurs à l'entrée en vigueur de l'arrêté en litige. Dans ces conditions, et contrairement à ce que prétend la requérante, l'application de l'arrêté en litige n'est susceptible d'entraîner aucune rétroactivité sur la détermination de la valeur CAF barème, alors que cette valeur n'est au demeurant, et comme il a été dit au point 1 du présent jugement, qu'une des cinq composantes du prix maximal des hydrocarbures concernant la requérante, et qu'en tout état de cause, elle n'entre pas, par elle-même, dans la formation du prix que ladite requérante verse aux transporteurs des produits qu'elle importe. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision d'appliquer la nouvelle valeur CAF barème aux cargaisons des navires BW Krestel 09 et BW Cheetach V14 méconnaîtrait le principe de non rétroactivité des actes réglementaires doit être écarté. 10. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur leur recevabilité, les conclusions en annulation présentées par la société Pacific Petroleum et Services doivent être rejetées. Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : 11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la Polynésie française, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse la somme demandée par la société Pacific Petroleum et Services au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. D E C I D E : Article 1er : L'intervention de la société TotalEnergies Marketing Polynésie est admise. Article 2 : La requête de la société Pacific Petroleum et Services est rejetée. Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Pacific Petroleum et Services, à la société TotalEnergies Marketing Polynésie et à la Polynésie française. Délibéré après l'audience du 3 septembre 2024, à laquelle siégeaient : M. Devillers, président, Mme Busidan, première conseillère, M. Graboy-Grobesco, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 septembre 2024. La rapporteure, H. Busidan Le président, P. Devillers La greffière, D. Oliva-Germain La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition, Un greffier, |