Tribunal administratif de la Polynésie française Lecture du 10/12/2024 Décision n° 2400077 Type de recours : Excès de pouvoir Solution : Rejet | Décision du Tribunal administratif n° 2400077 du 10 décembre 2024 Tribunal administratif de Polynésie française 1ère Chambre Vu la procédure suivante : Par une requête et quatre mémoires, enregistrés les 6 mars, 27 mai, 8 juillet, 20 septembre et 16 novembre 2024, l'association des voiliers en Polynésie (AVP), représentée en dernier lieu par la Selarl d'avocats MVA, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures : 1°) d'annuler ensemble l'arrêté n°129 CM du 8 février 2024, publié le 16 février 2024, rendant exécutoire la délibération n° 1/2024/CA-PAP du 25 janvier 2024 par laquelle le conseil d'administration du port autonome de Papeete a fixé les tarifs de la marina Taina, et ladite délibération ; 2°) de mettre à la charge du port autonome de Papeete la somme de 300 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - elle a intérêt pour agir au regard de son objet social ; - les décisions attaquées ne peuvent s'appliquer à compter du 1er mars, au regard de l'article 2 des contrats de mise à disposition d'un poste d'amarrage relatif à la dénonciation des contrats en cours et au regard de l'article 1.1 de la délibération attaquée, qui est privé d'effet ; - elles suppriment de manière injustifiée et sans explication la gratuité du stationnement ; - les tarifs fixés par les décisions attaquées sont disproportionnés par rapport aux services rendus aux usagers, aux investissements réalisés et à la rareté prétendue des emplacements ; - elles violent le principe d'égalité entre les usagers, que ce soit entre usagers de la marina Taina, ou entre usagers de marinas dotées des mêmes équipements ; - la tarification pratiquée est discriminatoire ; - l'augmentation des tarifs décidée par la délibération attaquée entraîne une rupture de la continuité du service public par le port autonome de Papeete. Par une intervention, enregistrée le 10 avril 2024, complétée par quatre mémoires enregistrés les 27 mai, 8 juillet, 20 septembre et 16 novembre 2024, M. D A, représenté par la Selarl d'avocats MVA, demande que le tribunal fasse droit aux conclusions de la requête présentée par l'APV. Il expose les mêmes moyens que ceux développés dans la requête. Par trois mémoires en défense, enregistrés les 3 mai, 20 juin et 25 octobre 2024, le port autonome de Papeete conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que : - M. A n'apportant aucun élément au soutien de son intervention volontaire, il est irrecevable ; - les éléments apportés par l'AVP pour justifier de l'intérêt pour agir de l'association ayant été produits après le délai de recours contentieux, la requête de l'AVP est irrecevable ; - les moyens soulevés ne sont pas fondés. Par un mémoire en défense, enregistré le 14 novembre 2024, la Polynésie française conclut au rejet de la requête en déclarant s'associer pleinement aux écritures présentées par le port autonome de Papeete. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ; - la délibération n° 2004-34 APF du 12 février 2004 portant composition et administration du domaine public en Polynésie française ; - le code de justice administrative ; - la décision du procureur général près la cour d'appel de Papeete se désignant pour compléter le tribunal à l'audience du 26 novembre 2024. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Busidan, - les conclusions de M. Boumendjel, rapporteur public, - les observations de Me Millet représentant l'association des voiliers en Polynésie (AVP) et M. A, de Mme B représentant le port autonome de Papeete et celles de M. C représentant la Polynésie française. Considérant ce qui suit : 1. Par une délibération n° 1/2024/CA-PAP du 25 janvier 2024, que le conseil des ministres a rendue exécutoire par un arrêté n°129 CM du 8 février 2024, publié le 16 février 2024 au Journal officiel de la Polynésie française, le conseil d'administration du port autonome de Papeete a fixé les tarifs de la marina Taina gérée, sur contrat de délégation de service public, par la société Marina Taina Services. L'association des voiliers en Polynésie (AVP) demande l'annulation de la délibération du 25 janvier 2024, et par voie de conséquence celle de l'arrêté du 8 février 2024. Sur l'intervention de M. A : 2. Est recevable à former une intervention, devant le juge du fond, toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige. Il ressort des pièces du dossier que M. A demeure à la marina Taina sur un bateau dénommé " Chimère " et a conclu de ce fait un contrat de mise à disposition d'un poste d'amarrage avec la société délégataire de la marina, qui fixe une redevance dont le montant est susceptible d'être affecté par la délibération attaquée. Par suite, l'intervention volontaire de M. A est recevable et doit être admise. Sur les conclusions en annulation : En ce qui concerne le moyen du caractère disproportionné des tarifs fixés par les décisions attaquées : 3. Aux termes de l'article 2 de la délibération APF du 12 février 2004 portant composition et administration du domaine public en Polynésie française : " Le domaine public artificiel comprend : () 3° Le domaine public maritime : A - Les ports avec leurs dépendances, () ". Selon l'article 10 de cette même délibération : " L'autorité compétente fixe les revenus, redevances, droits et taxes de toutes sortes dus à raison des autorisations d'occupation et des utilisations de toute nature des dépendances du domaine public. L'autorité compétente tient compte, pour déterminer le montant des redevances dues, des avantages de toute nature procurés à l'occupant ". S'agissant de la nature de la redevance et de la légalité des critères retenus pour en gouverner la fixation : 4. Il ressort de la délibération en litige que, pour déterminer les redevances en litige, le conseil d'administration du port autonome de Papeete distingue d'abord selon que la durée de séjour du navire ou de la remorque de transport est, ou non, supérieure à un an. Il utilise ensuite, dans la seule catégorie intéressant la requérante, à savoir celle des navires séjournant plus d'un an à la marina Taina, le critère principal tenant à la longueur hors tout du navire, mesurée en pied, qui donne lieu à un tarif au pied, dit " tarif de base Taina", pour les navires amarrés au ponton (ou " à flot "). Le montant ainsi obtenu fait ensuite l'objet d'une minoration si le navire est amarré sur bouée numérotée, et/ou de majorations si le navire est un multicoque et s'il est habité. Les critères précités sont en rapport avec l'occupation du domaine public et, par suite, s'il ressort également de la délibération, notamment de son article 3, comme des contrats, versés au dossier, portant mise à disposition d'un poste d'amarrage conclus entre la gestionnaire de la marina et l'usager de cette même marina, que les redevances ainsi fixées permettent également à l'usager d'avoir accès à une série de services (électricité, eau, collecte des déchets et eaux usées, toilettes, téléphone, parking etc), qui peuvent donner lieu par ailleurs à des paiements spécifiques en fonction des usages ou consommations, les redevances fixées au regard desdits critères revêtent le caractère de redevances domaniales, et non, même pour partie, de redevances pour service rendu. 5. En prétendant que la notion de " navire habité " serait floue et qu'à le supposer opérant, ce critère impliquerait un " forfait fixe habitation ", la requérante, qui concentre sa contestation des décisions attaquées sur la seule catégorie des navires habités séjournant plus d'un an à la marina Taina, peut être regardée comme en contestant la légalité. Cependant, contrairement à ce qu'elle soutient, le critère relatif au caractère " habité " du navire n'a pas besoin d'autre précision que celle tenant à sa définition habituelle, c'est-à-dire que ledit navire doit constituer le logement ou le domicile habituel de ceux qui l'occupent. Dans la mesure où cet usage implique l'avantage de pouvoir se dispenser d'un habitat à terre et des charges y afférent, et que cet avantage varie, de fait, selon la longueur du navire, ce critère est bien relatif aux avantages de toute nature procurés à l'occupant du domaine public. Par suite, ce critère peut, sans entacher d'erreur de droit les décisions attaquées, contribuer à fixer le montant de la redevance en litige par une majoration du tarif lié à la longueur du navire. Dès lors que, par ailleurs, la minoration du tarif quand le navire est amarré sur bouée, et sa majoration quand le navire est un multicoque, sont à l'évidence liées à des avantages différents ressortant de l'occupation du domaine public, au demeurant non contestés par la requérante, il ne ressort pas des pièces du dossier que les autres critères fixés pour déterminer le montant de la redevance seraient entachés d'erreur de droit. S'agissant du montant de la redevance : 6. Pour contester les montants de redevance découlant de l'application des décisions attaquées, la requérante fait valoir que l'augmentation de ces montants, par rapport à ceux résultant de la délibération précédente, atteint, s'agissant des navires amarrés au ponton, 124 % pour un multicoque habité et 169 % pour un monocoque habité et, s'agissant des navires amarrés sur bouée, 465 % pour un monocoque habité et 371 % pour un multicoque habité. Cependant, l'augmentation en pourcentage ne peut, par elle-même, caractériser l'erreur manifeste d'appréciation dont serait entaché le montant de la redevance domaniale en litige, dès lors que l'augmentation de cette dernière n'est encadrée par aucune disposition légale ou réglementaire et que son montant est fonction de critères dont l'illégalité n'est pas établie. A cet égard, l'augmentation particulièrement forte pour les navires amarrés sur bouée découle de ce qu'antérieurement aux décisions en litige, le critère relatif au caractère habité du navire n'était pas appliqué pour ce type d'amarrage, alors que, comme il vient d'être dit, ce critère n'est pas entaché d'erreur de droit. 7. Il ressort par ailleurs du tableau comparatif versé par la requérante que, s'agissant des navires non habités, l'augmentation de la redevance s'établit à 15 % pour les navires de 12 m et de 14 m amarrés au ponton, et de 62 % pour les mêmes navires amarrés sur bouée, le montant en valeur absolue de la redevance due par ces derniers étant néanmoins largement inférieur à celui dû par les navires amarrés au ponton. En valeur absolue, il ressort également de ce même tableau que, s'agissant par exemple d'un voilier de 14 m amarré à quai plus d'un an, les décisions attaquées fixent le montant mensuel de la redevance à 38 985 F CFP s'il n'est pas habité et à 136 448 F CFP s'il est habité (soit un avantage " habitation " de 97 463 FCFP) et, s'agissant d'un voilier similaire amarré sur bouée, à 27 290 F CFP s'il n'est pas habité et 95 513 F CFP s'il est habité (soit un avantage " habitation " de 68 223 F CFP), ces proportions demeurant comparables pour les autres navires. Alors qu'il est constant que les tarifs de la redevance sont restés inchangés depuis 18 ans et qu'en raison même de son emplacement à Tahiti, île principale de la Polynésie française, notamment dotée d'un aéroport international et de nombreux services, la marina Taina procure un avantage de choix à ses utilisateurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que les montants de redevance domaniale contestés seraient entachés d'une erreur manifeste d'appréciation, à supposer même que, comme il est allégué, les services auxquels donne accès la redevance domaniale n'auraient pas été notablement améliorés depuis 2006. En ce qui concerne le moyen tiré de la rupture d'égalité : 8. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. 9. Alors que les usagers d'un navire habité sont dans une situation objectivement différente des usagers d'un navire non habité, qui entraîne de leur part une occupation plus intensive du domaine public, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en majorant la redevance qu'ils doivent par rapport à celle due par les usagers d'un navire non habité, les décisions attaquées les traiteraient de manière discriminatoire et contraire au principe d'égalité. De la même manière, alors que les mouillages dans la marina de Raiatea ou celle de Moorea présentent, par leur emplacement même, sur des îles nettement distinctes, des caractéristiques différentes de celles proposées par la marina Taina, la requérante, qui reconnaît en outre que les services annexes ne sont pas les mêmes, n'est pas fondée à soutenir que la redevance, plus importante fixée par les décisions en litige par rapport à celles applicables dans ces autres marinas, méconnaîtrait le principe d'égalité. En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de stipulations contractuelles : 10. La méconnaissance des stipulations d'un contrat, si elle est susceptible d'engager, le cas échéant, la responsabilité d'une partie vis-à-vis de son co-contractant, ne peut être utilement invoquée comme moyen de légalité à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir formé à l'encontre d'une décision administrative. Par suite, le moyen tiré de ce que les décisions en litige entraîneraient le non-respect des stipulations des contrats d'amarrage, relatives notamment à la durée du contrat et à la possibilité de stationner gratuitement un véhicule, doit être écarté comme inopérant. En ce qui concerne le moyen tiré de l'absence de continuité du service public : 11. Alors que la requérante ne se prévaut d'aucune disposition légale ou réglementaire qui prévoirait pour le port autonome de Papeete l'obligation d'une concertation avec les usagers de la marina, le moyen tiré de ce qu'en l'absence d'une telle concertation et au regard de l'augmentation des tarifs décidée, ledit port autonome de Papeete méconnaîtrait son obligation de continuité du service public ne peut qu'être écarté. 12. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée à la requête par le port autonome de Papeete, que la requérante n'est pas fondée à demander l'annulation des décisions qu'elle attaque et que, par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions. D E C I D E : Article 1er : L'intervention de M. A est admise. Article 2 : La requête de l'association des voiliers en Polynésie est rejetée. Article 3 : Le présent jugement sera notifié à l'association des voiliers en Polynésie, à M. D A, au port autonome de Papeete et à la Polynésie française. Délibéré après l'audience du 26 novembre 2024, à laquelle siégeaient : M. Devillers, président, Mme Busidan, première conseillère, M. E, procureur général près la cour d'appel de Papeete. Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 décembre 2024. La rapporteure, H. Busidan Le président, P. Devillers La greffière, D. Oliva-Germain La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition conforme, Le greffier, |