Rapport n° 110-2024 relatif à l'avis de l'assemblée de la Polynésie française sur les projets d'ordonnance relatifs au renforcement des obligations de lutte contre le blanchiment de capitaux et financement du terrorisme portant sur les transferts de crypto-actifs et aux marches de crypto-actifs Paru in extenso au JOPF n° 24 NA du 06/01/2025 à la page 210
| Rapport n° 110-2024 relatif à l’avis de l’assemblée de la Polynésie française sur les projets d’ordonnance relatifs au renforcement des obligations de lutte contre le blanchiment de capitaux et financement du terrorisme portant sur les transferts de crypto-actifs et aux marches de crypto-actifs Présenté par M. le représentant Vincent Maono Le président : On poursuit avec le 2ème avis. Il s’agit du rapport n°110 relatif à des projets d’ordonnance renforçant les obligations de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme portant sur les transferts de crypto-actifs et au marché de crypto-actifs. Je cède la parole à Monsieur Maono qui a été désigné rapporteur du rapport de présentation. Vous avez la parole. M. Vincent Maono : Merci, Monsieur le président. Monsieur le président, Madame la vice-présidente, Monsieur le ministre ainsi qu’aux membres élus, mes salutations. J’ai l’honneur et le plaisir de vous présenter le rapport relatif à l’avis de l’Assemblée sur le projet d’ordonnance relative au renforcement des obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme portant sur le transfert des crypto-actifs et au marché de crypto-actifs. Par lettres nos 490 et 491/DIRAJ du 12 août 2024, le Haut-commissaire de la République en Polynésie française a soumis pour avis à l’assemblée de la Polynésie française, deux projets d’ordonnance relatifs d’une part, au renforcement des obligations de lutte contre le blanchiment de capitaux et financement du terrorisme portant sur les transferts de crypto-actifs et, d’autre part, aux marchés de crypto-actifs. Ces deux projets d’ordonnance sont pris sur le fondement de la loi du 22 avril 2024. Ils transposent dans la réglementation nationale les évolutions réglementaires européennes en matière de crypto-actifs. Dans ce domaine, deux règlements européens ont été adoptés en 2023 pour prendre en compte principalement, dans le cadre des mesures de lutte anti-blanchiment, les crypto-actifs et les notions d’émetteurs et de prestataires qui y sont liés. Le premier règlement n° 2023/113 modifie la directive européenne du 20 mai 2015, dite « 4e directive anti-blanchiment », pour introduire les prestataires de services sur crypto-actifs et fixer des règles pour garantir que ces derniers prennent des mesures d’atténuation aux risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Le second règlement n° 2023/114 dit « règlement MiCA », établit quant à lui des règles uniformes pour les émetteurs de crypto-actifs et les prestataires de services sur crypto-actifs (exigences de transparence et d’information, agrément et surveillance des prestataires, protection des détenteurs de crypto-actifs, etc.). Ces deux règlements entrent notamment en vigueur à partir du 30 décembre 2024 et leur transposition dans le droit national français sont portés par ces deux projets d’ordonnance qui modifient, en grande majorité, le code monétaire et financier (CMF). Le premier projet d’ordonnance assure la transposition des modifications apportées à la 4e directive anti-blanchiment, afin principalement d’intégrer dans le code monétaire et financier, les prestataires de services sur crypto-actifs. Le second projet d’ordonnance adapte le cadre applicable en matière de démarchage, de quasi-démarchage, de publicité, de parrainage et d’influence commerciale pour tirer les conséquences du règlement MiCA. Il crée notamment un nouveau titre dans le code monétaire et financier consacré au régime juridique des actifs numériques. Les dispositions prévues par ces deux projets d’ordonnance relèvent intégralement de la compétence de l’État en ce qu’elles concernent le domaine financier et la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Les crypto-actifs pouvant exposer leurs détenteurs à plusieurs risques, un cadre réglementaire adapté et une bonne information des usagers sont donc nécessaires à la prévention de ces risques. Au regard de ce qui précède, les dispositions proposées par les deux projets d’ordonnance ne soulèvent ainsi aucune question particulière, ni en matière d’empiètement, ni en matière d’effets. Pour autant, des observations sur ces deux saisines sont à soulever et rejoignent les réserves formulées plusieurs fois par l’assemblée de la Polynésie française en matière d’intelligibilité du droit : – aucun tableau synoptique ni document explicatif n’accompagne les projets d’ordonnance, rendant difficile l’analyse des dispositions proposées et pratiquement impossible l’évaluation de leurs effets en Polynésie ; – la technique des compteurs « LIFOU » ne permet pas une accessibilité et un intelligibilité immédiates des dispositions applicables et impose de réaliser un travail conséquent de consolidation pour établir le texte tel qu’applicable en Polynésie française ; – il conviendrait donc de transmettre une version consolidée du Code monétaire financier tel qu’applicable en Polynésie française et, plus généralement, des textes et codes intervenant dans les matières relevant de sa compétence. Enfin, il est à noter qu’au niveau national, ces deux projets d’ordonnance ont été pris en conseil des ministres le 15 octobre 2024 et publiés au Journal officiel de la République française le 16 octobre 2024. Conformément à la loi du 22 avril 2024 précitée, la ratification de ces ordonnances devra être déposée dans un délai de trois mois. Les présentes observations formulées pourront ainsi être soulevées lors de l’examen du projet de loi de ratification au Parlement. Au regard de ces éléments, la commission de l’économie, des finances et du budget, réunie le 15 octobre 2024, propose à l’assemblée de la Polynésie française d’émettre un avis défavorable aux dispositions du code monétaire et financier étendues en Polynésie française par ces textes. Merci de votre attention et mes salutations. Le président : Merci, Monsieur le rapporteur. Pour la discussion générale, la conférence des présidents a prévu un temps de parole de 60 minutes réparti comme suit : 36 minutes, Tavini huiraatira ; 15 minutes, Tapura ; et 9 minutes, non-inscrits. J’invite l’intervenant du groupe Tapura huiraatira à prendre la parole. M. Tahuhu Maraeura : Oui, mes salutations une nouvelle fois à toutes et à tous rassemblés ici aujourd’hui dans la maison du peuple. Quelques mots, simplement, sur ce dossier : Ce n’est pas parce que les deux projets d’ordonnance qui nous sont soumis pour avis — tout au moins dans la technique rédactionnelle employée et le peu d’explications qui sont fournies au service instructeur — ne répondent pas aux attentes de la représentation territoriale, qu’il nous faut pour autant nier l’intérêt du sujet abordé. Autrement dit, au-delà de la position de principe avec cet avis défavorable, à laquelle nous adhérons tous et toutes, il y a effectivement dans les évolutions proposées par ces deux projets d’ordonnance en vue d’une meilleure protection des utilisateurs d’actifs numériques, matière à combler un vide et nous nous en félicitons. Maintenant, et comme il a été exprimé par plusieurs intervenants en commission législative, ne devrait-on pas adopter dans notre réponse une autre approche plus conciliante, voire plus positive ? Le groupe Tapura huiraatira est en tout cas de cet avis. Je vous remercie de votre attention Le président : Merci. J’invite l’intervenant des non-inscrits à prendre la parole. M. Nuihau Laurey : Oui, on est dans la même situation que l’avis précédent, avec des informations incomplètes ne nous permettons pas de donner un avis éclairé sur ce texte. Celui-là, il est encore plus complexe d’ailleurs, c’est le code monétaire et financier, et donc même ceux qui ont quelques connaissances sur le sujet ont toujours du mal à analyser les modifications qui sont proposées. Après, sur ces dispositions bancaires, monétaires qui sont proposées, moi j’ai toujours une réflexion parce qu’elles sont souvent présentées sous le sceau de la lutte contre le terrorisme, contre le blanchiment, et elles se terminent toujours par une restriction des libertés individuelles dans la relation avec les banquiers. Maintenant, quand vous passez des opérations, dès que vous souhaitez transférer plus de 100 000 francs ou je ne sais pas quel montant, on vous demande pourquoi, dans quelles conditions, on vous demande des justifications, les banques vous demandent régulièrement de justifier votre patrimoine, vos revenus, votre situation patrimoniale et autres. Et chaque fois, c’est sous le sceau de la BFT et l’autre disposition sur ces sujets de terrorisme et de blanchiment. Je n’ai pas le sentiment que les citoyens lambda en Polynésie soient susceptibles d’être mis en cause dans ces opérations. Je pense que les élus doivent être vigilants, mais bon, globalement, pour un texte comme celui-là, quel que soit l’avis qui sera donné, je pense que l’État, et pire encore, l’Union européenne s’assoira sur celui-ci, d’autant plus qu’il est défavorable. Donc, nous partageons cet avis défavorable. Le président : Merci. On poursuit avec le dernier intervenant du Tavini. Edwin. M. Edwin Shiro-Abe Peu : Merci, Monsieur le président. Notre Assemblée est saisie pour avis concernant les projets d’ordonnance relatifs au renforcement des obligations de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, ainsi que la régulation des marchés de crypto-actifs. Bien que nous reconnaissions l’importance de ces textes dans le contexte international et local, nous tenons à souligner les graves insuffisances dans la forme et le processus de consultation qui accompagnent ces ordonnances. Les insuffisances dans la forme et le processus de consultation : Il est regrettable de constater que, une fois de plus, ces projets de texte nous parviennent dans des délais extrêmement courts. À plusieurs reprises, nous avons soulevé ce problème auprès de l’État : les ordonnances sont adoptées au niveau national ou européen sans que notre Assemblée ait eu le temps de donner un avis suffisamment éclairé. Cela rend inopérante notre capacité à influencer ou à adapter ces textes à nos besoins spécifiques avant leur adoption définitive. En plus des délais, il est inacceptable que l’État continue de nous fournir des textes fragmentés, sans version consolidée des lois impactées. Cette absence de consolidation, que nous avons demandée à maintes reprises, rend l’analyse de ces documents extrêmement difficile pour notre Assemblée. Cela freine notre capacité à comprendre les modifications législatives proposées et à anticiper leur impact sur notre territoire. Je rappelle que cette demande de version consolidée du Code monétaire et financier applicable en Polynésie française a déjà été formulée à plusieurs reprises dans nos rapports. Et pourtant, aucune réponse concrète n’a été apportée par l’État. Devons-nous vraiment continuer à accepter d’être traités ainsi, comme si notre avis ne comptait pas ? Comment pourrions-nous, dans ces conditions, faire des propositions adaptées et éclairées ? Les enjeux spécifiques pour la Polynésie française : Le développement des crypto-actifs en Polynésie française est indéniable. Nous voyons de plus en plus d’innovations locales et internationales, notamment avec des fintechs comme Deblock ou Lyzi. Ce marché émergent présente des opportunités économiques considérables. Cependant, il existe des risques significatifs, notamment en matière de cyber sécurité et de volatilité, qui doivent être pris en compte. C’est pourquoi nous reconnaissons l’importance de mettre en place un cadre juridique robuste, tel que celui proposé par ces ordonnances, afin de protéger nos citoyens et nos entreprises contre les risques liés aux crypto-actifs. Mais, je tiens à insister sur le fait que ce cadre ne peut être efficace que si nous sommes capables de comprendre et d’appliquer ces lois dans leur totalité et avec clarté. Propositions d’amélioration du processus de consultation : Afin de remédier à ces insuffisances, plusieurs axes d’amélioration sont possibles : 1°) Mise en place d’un cadre de consultation en amont : Nous devons exiger que l’État mette en place un processus de consultation plus structuré et plus anticipé. Il est impératif que notre Assemblée soit consultée dès les premières étapes de l’élaboration de ces ordonnances, avant qu’elles ne soient adoptées au niveau national ou européen. 2°) Transmission systématique de versions consolidées des textes : Je réitère notre demande pour que des versions consolidées des textes impactés par ces ordonnances nous soient systématiquement fournies. Sans cette consolidation, nous sommes confrontés à un "mic-mac" juridique qui rend l’analyse presque impossible. Il est temps que l’État prenne cette demande au sérieux et nous permette de travailler sur des bases législatives claires et compréhensibles. 3°) Prise en compte des spécificités locales : Enfin, nous devons insister pour que les textes adoptés au niveau national soient adaptés aux réalités et aux besoins de la Polynésie française. L’économie numérique de notre territoire est en plein développement, mais elle a aussi des particularités qui doivent être reflétées dans les législations que nous transposons. En conclusion, Mesdames et Messieurs les représentants, bien que nous comprenions et soutenions les objectifs de ces ordonnances visant à renforcer la sécurité financière et à lutter contre les abus, nous ne pouvons pas accepter la manière dont elles nous sont présentées. Le manque de temps, de clarté et de considération de la part de l’État français est inacceptable. Je vous invite donc à émettre un avis défavorable sur ces projets d’ordonnance en l’état, tout en demandant une révision des procédures de consultation et la fourniture des versions consolidées des textes. Il est crucial que nous puissions travailler dans des conditions qui respectent la réalité de notre territoire et qui garantissent la pleine compréhension des lois que nous devons appliquer. Merci bien et que l’amour règne. Le président : Merci. La discussion générale étant maintenant close, je ne pense pas que le gouvernement ait autre chose à rajouter ? M. Warren Dexter : Juste préciser que mes observations sur ce dossier sont les mêmes que sur le précédent, et je souscris à la conclusion de tous les intervenants dans l’hémicycle sur ce dossier. Merci. Le président : Merci. La discussion est ouverte au titre de l’ensemble de l’avis émis. Y a-t-il des intervenants ? Pas d’intervenant ? Donc je mets aux voix : donc favorable à l’avis défavorable, à l’unanimité ? Merci. Merci bien. Je remercie le gouvernement de leur présence tout au long de cette journée à propos des textes qu’ils nous ont présentés en termes de projets. Les rapports peuvent être consultés sur le site internet de l’assemblée de la Polynésie française à l’adresse www.assemblee.pf |