Tribunal administratif de la Polynésie française Lecture du 10/06/2025 Décision n° 2400361 Type de recours : Excès de pouvoir Solution : Satisfaction totale
| Décision du Tribunal administratif n° 2400361 du 10 juin 2025 Tribunal administratif de Polynésie française 1ère Chambre Vu la procédure suivante : Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 22 août, 2 octobre et 7 novembre 2024, la société civile immobilière Usang Ceran-Jerusalemy, représentée par Me Usang, demande au tribunal d'annuler l'arrêté n° 889 CM du 27 juin 2024 portant modification de la partie " Arrêtés " du code de la concurrence de la Polynésie française relatif à la révision des loyers de certains baux. Elle soutient que : - elle a intérêt à agir ; - l'arrêté a été pris par une autorité incompétente, qui ne pouvait abroger une délibération adoptée par l'assemblée de Polynésie ; - l'arrêté ne peut plafonner la révision des loyers au regard de l'ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000 ; - aucune révision n'est possible, dès lors que l'arrêté fixe des conditions qui ne peuvent être remplies ensemble et qui ne s'appliquent pas aux contrats conclus avant 2017. Par un mémoire en défense, enregistré le 22 octobre 2024, la Polynésie française, représentée par son président, conclut au rejet de la requête. Elle fait valoir : - à titre principal que la requête est irrecevable, faute pour la requérante d'établir son intérêt pour agir, et faute de préciser le nom et le domicile de la partie défenderesse ; - à titre subsidiaire que les moyens soulevés ne sont pas fondés. Par une ordonnance du 22 octobre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 novembre 2024 à 11h00 (heure locale). Vu les autres pièces du dossier ; Vu : - la loi organique modifiée n° 2004-192 du 27 février 2004 ; - la délibération n° 75-41 du 14 février 1975 portant réglementation des baux à usage commercial, artisanal et industriel ; - l'ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000 modifiée relative à la partie Législative du code de commerce ; - la loi du pays n° 2024-16 du 22 juillet 2024 portant modification des Livres Ier et II du code de commerce ; - l'arrêté n° 1831 CM du 10 octobre 2024 portant modification du " Chapitre liminaire - Dispositions relatives à l'encadrement des révisions des loyers de certains baux " de la partie " Arrêté " du code de la concurrence ; - le code de justice administrative ; Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Busidan, - les conclusions de M. Boumendjel, rapporteur public, - les observations de M. A représentant la Polynésie française. Considérant ce qui suit : 1. L'arrêté n° 889 CM du 27 juin 2024, portant modification de la partie " Arrêtés " du code de la concurrence de la Polynésie française relatif à la révision des loyers de certains baux, a, par son article 1er, modifié la partie " Arrêtés " du code de la concurrence de la Polynésie française en y introduisant un chapitre liminaire, qui porte " Dispositions relatives à l'encadrement des révisions des loyers de certains baux ", et qui est composé des articles A. 110-1 à A. 110-7. L'article 2 de ce même arrêté a abrogé trois textes et l'article 3 a précisé que l'entrée en vigueur dudit arrêté était fixée au 30 août 2024. La société civile immobilière Usang Ceran-Jerusalemy demande l'annulation de cet arrêté. Sur la recevabilité de la requête : 2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment de l'extrait K bis et de l'avis d'imposition à l'impôt foncier pour l'année 2024 versés par la société requérante, d'une part, qu'entre notamment dans son objet social " la gestion par location ou autrement de tous immeubles appartenant à la société " et, d'autre part, qu'elle loue des locaux lui appartenant, notamment à des commerces. Dès lors, la fin de non-recevoir opposée par la Polynésie française et tirée de ce que la société requérante n'aurait pas intérêt à poursuivre l'annulation de dispositions encadrant la révision des loyers de certains baux doit être rejetée. 3. En second lieu, en demandant l'annulation d'un arrêté pris par le conseil des ministres de la Polynésie française, la requérante a suffisamment identifié la partie défenderesse au regard des exigences de l'article R. 411-1 du code de justice administrative selon lequel " la requête indique les nom et domicile des parties ". Par suite, la fin de non-recevoir tirée de la méconnaissance de ces dispositions doit être rejetée. Sur les conclusions en annulation : En ce qui concerne le moyen tiré de l'incompétence du conseil des ministres : 4. D'une part, aux termes de l'article 90 de la loi organique statutaire susvisée : " Sous réserve du domaine des actes prévus par l'article 140 dénommés "lois du pays", le conseil des ministres fixe les règles applicables aux matières suivantes : /()/ 6° Prix, tarifs et commerce intérieur ;/() ". Il ressort de l'arrêté en litige que son objet est d'encadrer la révision des loyers des baux des locaux à usage d'habitation comme des locaux à usage commercial, artisanal industriel ou professionnel. La réglementation des loyers relevant de la réglementation des prix, le conseil des ministres de la Polynésie française est compétent, au regard des dispositions précitées, pour prendre l'arrêté attaqué, quand bien même à la date de publication de l'arrêté attaqué, l'article L. 145-37 du code de commerce disposait que la révision des loyers des baux d'immeubles ou de locaux régis par le chapitre V dudit code de commerce s'effectuait dans des conditions prévues par délibération de l'assemblée de la Polynésie française. 5. D'autre part, la compétence du conseil des ministres pour édicter la réglementation attaquée s'apprécie à la date de cette réglementation. Par suite, alors que, comme il vient d'être dit au point précédent, le conseil des ministres est compétent en vertu de la loi organique en matière de réglementation des loyers, la requérante ne peut utilement soutenir que le principe du parallélisme des formes ferait obstacle à ce que le conseil des ministres abroge, par l'article 2 de l'arrêté attaqué, la délibération du 14 février 1975 susvisée portant réglementation des baux à usage commercial, artisanal et industriel. En ce qui concerne le moyen tiré de l'impossibilité de procéder à la révision des loyers : 6. En premier lieu, comme l'indique la requérante, la combinaison des articles A. 110-2 et A. 110-3, relatifs aux conditions s'appliquant à la demande de révision du loyer, avec les articles A. 110-5 et A. 110-7, relatifs au calcul du taux de révision des loyers, mettait en place un mécanisme de révision des loyers impossible à mettre en œuvre, dès lors qu'elle exigeait des bailleurs de formuler la demande de révision avant que le taux de révision puisse être calculé, l'index applicable, à savoir celui de la date d'anniversaire du renouvellement du bail, ne pouvant par hypothèse alors être connu. Cependant, l'arrêté n° 1831 CM du 10 octobre 2024 portant modification du " Chapitre liminaire - Dispositions relatives à l'encadrement des révisions des loyers de certains baux " de la partie " Arrêté " du code de la concurrence, publié au Journal officiel de la Polynésie française le 16 octobre 2024 a modifié ces articles A. 110-5 et A. 110-7, de sorte que l'incohérence invoquée par la requérante a disparu. Dans ces conditions, si l'incohérence interne à l'arrêté attaqué peut être regardée comme une atteinte au principe de sécurité juridique au regard du principe de l'intelligibilité de la norme et peut faire regarder les dispositions en litige comme ayant été illégales entre le 30 août et le 17 octobre 2024, il est constant que ces dispositions abrogées n'ont pu recevoir d'application et il n'y a désormais plus lieu pour le tribunal de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation des articles A. 110-5 et A. 110-7 au regard de ce moyen. 7. En second lieu, contrairement à ce que soutient la requérante, la circonstance que le mécanisme de révision est subordonné à la variation d'un index qui n'existait pas avant 2017 ne fait pas obstacle à ce que les baux conclus avant 2017 puissent être révisés. En effet, il résulte de la combinaison de l'article A. 110-2 et de l'article A. 110-5 pour les baux des locaux à usage d'habitation ou de l'article A. 110-7 pour les baux des locaux à usage commercial, artisanal industriel ou professionnel, que la révision s'opère en fonction de l'index en vigueur au jour de la demande et au regard de l'année écoulée, dès lors que l'alinéa 3 de l'article A. 110-2 dispose : " Il ne peut y avoir de rattrapage des révisions non effectuées les années précédentes ni de perception à titre rétroactif ". Ce moyen doit donc être écarté. En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 145-33 du code de commerce : 8. Par les articles A.110-5 et A. 110-7 qu'il introduit dans le code de la concurrence, l'arrêté attaqué prévoit, tant pour les loyers des baux des locaux à usage d'habitation que pour les loyers des baux des locaux à usage commercial, artisanal, industriel ou professionnel, que le taux de révision à la baisse comme à la hausse ne peut excéder 2%. La requérante fait valoir que cette limitation méconnaît l'article L. 145-33 du code de commerce qui, dans sa rédaction applicable en Polynésie française, dispose : " Le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative. // A défaut d'accord, il est fait référence à des éléments fixés par décret en Conseil d'Etat ". 9. Si le moyen soulevé est inopérant en tant qu'il est dirigé à l'encontre de l'article A. 110-5 qui a vocation à s'appliquer aux baux d'habitation, lesquels ne relèvent pas du code du commerce, la limitation du taux de révision à 2% s'agissant des loyers des baux des locaux à usage commercial, artisanal, industriel ou professionnel est contraire aux dispositions invoquées de l'article L. 145-33 du code de commerce, dès lors que cette limitation ne permet pas de garantir que le loyer révisé dans cette limite de 2 % correspondra à la valeur locative du local loué. Par suite, l'article A. 110-7 introduit par l'arrêté attaqué dans le code de la concurrence doit être annulé en tant qu'il prévoit cette limitation. 10. Il résulte de ce qui précède que la société requérante est seulement fondée à demander l'annulation de l'arrêté attaqué en tant que l'article A. 110-7 qu'il introduit dans le code la concurrence prévoit que : " Le taux de révision à la baisse comme à la hausse des loyers des locaux à usage commercial, artisanal, industriel ou professionnel ne peut excéder 2 % ". D E C I D E : Article 1er : L'arrêté n° 889 CM du 27 juin 2024 portant modification de la partie " Arrêtés " du code de la concurrence de la Polynésie française relatif à la révision des loyers de certains baux, modifié par l'arrêté n° 1831 CM du 10 octobre 2024 portant modification du " Chapitre liminaire - Dispositions relatives à l'encadrement des révisions des loyers de certains baux " de la partie " Arrêté " du code de la concurrence, est annulé en tant que l'article A. 110-7 qu'il introduit dans le code la concurrence prévoit que : " Le taux de révision à la baisse comme à la hausse des loyers des locaux à usage commercial, artisanal, industriel ou professionnel ne peut excéder 2 % ". Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté. Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société civile immobilière Usang Ceran-Jerusalemy et à la Polynésie française. Délibéré après l'audience du 27 mai 2025, à laquelle siégeaient : M. Devillers, président, Mme Busidan, première conseillère, M. Graboy-Grobesco, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juin 2025. La rapporteure, H. Busidan Le président, P. Devillers La greffière, D. Oliva-Germain La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition, Un greffier, |