Rechercher un texte

Recherche avancée
Accueil > Journal Officiel > Journal Officiel 2025 - APF > Sommaire > Débats à l'Assemblée de la Polynésie française

Voir plus d’informations

Rapport n° 80-2025 relatif à l'avis de l'assemblée de la Polynésie française sur le projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer

Paru in extenso au JOPF n° 15 NA du 22/09/2025 à la page 1720

Rapport n° 80-2025 relatif à l’avis de l’assemblée de la Polynésie française sur le projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer


Présenté par Mme et M. les représentants Elise Vanaa et Tematai Le Gayic

Le président : Je souhaite que nous passions au deuxième point de l’ordre du jour, notre avis nous est demandé sur le projet d’une loi française de lutte contre la vie chère dans les outre-mer.

J’ai pensé que c’était Élise qui avait été désignée comme rapporteure… Qui est-ce ?... Tematai.

M. Tematai Le Gayic : Merci bien, Monsieur le président. Monsieur le Président de la Polynésie, Madame la vice‑présidente, chers collègues élus du peuple, Monsieur le président-fondateur, Monsieur le président Fritch, à toutes et à tous rassemblés ce matin, mes salutations dans les grâces divines à l’occasion de notre rencontre.

Le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui est un projet de loi du gouvernement français qui porte sur la vie chère dans les pays dits d’outre-mer. Ce projet de loi, soumis à notre avis, illustre une fois encore, la complexité et la gravité de la lutte contre la vie chère dans les pays dits d’outre-mer.

Dans notre pays, nous en connaissons intimement les causes : éloignement, double insularité et des marchés étroits qui empêchent toute économie d’échelle, une concentration économique telle qu’elle bride la concurrence et confisque le pouvoir de négociation des consommateurs. À ces déterminants structurels s’ajoutent les surcoûts logistiques, notamment dans le transport maritime et aérien, qui viennent alourdir les prix finaux sans réelle alternative pour nos citoyens dispersés.

Face à cette réalité, nous voulons redire que nous devons sortir d’une logique purement défensive, centrée sur des plafonds de prix ou des encadrements de marge qui seuls n’inverseront pas durablement la tendance.

Si nous ne pouvons pas toujours agir sur les prix des produits, il nous appartient d’agir sur le pouvoir d’achat, sur les salaires, sur l’emploi et plus largement sur la capacité de notre économie à produire de la richesse, car c’est en augmentant notre activité, en favorisant l’investissement et la valeur ajoutée sur place que nous pourrons desserrer l’étau de la vie chère.

Pour y parvenir, nous devons oser des plans quinquennaux structurants, clairs, lisibles, adossés à une commande publique capable d’orienter nos priorités, notamment en matière d’infrastructures stratégiques, transports, logistiques, numériques, équipements collectifs. Nous devons investir massivement dans le logement, le logement étant la première dépense des ménages et qui conditionne l’équilibre de leur budget.

Dans cette stratégie, la question fiscale ne peut être écartée. Il nous faut envisager un allègement ciblé de la pression fiscale à la fois sur les ménages et sur les entreprises, afin de libérer des marges de consommation, de soutenir l’investissement privé et de stimuler l’activité. Cet allègement doit cependant être pensé de façon équilibrée sans remettre en cause la soutenabilité de nos finances publiques, ni compromettre la mise en œuvre des plans quinquennaux que nous appelons de nos vœux, notamment pour moderniser nos infrastructures stratégiques.

Nous devons également libérer l’économie en allégeant notre droit du travail de manière ciblée pour faciliter l’embauche, lever certains freins réglementaires, tout en garantissant, bien sûr, la protection sociale essentielle des salariés. C’est en redonnant de la fluidité, de la confiance, de la liberté d’entreprendre que nous soutiendrons la création d’emplois et l’augmentation des salaires. Il n’y aura pas de baisse durable des prix sans une hausse significative de notre production industrielle et artisanale, sans une stratégie de souveraineté économique assumée, sans une montée en puissance de nos filières locales. Créer de la valeur sur notre territoire, renforcer nos capacités de production et de transformation, c’est offrir plus d’opportunités, c’est mieux rémunérer le travail, c’est redonner du souffle à notre tissu social.

Nous partageons évidemment l’objectif général de lutte contre la vie chère, et nous savons combien la situation est dramatique dans d’autres pays dits d’outre-mer, mais ce projet de loi, tel qu’il nous est présenté, se révèle trop partiel, trop centré sur la commande publique de l’État.

À la lumière de ces réserves, la commission des finances propose à notre assemblée d’émettre un avis défavorable, non pas par réflexe d’opposition, mais par lucidité et par exigence, celle de construire avec l’État une véritable stratégie de transformation de l’économie, capable de répondre aux causes profondes de la vie chère, au-delà de la commande publique et des mesures d’affichage.

Merci bien.

Le président : Merci bien. Pour la discussion générale sur ce dossier, la conférence des présidents a défini que 36 minutes étaient accordées au Tavini, 15 minutes au Tapura et 9 minutes aux non‑inscrits.

J’invite maintenant Sonia à ouvrir la discussion générale. Sonia.

Mme Sonia Punua-Taae : Bien. Recevez toutes et tous mes salutations à l’occasion de notre rencontre en cette matinée. Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les ministres et représentants, ainsi que nos invités venus d’outre‑mer, recevez le salut de notre assemblée en ce soir de retrouvailles.

Tout ce qui contribue à rendre la vie moins chère dans nos îles ; toutes les initiatives qui peuvent être prises en ce sens et nous n’avons de cesse depuis le début de la mandature d’appeler le gouvernement Brotherson à agir avec plus de détermination pour soulager le porte-monnaie de nos familles, le groupe Tapura huiraatira ne peut qu’y adhérer.

Or, il faut bien admettre, mes chers collègues, que nous ne nous sentons pas concernés par le projet de loi que le Haut-commissaire de la République nous a transmis pour avis. Et pour cause, la plupart des solutions préconisées correspondent à des problématiques propres aux départements d’outre-mer, sans même prendre en compte les spécificités de notre collectivité autonome du Pacifique.

À une exception près, il est vrai, au travers des articles 14 et 15 relatifs aux marchés publics que les services de l’État seraient amenés à passer en Polynésie, même si l’impact n’en sera que « mineur », de l’aveu même de la représentante de l’État. Quant à la formulation, pour le moins maladroite, employée dans le texte, comparant cette initiative à une banale « expérimentation », elle en dit long sur l’intérêt porté à notre petite collectivité.

Toujours est-il que la cherté des prix, notamment dans le secteur de l’alimentation, les îliens d’ici ou d’ailleurs la vivent avec plus ou moins de résilience, pour ne pas dire d’acceptation ! Il aura fallu un soulèvement pris au sérieux à Paris. Mais outre le projet de loi dont il est ici question, précisons que la délégation sénatoriale aux outre-mer avait déjà dévoilé en avril 2025 son rapport d’information sur le sujet dont il ressort, je cite, « un cycle infernal et récurrent ». Une situation face à laquelle « on ne peut plus se contenter de pansements, il nous faut de vrais remèdes » avait même déclaré la sénatrice Les Républicains de Saint-Barthélémy.

Dans ce contexte, nous le redisons avec force : nous ne nous sentons pas concernés par ce texte ! À plus forte raison, puisque l’exécutif polynésien dispose a priori de toutes les compétences et des leviers nécessaires pour contenir, autant que faire se peut, le niveau des prix.

Par le passé, hors période d’inflation galopante déclenchée sous l’effet de la crise Covid, notre collectivité s’est montrée avant-gardiste en mettant en place des dispositifs tels que les PPN, le système de péréquation pour les hydrocarbures ou encore les mesures de soutien à des produits essentiels du quotidien tels que la farine. Tout n’est pas parfait, certains ajustements sont perfectibles, d’autres concours peuvent encore être sollicités, à commencer par celui des transporteurs maritimes comme la CMA-CGM… mais nous ne sommes pas restés les bras croisés !

Alors, quand j’entends aujourd’hui le directeur de cabinet du MEF se vanter d’une mesure inédite, sous la forme d’une prise en charge partielle des frais d’approche, et qu’il verrait d’un bon œil la participation financière de l’État, j’ai un peu de mal à comprendre de la part du gouvernement qui milite pour la décolonisation et au final, la séparation avec la France.

Il n’en reste pas moins que tôt ou tard, et très probablement avant la fin de l’année, ce projet de loi sera transmis au Parlement et vous pouvez compter sur nos deux députés et nos deux sénateurs pour porter la voix de nos îles, de notre modèle économique, mais aussi des difficultés persistantes à abaisser le coût de la vie, notamment pour les familles les plus modestes. En ce sens, et d’un commun accord avec toutes les forces politiques présentes en commission législative, l’avis défavorable de notre assemblée a été naturellement maintenu mais sa rédaction a été étayée, ne serait-ce que pour demander à l’État davantage de considération sur un sujet qui nous concerne tous.

Je vous remercie de votre attention. Que l’amour règne. Merci.

Le président : Oui, merci bien Madame Sonia. Je donne la parole aux non-inscrits : Nuihau.

M. Nuihau Laurey : Oui, merci Monsieur le président.

On nous demande un avis sur un projet de loi nationale qui porte sur un sujet qui nous intéresse bien sûr beaucoup, celui de la cherté de la vie. Moi, je vois depuis plusieurs années l’assemblée s’élever contre une application, je dirais, dévoyée de notre loi statutaire, dans laquelle l’État, finalement, nous demande notre avis après avoir légiféré. Ça a souvent été le cas, d’où les avis défavorables qui sont rendus.

Là, dans le cas présent, on ne peut pas reprocher à l’État de nous consulter bien, bien, bien au préalable. Je dis ça parce que le texte sur lequel on nous demande un avis n’est même pas entré dans le processus législatif, ni à l’Assemblée nationale, ni au Sénat. Il n’a même pas été adopté par le Conseil des ministres. Il a juste fait l’objet de communications par le ministre des Outre-mer, qui sera en visite ici dans quelques semaines, mais le texte en lui-même n’existe pas encore. Non seulement il n’existe pas encore, mais le Sénat s’est aussi saisi du sujet en faisant des préconisations qui ne sont pas complètement en cohérence avec celles qui sont données par celui du ministre.

Donc, on nous demande notre avis bien, bien au préalable, c’est une bonne chose déjà, mais sur un texte qui est encore mouvant. Maintenant, sur le fond, oui, c’est vrai que la cherté de la vie en outre-mer, en Polynésie n’est pas un phénomène nouveau. On a un écart de prix qui va jusqu’à 45 % sur l’alimentation, des revenus médians qui sont largement inférieurs à ceux de la métropole, une pauvreté importante, quasiment 25 % de Polynésiens sont sous le seuil de pauvreté aujourd’hui et des inégalités territoriales, notamment avec les archipels.

D’où viennent ces écarts de prix ? On les connaît depuis longtemps : l’éloignement des marchés, la double insularité, les petits volumes de consommation qui ne permettent pas des économies d’échelle, la faible concurrence liée aux oligopoles ou aux monopoles, et enfin, des charges logistiques et fiscales qui contribuent à augmenter le coût de la vie en Polynésie.

Quelles ont été les réponses publiques jusqu’à présent ? Beaucoup de dispositifs. On a nous-mêmes nos propres dispositifs : les PPN, les PGC et d’autres dispositions d’exonération de droits pour faire baisser le prix des produits qui sont considérés comme de première nécessité. Le premier texte qui a vraiment essayé de proposer des dispositions un peu plus innovantes que par le passé a été la loi Lurel, en 2012, avec le bouclier qualité-prix, donc, un plafonnement des prix sur certains produits de consommation courante. Est-ce que ça a fonctionné ? Pas vraiment. Le panier moyen est resté 30 à 40 % supérieur à celui qu’il y a en métropole. De nombreux rapports du CÉSEC, du Sénat, de la Cour des comptes ont appelé à plus de transparence et à casser des situations de rente. Est-ce qu’elles ont été cassées, y compris dans des territoires qui ont mis en place des autorités de la concurrence ? Pas vraiment.

Donc les mécanismes de bouclier qualité-prix sont restés finalement très limités dans leur portée. Pour parler plus clairement, ils ne marchent pas. L’opacité des marges commerciales empêche, en fin de compte, tout vrai contrôle, sachant en plus que dans ce domaine, si ce contrôle des marges se faisait réellement, il impacterait davantage les petites structures locales que les grandes sociétés d’importation qui ont la possibilité de pratiquer des marges arrières avec des filiales qu’elles ont créées elles-mêmes dans des pays d’où viennent les approvisionnements. Alors, qu’est-ce que propose le projet de loi de 2025, l’avant-projet de loi, celui qui va être validé par le Conseil des ministres, puis entrera dans le processus législatif ? Un pouvoir d’achat et une compensation de l’éloignement au travers d’un certain nombre de mesures : Plus de transparence économique sur les marges, les prix et les contrôles. On le fait depuis des années déjà, il ne fonctionne pas franchement ; un renforcement de la concurrence avec plus de régulation sectorielle. On a mis en place l’Autorité de la concurrence en Polynésie il y a 10 ans, je ne sais pas si les résultats sont véritablement probants ; et enfin, un soutien au tissu économique local avec la réservation, d’une part, des marchés publics aux PME locales et une obligation de sous-traitance. Je crois que c’est le seul dispositif qui, éventuellement, pourrait changer un peu le — comment dirais-je — le partage des grands marchés publics en Polynésie, mais malheureusement, il va s’appliquer aux marchés de l’État et pas à ceux de la Polynésie, parce que nous sommes compétents dans ce domaine.

Donc, en fin de compte, quand on regarde les mesures qui sont proposées dans un projet de loi qui n’a pas encore été validé par le Conseil des ministres, on constate que, s’agissant de la Polynésie, toutes les propositions qui sont faites, on les a déjà appliquées et elles ne fonctionnent pas réellement. Donc, on a vraiment du mal à traiter les quatre points que j’ai indiqués en début d’exposé, à savoir : Qu’est-ce qui explique la cherté de la vie en Polynésie ? Double insularité, éloignement, petit test des marchés, situation d’oligopole. Et malgré toutes les dispositions réglementaires qu’on a mises en place depuis plus de 10 ans même, et je parle notamment du système des PPN et des PGC, ça ne fonctionne pas.

Moi, je pense qu’il faut revenir à une simplicité des choses, à savoir que lorsqu’un produit est proposé à la consommation en Polynésie, avant d’arriver dans l’entrepôt de l’importateur ou de l’opérateur, il subit déjà une taxation qui est telle qu’on arrive dans de nombreux cas, et je poserai une question orale à la prochaine séance, on arrive déjà à une multiplication par deux, voire par trois du prix initial. Ce qui conduit finalement l’importateur, uniquement pour couvrir ses marges et son risque, de partir non pas du produit initial, mais d’un produit dont le prix est multiplié par 3, et donc d’arriver à des x4, x5, et on arrive à la cherté des prix qu’on a aujourd’hui en Polynésie. Donc seul moyen, finalement, quand on regarde de manière épurée cette situation en Polynésie, le seul moyen d’arriver à une baisse des prix, c’est de supprimer une bonne partie de la taxation à l’entrée des marchandises, mais ça conduit le Pays à devoir faire des arbitrages en termes de dépenses publiques et à réduire, finalement, sa dépense générale.

On revient à chaque fois au même point dans la discussion, mais j’ai souhaité faire cette présentation un peu de tout ce qui a été fait jusqu’à présent dans ce domaine pour bien montrer qu’il s’agisse de mesures nationales ou locales, elles ne marchent pas. Il faut juste arriver à un moment donné à dire, bien oui, tout ce qu’on a imaginé pour — comment dirai-je — faire baisser les prix, on n’y arrivera pas, lorsque les prix sont déjà, comme je l’ai dit, multipliés par 2, voire 3, dès l’arrivée en entrepôt, avant même que l’opérateur économique ne décide de couvrir, de fixer ses prix et de retrouver son éventuel gain.

Donc, je partage l’avis général sur ce texte, à savoir un avis défavorable, même si, et je tenais à le signaler, même si, pour la première fois, l’État nous transmet un texte avant même qu’il rentre dans le processus législatif, mais bon, ce n’était pas le bon. Merci.

Le président : Merci. Je donne la parole au Tavini huiraatira : Thilda.

Mme Thilda Garbutt-Harehoe : Monsieur le président de l’assemblée, Monsieur le Président du gouvernement, Madame la vice-présidente, Messieurs les ministres, Madame la sénatrice, Madame la députée, Monsieur le président Fritch, maire de Pirae, Mesdames et Messieurs les représentants, Mesdames et Messieurs ici présents et ceux qui nous suivent ce matin, Mesdames et Messieurs les collaborateurs, aux élèves de Puna Reo nō Vaihi, aloha. Bonjour, tout le monde.

Dans toutes les sociétés, le prix de la vie quotidienne reflète un rapport de force entre ceux qui produisent et ceux qui consomment, entre les grandes entreprises et les petites familles, entre les centres de pouvoir et les périphéries qu’on oublie trop souvent. Quand le prix du litre de lait dépasse les 180 francs, quand les marges doublent à mesure qu’on s’éloigne de Tahiti, quand les produits essentiels deviennent inaccessibles, ce n’est pas seulement un dysfonctionnement économique, c’est une injustice sociale. Et cette injustice chez nous a des visages, des noms, ce sont des familles entières qui l’encaissent en silence.

Alors, quand un projet de loi est censé porter remède à cette situation, on pourrait s’attendre à une mobilisation forte, à un effort commun, à une volonté réelle de transformation. Mais ce texte, celui qui est soumis à notre avis, semble surtout animé par une volonté de se donner bonne conscience, mais sans rien toucher aux causes profondes.

Oui, le projet comporte plusieurs titres, plusieurs objectifs, des principes affichés. Il évoque la transparence, la concurrence, la souveraineté alimentaire, le pouvoir d’achat. Oui, sur le papier, tout y est, sauf l’essentiel, un impact concret pour les Polynésiens.

Seuls deux articles, les articles 14 et 15, comme quelqu’un l’a rappelé, pourraient théoriquement s’appliquer ici. Et encore, ces dispositions ne concernent que les marchés publics de l’État, mais pas ceux du Pays, pas ceux des communes, pas ceux des établissements publics que nous gérons, juste les marchés que passe l’État lui-même. Et même sur ce point, rien de neuf, car les pratiques actuelles vont déjà dans le sens du soutien aux PME locales. L’État passe ses marchés avec les prestataires présents localement. Alors, à quoi bon mobiliser une commission des services de l’assemblée chargée de rédiger des rapports si c’est pour entériner des pratiques existantes sans rien changer ?

Aussi, ce texte est un bon exemple de ce que produit une mécanique administrative déconnectée du terrain où, un manque de considération d’une petite population perdue dans les confettis des îles d’outre-mer, cette mer qui permet plus pour ce qu’elle permet que pour ce qu’elle est et pour ce qu’elle a, dixit un vice-amiral.

Donc, une loi qui nous arrive en urgence, sans concertation réelle, et sur laquelle on nous demande un avis, alors même qu’elle ne s’applique pas pour nous. Ce n’est pas la première fois, et malheureusement, peut-être pas la dernière. L’État consulte parce qu’il le doit, et non parce qu’il le veut. Il demande notre avis, mais ne cherche pas notre contribution. Il applique des grilles communes à des réalités spécifiques. Il regarde les outre-mer d’un œil globalisant, sans tenir compte des statuts, des compétences, des dynamiques locales.

Le texte évoque une application à titre expérimental des nouvelles règles de marchés publics ici. Quand on dit titre expérimental, ce sont des mots qui réveillent chez certains de très mauvais souvenirs. On prend encore la Polynésie pour une zone d’expérimentation, comme si nous étions un laboratoire institutionnel ; comme si en 2025, il fallait encore tester sur nous ce qui a été conçu pour d’autres.

Le temps du CEP est bien fini, nous ne sommes pas des cobayes. Nous sommes une collectivité adulte, autonome, compétente, capable de penser ses politiques, de gérer ses marchés, d’assumer ses responsabilités.

Nous sommes en droit d’exiger de la considération.

Mais ce qui est peut-être plus choquant encore que ce que contient ce texte, c’est plutôt ce qu’il ne contient pas. Car si vraiment l’éloignement des grands marchés était l’une des causes de la vie chère, aucune mesure sur le fret maritime international, aucune prise en charge des surcoûts logistiques, aucun engagement sur les frais d’approche, sur la continuité territoriale des produits de première nécessité, aucun fonds spécifique, aucun mécanisme de solidarité budgétaire, rien, silence radio. Et pourtant, Ce sont là les vrais leviers pour agir ici. Ce sont les seules marges de manœuvre pour espérer faire baisser durablement les prix dans les archipels. Et ce sont les propositions que nous avons formulées lors du colloque de mars 2025 que le CÉSEC a relayées dans ses rapports et que le gouvernement du pays est en train de mettre en œuvre, mais visiblement, à Paris, ces sujets-là n’intéressent pas ou alors pas encore, ou alors pas assez.

Soyons clairs, nous ne remettons pas en cause les besoins des autres territoires d’outre-mer. Nous savons que la situation est tendue en Martinique, en Guyane, à Mayotte. Nous savons que des mesures urgentes s’imposent et nous soutenons pleinement les démarches engagées pour soulager ces populations, mais cette solidarité n’exige pas que nous nous taisions. Elle n’oblige pas à nous faire valider un texte mal ficelé, mal ciblé, et mal adapté à notre réalité statutaire. Elle ne justifie pas que nous passions sous silence un processus bâclé, une consultation inutile, une absence totale de prise en compte de nos spécificités.

Nous rendrons donc un avis défavorable, non par hostilité, mais par lucidité et par exigence, comme l’a dit quelqu’un. Par respect pour ceux qui souffrent vraiment de la vie chère, ici comme ailleurs, nous disons non à un texte qui n’apporte rien, mais qui prétend tout résoudre.

Nous disons non à l’agitation réglementaire qui sert à masquer l’inaction réelle. Mais nous disons oui à une autre approche, une approche concertée, concrète, structurée, où chaque territoire est respecté pour ce qu’il est et soutenu pour ce qu’il fait, mais pas seulement pour ce qu’il permet à certains d’être.

Merci bien. Que l’amour règne.

Le président : Merci.

Plus d’intervention ? Quelques éléments de réponses du gouvernement du pays ?

M. Warren Dexter : Merci, Monsieur le président.

Donc là, c’est un projet de texte national qui, pour l’essentiel, ne concerne pas notre pays. Mais moi, j’ai quand même été frappé par le fait que les mesures qui sont proposées, il n’y a vraiment rien d’extraordinaire. Pourtant, c’est censé avoir été pensé par des gens qui ont fait des grandes écoles en France. C’est simplement vous dire que contre la vie chère, c’est compliqué. Ce n’est vraiment pas un sujet facile parce que je pense que le problème de base, c’est tout simplement qu’on est sur la liberté d’entreprendre.

Tout le monde est libre de créer son entreprise et donc tout le monde est libre de fixer ses prix. Et donc, dans le cadre de cette liberté d’entreprendre, la meilleure solution, c’est qu’il y ait de la concurrence. Il faut qu’il y ait plein d’acteurs qui se lancent pour que les pays aident les petits à devenir gros et challengent les gros. C’est un travail de longue haleine, mais qui est compliqué, qui est rendu compliqué chez nous parce que c’est tout petit, on a un petit marché. Donc je dirais que dans nos petites collectivités ici, plus que partout ailleurs dans les grands pays, c’est vraiment compliqué. Et moi, je comprends maintenant pourquoi dans tous les Outre-mer, c’est cher, parce que c’est vraiment ça, le handicap. L’éloignement des centres d’intérêt, on importe beaucoup, c’est petit, c’est difficile de faire des économies d’échelle.

Les économies d’échelle, c’est quoi, concrètement ? C’est dire simplement que, quand vous êtes un magasin, et que vous commandez des marchandises pour un million de clients, eh bien, vous avez des remises de votre fournisseur qui sont carrément plus importantes que quand vous commandez des marchandises pour 280 000 personnes. Donc déjà, là, on a un handicap : trop petit, le marché. On n’arrive pas à avoir les grosses remises sur les importations. Après, effectivement, il y a aussi les... On ne va pas appeler ça des dérives, mais c’est le problème de marge arrière. Les commerçants qui bénéficient de remises de fin d’année par les fournisseurs, qui ne répercutent pas ce gain qu’ils font sur les prix. Je dirais qu’en fait, pour être radical, si on était radical, la solution à la vie chère, ce serait que tout soit PPN. C’est ça, la solution.

Donc ça veut dire que tu renies la liberté d’entreprendre et tu passes sur un système dirigiste pour ne pas dire communiste. Tu ne mets pas de taxes et tu obliges tous les commerçants à respecter cette marge, tu n’as pas le droit d’aller au-delà. Mais si on le savait, on ne peut pas. On ne peut pas parce que la liberté d’entreprendre, c’est dans la Constitution française. On ne peut pas déroger à ça. On peut juste faire des dérogations, comme on fait pour les PPN, mais tant que ça reste une petite partie du chiffre d’affaires, le juge dit O.K. Mais à force d’étendre la liste des PPN à d’autres, à un moment donné, il va dire « stop, votre extension de PPN, ça devient illégal parce que ça commence à trop entraver la liberté d’entreprendre ». C’est toujours le même problème. Oui, donc sujet compliqué.

Après, on a effectivement, à notre niveau, notre meilleur levier, ça reste la fiscalité. C’est pour ça, d’ailleurs, que je proposais à votre approbation, il y a quelques temps, la fameuse LP sur les exonérations. Parce que c’est vraiment pour avoir l’assurance que quand le pays enlève une taxe, cette taxe est plus bénéficiaire à la baisse pour le consommateur. S’assurer qu’entre-temps, personne n’a mis ses gains de fiscalité dans la poche. Donc on va partir sur ces réflexions-là, mais après, ça pose aussi d’autres problèmes, j’ai envie de dire, peut-être dogmatiques, parce que si on baisse trop la fiscalité à l’importation, eh bien, ça va être au préjudice de tout ce qui est production locale. Déjà qu’aujourd’hui, vous savez que les légumes importés sont déjà moins chers que les légumes locaux. Si on abaisse encore la fiscalité sur les importés, on va les rendre encore plus compétitifs par rapport à la production locale. Il faut savoir aussi où on veut aller là-dessus. Donc c’est vraiment, la cherté de la vie, c’est vraiment un sujet très, très complexe.

Je vous avoue que je n’imaginais pas que c’était aussi complexe quand j’ai pris mes fonctions. On découvre tous les jours, mais tous les jours aussi, on cherche à trouver les meilleures solutions pour que ça bénéficie à notre population.

Merci.

Le président : Merci bien.

Lana.

Mme Lana Tetuanui : Oui, merci, président. Merci bien.

J’ai écouté notre ministre, je dois dire qu’il a éveillé en moi un véritable intérêt.

Au moins, ça a le mérite d’être clair. Contrairement à certains qui essayent seulement de noyer le poisson. Non, non, mais, Monsieur le ministre, je vous applaudis. Je vous applaudis. Sur l’avis, je me suis exprimée en commission. Pourquoi aller s’attarder ? Pourquoi aller disserter sur une compétence qui n’est pas celle de l’État, qui est complètement la nôtre ? Nous nous sommes déjà exprimés devant le ministre en charge des outre-mer. Contrairement au département où l’État peut intervenir, il n’y a aucun souci, mais concernant nos collectivités, et en particulier la Polynésie française où la compétence de la fiscalité, est totalement celle du pays.

Bon, par principe, puisque c’est un avis et je remercie le rapporteur, puisque de commun accord, on ne s’oppose pas par solidarité pour les autres concitoyens, surtout des départements, s’il y a des mesures qui vont dans le sens à faire baisser le coût de la vie dans les départements, nous soutenons la démarche. Par contre, en ce qui concerne la Polynésie française, la clé est, entre vos mains, Monsieur le ministre des finances, et vous venez d’évoquer quelques pistes.

Ça me permet de rebondir et de proposer au président de l’assemblée, contrairement à ses commissions d’enquête, je ne sais pas moi, pour aller trouver, je ne sais pas moi, de l’or, du diamant peut-être au fin fond de l’océan Pacifique, voilà une belle commission d’enquête : la pratique des marges arrière. Voilà. On peut aller…

Pourquoi les légumes importés coûtent moins chers que nos produits locaux ? Question. Il y a une raison, il y a une raison.

Enfin voilà ce que je pense pour parler aussi de la lutte contre la vie chère. Parce que j’avais compris qu’en 2023, on annule les 1 % de TVA social, tout va baisser dans ce pays. Deux ans après, on est encore en train de ressasser. C’est ce que je pense. Les pistes que vous avez évoquées, par contre, les préconisations, on pourrait s’en inspirer. Parce qu’au titre de l’État, en France, nous avons auditionné le grand patron CMA-CGM. Et c’est là où je rejoins, Monsieur le ministre, en matière de marché, la Polynésie est carrément au bout — comment dirais-je ? — de la route maritime par rapport aux autres pays.

Ils ont dit « oui, on pourrait baisser, ils pourraient faire un effort, mais en termes de délai pour livrer en Polynésie, vous ne ferez plus partie, vous ne faites pas déjà partie des priorités pour les transporteurs maritimes », c’est une chose. Encore moins si on demande encore de faire un effort, alors là, avant peut-être un délai, c’était trois mois, si on voulait commander des produits, je pense que ça va être encore rallongé.

Le sujet est complexe, Monsieur le ministre, je suis d’accord avec vous. Le sujet est très complexe. Mais peut-être, ne serait-ce qu’au niveau local, si nos présidents étaient d’accord, voilà une belle... Je n’aime pas trop le mot commission d’enquête. J’ai l’impression qu’on va aller enquêter, on va faire les policiers judiciaires. Non, mais une mission d’information, surtout sur les fameuses marges arrière que certains pratiquent.

Quand la baguette est payée à 53 F CFP à Tumaraa, on va à Hao, chez les maires de Hao, la baguette est hors de prixCombien elle coûte maintenant, Monsieur le maire, peut-être 120 F CFP, ou bien 130 F CFP ? Alors que la farine quand même est subventionnée par le pays. Il y a quelque chose qui ne va pas. Ça, c’est une réalité.

Moi, je n’ai pas honte de le dire, parce que c’est un constat. C’est un constat. Ou parfois, des choses sont moins chères dans nos îles et plus chères ici, à Tahiti. Attends, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Donc, il y a vraiment des acteurs... Enfin, je ne dirais pas le contraire des acteurs, mais il y a des acteurs dans ce pays qui font la pluie et le beau temps, et je pense que ça mérite peut-être l’attention, mais une attention plus concrète des élus que nous sommes.

Voilà ce que je voulais dire, Monsieur le président. Merci.

Le président : Merci. C’est noté.

Quelques éléments de réponses ? Non, le gouvernement ? D’accord.

Avant de passer au vote, j’invite Cliff à donner lecture de son amendement.

M. Cliff Loussan : Merci, Monsieur le président.

Avant de donner les lectures, je tenais à préciser que c’est conjointement avec Madame Teumere Atger-Hoi que nous avons déposé cette proposition de modification.

Alors, il est proposé de modifier le projet d’avis comme suit :

Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« En effet, l’absence d’éléments permettant de mesurer l’impact potentiel des dispositions proposées sur la compétence de la Polynésie française et sa pleine souveraineté en matière de commande publique telles que définies aux articles 28-1 et 49 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, empêche d’émettre un avis pleinement éclairé. »

À l’avant-dernier alinéa, après les mots : « sur un sujet aussi important » sont insérés les mots : « que celui de la vie chère ».

Le reste sans changement.

Cette proposition de modification a pour objectif d’une part de réaffirmer que la Polynésie française fixe les règles relatives à la commande publique sur son territoire y compris celles des communes qui sont des collectivités d’État et, d’autre part, de préciser l’impossibilité de rendre un avis éclairé compte tenu de l’absence d’éléments permettant de mesurer l’impact que pourraient avoir les dispositions du projet de loi sur cette compétence.

Par ailleurs, une précision est également apportée à l’avant-dernier alinéa.

Merci.

Le président : Merci bien.

Pas d’intervention ? Lana.

Mme Lana Tetuanui : Merci, Monsieur le président.

J’ai presque envie de dire à mes deux collègues, vous êtes à la course aux échalotes ou aux statistiques en termes de déposer des amendements. Non, mais j’ai envie de dire à mon collègue Cliff d’aller relire l’article 49 du statut. Est-ce que c’est écrit « pleine souveraineté » en matière de commandes publiques ? Est-ce que c’est rédigé tel quel, l’article 49 ?

Moi, je te conseillerais, mais en toute amitié, de retirer ton amendement qui ne tient pas la route. Et d’ailleurs, et d’ailleurs, pourquoi aller déposer un amendement puisqu’à l’unanimité, nous nous sommes mis d’accord de renvoyer l’avis qui nous est demandé à l’État. Je te conseillerais fortement de retirer ton amendement. Ça ne tient pas du tout la route.

Le président : Elise.

Mme Elise Vanaa : Merci, président.

Alors, comme en tant que co-rapporteure de ce texte, je soutiens ce qui vient d’être dit par Madame Lana, notre sénatrice. Retirez cet amendement, il n’a aucun intérêt.

Merci.

Le président : Cliff.

M. Cliff Loussan : Alors, en concertation avec Madame Teumere Hoi-Atger, on maintient l’amendement.

M. Édouard Fritch : Président !

Le président : Édouard.

M. Édouard Fritch : En concertation avec Lana Tetuanui, nous ne voterons pas le texte qui est prévu, l’avis de l’assemblée.

Le président : Cliff.

M. Cliff Loussan : Après, ça ne change pas non plus le vote défavorable au final, mais ça méritait des précisions.

Le président : Lana.

Mme Lana Tetuanui : Je vais aller dans le sens d’Elise.

Monsieur Cliff Loussan, mais avec tout le respect que je vous dois, au même titre, nous sommes représentants à l’assemblée de Polynésie. On ne peut pas, via un amendement à la volée comme ça, venir réécrire un article du statut de la Polynésie. Ça ne se fait pas comme ça. Un amendement à l’assemblée, c’est tout ce que je te demande. Ça ne tient pas la route. Le pire, vous avez cité l’article.

M. Cliff Loussan : Alors, si c’est le mot « souveraineté » qui pose problème, alors on peut proposer une réécriture de la proposition de modification, Madame la sénatrice.

Mme Lana Tetuanui : Eh bien, j’aurais eu raison, et puis on aurait tous eu raison. Je ne vais pas étaler la discussion, puisque je viens de dire, et je ne vais pas paraître redondante. Ça ne tient pas du tout la route, réécrire un article du statut de la Polynésie via un amendement, puisque nous sommes d’accord.

Moi, je demanderais, président, on passe au vote, puisqu’on soutient l’avis défavorable qui est porté par nos rapporteurs. Point. On a encore un ordre du jour très étendu.

Le président : Nuihau.

M. Nuihau Laurey : Oui, Monsieur le président, on a chacun des temps d’intervention, on a chacun la possibilité d’exprimer ce qu’on pense des textes qui nous sont soumis. Là, on nous saisit pour un avis qui peut être favorable ou défavorable. Il ne peut pas y avoir de discussion autre que avis favorable ou défavorable. Donc, comme ma collègue l’a indiqué, on a beaucoup de textes aujourd’hui. Donc, moi aussi, je soutiens la proposition qui a été faite par ma collègue Élise de retirer cet amendement, on passe au vote, et nous, on vote défavorablement aussi à cet avis.

Le président : Cliff.

M. Cliff Loussan : O.K. Donc nous retirons cette proposition de modification.

Le président : Voilà. Merci.

Je vous soumets à présent cette proposition d’avis défavorable au vote. Qui est pour l’avis défavorable ? À l’unanimité ? Merci.

Nous poursuivons.



Les rapports peuvent être consultés sur le site internet de l’assemblée de la Polynésie française à l’adresse www.assemblee.pf
Les interventions en langues polynésiennes ont fait l’objet d’une traduction surlignée en gris.

X
Bienvenue.
Nous utilisons des cookies pour analyser et améliorer notre service, personnaliser le contenu, améliorer l’expérience utilisateur et mesurer l’audience. Ces cookies sont de deux types :
  • Des cookies de navigation qui sont nécessaires au bon fonctionnement du site Web et qui ne peuvent être désactivés ;
  • Des cookies de mesure d’audience qui permettent de compter les visites et les sources de trafic afin de pouvoir améliorer les performances de notre site. Ils permettent de connaître la fréquentation des pages et la façon dont les visiteurs se déplacent sur le site.

Pour plus d’information, consulter notre politique de protection des données