Tribunal administratif de la Polynésie française Lecture du 21/06/2016 Décision n° 1500511 | Décision du Tribunal administratif n° 1500511 du 21 juin 2016 Tribunal administratif de Polynésie française Vu la procédure suivante : Par une requête enregistrée le 1er octobre 2015 et un mémoire enregistré le 3 décembre 2015, présentés par Me Eftimie-Spitz, avocate, Mme Gaëlle B., Mme Valérie M., M. Yves C. et M. Pierre B. demandent au tribunal : 1°) d’annuler la décision implicite de rejet de leur demande d’abrogation de l’arrêté n° 831 CM du 12 juin 2009 ; 2°) d’enjoindre à la Polynésie française d’abroger cet arrêté ; 3°) de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 150 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les requérants soutiennent que : - ils ont tous intérêt à agir dès lors que l’arrêté n° 831 CM du 12 juin 2009 impacte leurs conditions de rémunération ; en tout état de cause, Mme M. est toujours en fonction à l’hôpital de Taravao ; une décision implicite de rejet de leur demande d’abrogation est née à l’expiration d’un délai de 2 mois ; - il résulte des dispositions de l’article 3 de la délibération n° 2005-37 APF du 3 juillet 2007 et des articles 2 et 8 de l’arrêté n° 996 CM du 17 juillet 2007 que les médecins hospitaliers effectuent soit un service de jour, soit un service de garde ; il résulte des dispositions combinées des articles 2 et 4 de l’arrêté du 17 juillet 2007 que dans une même semaine, un médecin doit se consacrer exclusivement soit au service normal de jour, soit au service de garde ; l’arrêté n° 831 CM du 12 juin 2009, qui introduit un « service quotidien de jour suivi d’une permanence sur place dans le cadre du temps médical continu », méconnaît les dispositions de l’article 3 de la délibération du 3 juillet 2007 ; - l’arrêté du 12 juin 2009 est également illégal en tant qu’il contredit toute la réglementation antérieure et rend illisible l’arrêté du 17 juillet 2007, en méconnaissance du principe de sécurité juridique et de l’objectif constitutionnel d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi ; - le seul fait qu’une réforme est en cours ne justifie pas le refus d’abroger un texte illégal. Par des mémoires en défense enregistrés les 3 novembre et 16 décembre 2015, la Polynésie française conclut au rejet de la requête. Elle soutient que : - Mme B., recrutée en qualité d’agent non titulaire du 20 août 2014 au 19 août 2015, a quitté le territoire le 13 août 2015, M. B. et M. C. ont démissionné et n’exercent plus depuis, respectivement, le 6 juin et le 22 août 2015 ; Mme M., toujours en fonction à l’hôpital de Taravao, continue à être indemnisée de ses gardes et astreintes sur le fondement des dispositions de l’arrêté du 12 juin 2009 ; ainsi, les requérants n’ont pas intérêt à l’abrogation de cet arrêté ; - l’absence de réponse ne peut être regardée comme une décision implicite de refus dans la mesure où la collectivité travaille sur une refonte de l’organisation et de l’indemnisation des services de garde dans les hôpitaux périphériques de la direction de la santé ; ainsi, la requête est irrecevable ; - à titre subsidiaire : les modalités d’organisation des services de garde sont définies par l’arrêté du 17 juillet 2007, dont les dispositions ne permettent qu’une organisation en service normal les jours ouvrables, de 7 h 30 à 15 h 30, et un service de permanence par garde ou astreinte les nuits et les week-ends ; pour tenir compte de la réalité des besoins du service des urgences, l’hôpital de Taravao fonctionne depuis 2008 en temps médical continu, avec une présence médicale de jour et de nuit ; cette dérogation reste conforme à l’article 2 de la délibération du 3 juillet 2007 ; l’arrêté du 12 juin 2009, qui modifie l’article 6 de l’arrêté du 17 juillet 2007, permet d’opter, dans les hôpitaux périphériques de la direction de la santé, pour un système de garde établi sur un cycle de 4 ou 5 semaines ; cet arrêté n’est pas illégal mais insuffisamment précis sur les modalités d’indemnisation des gardes et astreintes ; ces vides juridiques donnent lieu à de multiples interprétations ; de nouveaux textes sont en cours d’élaboration ; l’abrogation de l’arrêté du 12 juin 2009 serait contraire à l’intérêt général car l’arrêté du 17 juillet 2007 dans sa rédaction initiale ne permet pas d’assurer la permanence médicale de jour comme de nuit au service des urgences de l’hôpital de Taravao. Vu : - les autres pièces du dossier ; - l’absence de M. Reymond-Kellal, nommé sous-préfet de Commercy par décret du 19 février 2016 ; - la décision du procureur général près la cour d’appel de Papeete désignant M. Rouch, substitut général, pour compléter le tribunal à l’audience du 24 mai 2016. Vu : - la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ; - la délibération n° 2005-37 APF du 3 juillet 2007 ; - l’arrêté n° 996 CM du 17 juillet 2007 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus au cours de l’audience publique : - le rapport de Mme Meyer, première conseillère, - les conclusions de M. Retterer, rapporteur public, - les observations de Me Eftimie-Spitz, représentant les requérants, et de M. Lebon, représentant la Polynésie française. Sur les fins de non-recevoir opposées en défense : En ce qui concerne l’existence de la décision attaquée : 1. Considérant qu’aux termes de l’article R. 421-2 du code de justice administrative dans sa rédaction applicable au litige : « Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, le silence gardé pendant plus de deux mois sur une réclamation par l'autorité compétente vaut décision de rejet. / Les intéressés disposent, pour se pourvoir contre cette décision implicite, d'un délai de deux mois à compter du jour de l'expiration de la période mentionnée au premier alinéa. (…) » ; que ces dispositions, qui ont pour objet de permettre la saisine du juge administratif en cas de silence de l’administration sur une réclamation, relèvent de la procédure administrative contentieuse ; qu’elles sont applicables aux administrations de la Polynésie française en vertu des dispositions du 2° de l’article 14 de la loi organique du 27 février 2004 ; 2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la demande d’abrogation de l’arrêté n° 831 CM du 12 juin 2009 a été notifiée aux services de la présidence de la Polynésie française le 5 mai 2015 ; qu’en vertu des dispositions précitées de l’article R. 421-2 du code de justice administrative, l’absence de réponse a fait naître une décision implicite de rejet le 5 juillet 2015 ; que, par suite, la fin de non-recevoir tirée de l’inexistence de la décision implicite attaquée doit être écartée ; En ce qui concerne l’intérêt à agir des requérants : 3. Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la délibération du 3 juillet 2007 relative à l’organisation et l’indemnisation des services de garde dans les hôpitaux périphériques de la direction de la santé : « La présente délibération définit les modalités d’organisation et d’indemnisation des services de garde effectués, dans les hôpitaux périphériques dont la liste est précisée par arrêté pris en conseil des ministres, par : / - les praticiens hospitaliers et les médecins relevant du statut de la fonction publique de la Polynésie française ; / - les praticiens hospitaliers et les médecins en position de détachement ou de mise à disposition auprès de la Polynésie française ; / - les médecins relevant de la convention collective des ANFA. » ; qu’aux termes de l’article 1er de l’arrêté du 17 juillet 2007 portant organisation et indemnisation des services de garde dans les hôpitaux périphériques de la direction de la santé : « (…) Les hôpitaux périphériques concernés sont ceux de Taravao, Afareaitu, Uturoa et Taiohae. » ; 4. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, et notamment d’une note du 25 février 2014 du ministre de la Polynésie française chargé des finances à son homologue chargée de la santé, que l’application de l’arrêté du 12 juin 2009, au demeurant considéré comme illégal par l’auteur de cette note, a pour effet de restreindre le droit à rémunération du service de garde des praticiens hospitaliers et des médecins affectés à l’hôpital de Taravao, ce qui est à l’origine d’un conflit récurrent entre les intéressés et les administrations concernées de la Polynésie française ; qu’en leur qualité de médecins urgentistes à l’hôpital de Taravao, les requérants ont présenté une demande d’abrogation de cet arrêté, qui, ainsi qu’il a été dit au point 2, a été implicitement rejetée le 5 juillet suivant ; qu’à cette date, seul M. B., dont la démission a pris effet le 6 juin 2015, n’était plus en fonction à l’hôpital de Taravao ; que le refus d’abrogation de l’arrêté du 12 juin 2009 a eu une incidence sur les droits des trois autres requérants à la rémunération du service de garde effectué postérieurement au 5 juillet 2015 ; qu’ainsi, la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir ne peut être accueillie qu’en ce qui concerne M. B. ; Sur les conclusions à fin d’annulation de la décision implicite de refus d’abrogation de l’arrêté du 12 juin 2009 : 5. Considérant que l'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date (CE Assemblée 3 février 1989 n° 74052, A) ; 6. Considérant qu’aux termes de l’article 2 de la délibération du 3 juillet 2007 : « Afin d’assurer la continuité du service et la permanence des soins, tous les praticiens hospitaliers et médecins en fonction dans les hôpitaux participent au service de garde, à l’exception de ceux bénéficiant d’une dérogation accordée par le directeur de la santé sur proposition du directeur de l’hôpital après avis de la commission médicale d’établissement lorsqu’elle existe. » ; qu’aux termes de l’article 3 de la même délibération : « Dans les hôpitaux visés à l’article 1er ci-dessus, l’activité est organisée par le directeur de chacun de ces hôpitaux en distinguant un service normal de jour et un service de garde. » ; qu’aux termes de l’article 4 de cette délibération : « Le service normal de jour comprend : / - les services médicaux quotidiens du matin et de l’après-midi de chacun des six jours ouvrables auprès des patients hospitalisés et des consultants externes (…) » ; qu’aux termes de l’article 5 de cette délibération : « Le service de garde a pour objet d’assurer à la fin du service normal de jour, pendant chaque nuit et pendant la journée du dimanche ou des jours fériés, la sécurité des patients hospitalisés ou pris en charge dans le cadre des urgences et la permanence des soins excédant la compétence des auxiliaires médicaux. » ; qu’aux termes de l’article 10 de cette délibération : « Les praticiens hospitaliers ou les médecins en fonction dans les hôpitaux visés à l’article 1er de la présente délibération bénéficient, dans le cadre de leur participation au service de garde, d’une indemnité par garde dont la valeur indiciaire est fixée par un arrêté pris en conseil des ministres. » ; qu’il résulte de ces dispositions que les praticiens hospitaliers et les médecins affectés dans les hôpitaux périphériques de la direction de la santé assurent leur service selon deux modalités distinctes, à savoir un service normal de jour le matin et l’après-midi des jours ouvrables, et un service de garde la nuit, le dimanche et les jours fériés, et que ce dernier est rémunéré par une indemnité ; 7. Considérant que la délibération du 3 juillet 2007 ne prévoit aucune dérogation aux modalités d’organisation du service exposées au point précédent ; que l’arrêté du 17 juillet 2007 pris pour son application se borne, dans sa version d’origine, à préciser ces modalités et à fixer les montants des indemnités de garde ; que l’arrêté modificatif du 12 juin 2009 ajoute le second alinéa suivant à l’article 6 de l’arrêté du 17 juillet 2007 fixant les horaires du service de garde de nuit : « Dans le cadre d’un service quotidien de jour, suivi d’une permanence sur place ou dans le cadre du temps médical continu, les médecins et praticiens hospitaliers effectuent leurs obligations normales de service, de jour comme de nuit, sur la base horaire de 156 heures, ou de 13 gardes de 12 heures, pour un cycle de 4 semaines, et sur la base horaire de 195 heures, ou de 16 gardes de 12 heures, pour un cycle de 5 semaines. Le temps de travail supplémentaire de jour comme de nuit, effectué au-delà des obligations normales de service, est rémunéré au tarif de la garde par permanence » ; que ces dernières dispositions définissent de nouvelles obligations de service par cycles, non prévues par la délibération du 3 juillet 2007, qui incluent dans un même volume horaire le service de jour et le service de garde, ce dernier n’ouvrant plus de droit à une indemnisation systématique, mais seulement lorsqu’il excède la durée du travail affectée au cycle ; qu’ainsi, et sans que la Polynésie française puisse utilement faire valoir qu’une modification de la délibération du 3 juillet 2007 est en cours d’élaboration, les requérants sont fondés à soutenir que l’arrêté du 12 juin 2009 méconnaît les dispositions précitées de cette délibération, et, par suite, à demander l’annulation de la décision implicite de rejet de leur demande d’abrogation de cet arrêté ; Sur les conclusions à fin d’injonction : 8. Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. » ; qu’eu égard au motif de l’annulation prononcée, il y a lieu d’enjoindre à la Polynésie française d’abroger l’arrêté du 12 juin 2009 dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision ; Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : 9. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 150 000 FCP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; DECIDE : Article 1er : La décision implicite par laquelle la Polynésie française a rejeté la demande d’abrogation de l’arrêté n° 831 CM du 12 juin 2009 présentée par Mme B. et autres est annulée. Article 2 : Il est enjoint à la Polynésie française d’abroger l’arrêté n° 831 CM du 12 juin 2009 dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision. Article 3 : La Polynésie française versera solidairement à Mme Gaëlle B., Mme Valérie M. et M. Yves C. une somme de 150 000 FCP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté. Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme Gaëlle B., à Mme Valérie M., à M. Yves C., à M. Pierre B. et à la Polynésie française. Délibéré après l'audience du 24 mai 2016, à laquelle siégeaient : M. Tallec, président, Mme Meyer, première conseillère, M. Rouch, substitut général près la cour d’appel de Papeete. Lu en audience publique le 21 juin 2016. La greffière, D. Germain La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition, Un greffier, |