Tribunal administratif de la Polynésie française Lecture du 21/06/2016 Décision n° 1500598 Type de recours : Plein contentieux Solution : Satisfaction | Décision du Tribunal administratif n° 1500598 du 21 juin 2016 Tribunal administratif de Polynésie française Vu la procédure suivante : Par une requête enregistrée le 3 novembre 2015 et des mémoires enregistrés les 13 novembre 2015, 1er avril 2016 et 3 mai 2016, présentés par Me Eftimie-Spitz, avocate, M. Jean-Yves B. doit être regardé comme demandant au tribunal, dans le dernier état de ses écritures : 1°) d’annuler le titre de recette n° 2031 du 1er septembre 2015 lui demandant de reverser la somme de 2 001 640 F CFP ; 2°) de condamner la Polynésie française à lui verser la différence entre les sommes qui lui ont été payées et celles qui lui restent dues en application de la délibération du 3 juillet 2007 et de l’arrêté du 17 juillet 2007, soit 4 185 293 F CFP, en écartant l’arrêté du 12 juillet 2009, ou à titre subsidiaire de le renvoyer devant l’administration pour la liquidation de ses droits ; 3°) de condamner la Polynésie française à lui verser une indemnité de 500 000 F CFP ; 4°) de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 150 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Le requérant soutient que : En ce qui concerne le titre de recette : - le titre de recette n’est pas signé et ne comporte pas les mentions prévues par les dispositions de l’article 4 de la loi du 12 avril 2000 ; - les rémunérations qui lui ont été versées constituent des décisions créatrices de droits qui ne pouvaient être retirées au-delà d’un délai de 4 mois ; - il résulte des dispositions de l’article 3 de la délibération n° 2005-37 APF du 3 juillet 2007 et des articles 2 et 8 de l’arrêté n° 996 CM du 17 juillet 2007 que les médecins hospitaliers effectuent soit un service de jour, soit un service de garde ; l’arrêté du 17 juillet 2007 définit le service normal de jour et le service de garde pour la nuit, le dimanche et les jours fériés ; l’arrêté n° 831 CM du 12 juin 2009, qui introduit un « service quotidien de jour suivi d’une permanence sur place dans le cadre du temps médical continu », méconnaît les dispositions de l’article 3 de la délibération du 3 juillet 2007 ; ainsi, le titre de recette est illégal du fait de l’illégalité de l’arrêté du 12 juin 2009 ; En ce qui concerne les demandes indemnitaires : - son recours est recevable dès lors qu’une décision de rejet de sa demande préalable est née en cours d’instance ; - il a droit à la rémunération de son service de garde conformément aux dispositions des articles 12 et 13 de l’arrêté du 17 juillet 2007, sans faire application de l’arrêté illégal du 12 juin 2009 ; c’est à la demande de l’administration que les médecins ont été contraints de présenter de faux états de service qui ne se rapportaient cependant à aucun travail fictif ; - il sollicite une indemnité de 500 000 F CFP en réparation du préjudice en lien avec l’erreur commise par la Polynésie française dans la liquidation de ses rémunérations. Par des mémoires en défense enregistrés le 22 décembre 2015 et les 1er avril et 20 mai 2016, la Polynésie française conclut au rejet de la requête. Elle soutient que : En ce qui concerne le titre de recette : - en vertu de l’article 84 de la délibération n° 95-205 AT du 23 novembre 1995, le remboursement des trop-perçus sur salaires et accessoires de salaires peut s’exécuter sans émission de titre ; ainsi, le moyen tiré de l’irrégularité du titre exécutoire est inopérant ; - M. B. a perçu une somme qui ne lui était pas due au titre des gardes et astreintes effectuées durant la période d’août 2013 à août 2014, ce qui caractérise une erreur de liquidation et non une décision créatrice de droits ; le titre de recette a été émis à la suite de la transmission par la direction de la santé de courriers et de tableaux attestant de l’absence de service fait sur plusieurs plages horaires ; par une lettre du 26 janvier 2015, les médecins urgentistes de l’hôpital de Taravao ont informé le vice-président de la Polynésie française de ce qu’ils signaient depuis plusieurs années de faux états d’heures pour percevoir une rémunération que la réglementation en vigueur ne permet pas ; les pièces produites font apparaître les écarts entre les gardes et astreintes comptabilisées et celles réellement effectuées ; en l’absence de service fait, les sommes versées à tort doivent être récupérées ; l’administration ne peut être condamnée à verser une somme qu’elle ne doit pas ; - les modalités d’organisation du service de garde sont définies par l’arrêté du 17 juillet 2007, dont les dispositions ne permettent qu’une organisation en service normal les jours ouvrables, de 7 h 30 à 15 h 30, et un service de permanence par garde ou astreinte les nuits et les week- ends ; pour tenir compte de la réalité des besoins du service des urgences, l’hôpital de Taravao fonctionne depuis 2008 en temps médical continu, avec une présence médicale de jour et de nuit ; cette dérogation reste conforme à l’article 2 de la délibération du 3 juillet 2007 ; elle trouve son fondement légal dans l’arrêté du 12 juin 2009, qui permet d’opter, dans les hôpitaux périphériques de la direction de la santé, pour un système de garde établi sur un cycle de 4 ou 5 semaines ; dès lors que rien n’interdit de réaliser un service de jour de 10 demi-journées et un service de garde, cet arrêté est conforme aux principes édictés par la délibération du 3 juillet 2007 ; le titre de recettes correspond à des rémunérations conformes à l’arrêté du 12 juin 2009 ; En ce qui concerne les demandes indemnitaires : - le contentieux n’était pas lié à la date d’introduction de la requête puisque la demande préalable n’a été notifiée que le 9 novembre 2015 ; la somme demandée au titre de la rémunération restant due n’apparaît pas dans cette demande ; ainsi, les demandes indemnitaires sont irrecevables ; - dès lors que l’arrêté du 12 juin 2009 n’a été ni retiré, ni abrogé, elle n’est pas redevable d’une rémunération restant due ; - elle n’a pas commis de faute dans la liquidation des rémunérations de M. B.. Vu : - les autres pièces du dossier ; - l’absence de M. Reymond-Kellal, nommé sous-préfet de Commercy par décret du 19 février 2016 ; - la décision du procureur général près la cour d’appel de Papeete désignant M. Rouch, substitut général, pour compléter le tribunal à l’audience du 24 mai 2016. Vu : - la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ; - la délibération n° 2005-37 APF du 3 juillet 2007 ; - l’arrêté n° 996 CM du 17 juillet 2007 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus au cours de l’audience publique : - le rapport de Mme Meyer, première conseillère, - les conclusions de M. Retterer, rapporteur public, - les observations de Me Eftimie-Spitz, représentant M. B., et de M. Lebon, représentant la Polynésie française. Sur les conclusions à fin d’annulation du titre de recette n° 2031 du 1er septembre 2015 : Sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête : 1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le titre de recette attaqué a été établi pour le recouvrement de sommes perçues à tort par M. B., médecin urgentiste à l’hôpital de Taravao, au titre du service de garde qu’il a effectué durant la période du 1er août 2013 au 31 août 2014 ; que son montant de 2 001 640 F CFP a été déterminé sur le fondement de l’arrêté n° 831 CM du 12 juin 2009 modifiant l’arrêté n° 996 CM du 17 juillet 2007 pris pour l’application de la délibération du 3 juillet 2007 relative à l’organisation et l’indemnisation des services de garde dans les hôpitaux périphériques de la direction de la santé, dont fait partie l’hôpital de Taravao ; 2. Considérant qu’aux termes de l’article 2 de la délibération du 3 juillet 2007 : « Afin d’assurer la continuité du service et la permanence des soins, tous les praticiens hospitaliers et médecins en fonction dans les hôpitaux participent au service de garde, à l’exception de ceux bénéficiant d’une dérogation accordée par le directeur de la santé sur proposition du directeur de l’hôpital après avis de la commission médicale d’établissement lorsqu’elle existe. » ; qu’aux termes de l’article 3 de la même délibération : « Dans les hôpitaux visés à l’article 1er ci-dessus, l’activité est organisée par le directeur de chacun de ces hôpitaux en distinguant un service normal de jour et un service de garde. » ; qu’aux termes de l’article 4 de cette délibération : « Le service normal de jour comprend : / - les services médicaux quotidiens du matin et de l’après-midi de chacun des six jours ouvrables auprès des patients hospitalisés et des consultants externes (…) » ; qu’aux termes de l’article 5 de cette délibération : « Le service de garde a pour objet d’assurer à la fin du service normal de jour, pendant chaque nuit et pendant la journée du dimanche ou des jours fériés, la sécurité des patients hospitalisés ou pris en charge dans le cadre des urgences et la permanence des soins excédant la compétence des auxiliaires médicaux. » ; qu’aux termes de l’article 10 de cette délibération : « Les praticiens hospitaliers ou les médecins en fonction dans les hôpitaux visés à l’article 1er de la présente délibération bénéficient, dans le cadre de leur participation au service de garde, d’une indemnité par garde dont la valeur indiciaire est fixée par un arrêté pris en conseil des ministres. » ; qu’il résulte de ces dispositions que les praticiens hospitaliers et les médecins affectés dans les hôpitaux périphériques de la direction de la santé assurent leur service selon deux modalités distinctes, à savoir un service normal de jour le matin et l’après-midi des jours ouvrables, et un service de garde la nuit, le dimanche et les jours fériés, et que ce dernier est rémunéré par une indemnité ; 3. Considérant que la délibération du 3 juillet 2007 ne prévoit aucune dérogation aux modalités d’organisation du service exposées au point précédent ; que l’arrêté du 17 juillet 2007 pris pour son application se borne, dans sa version d’origine, à préciser ces modalités et à fixer les montants des indemnités de garde ; que l’arrêté modificatif du 12 juin 2009 ajoute le second alinéa suivant à l’article 6 de l’arrêté du 17 juillet 2007 fixant les horaires du service de garde de nuit : « Dans le cadre d’un service quotidien de jour, suivi d’une permanence sur place ou dans le cadre du temps médical continu, les médecins et praticiens hospitaliers effectuent leurs obligations normales de service, de jour comme de nuit, sur la base horaire de 156 heures, ou de 13 gardes de 12 heures, pour un cycle de 4 semaines, et sur la base horaire de 195 heures, ou de 16 gardes de 12 heures, pour un cycle de 5 semaines. Le temps de travail supplémentaire de jour comme de nuit, effectué au-delà des obligations normales de service, est rémunéré au tarif de la garde par permanence » ; que ces dernières dispositions définissent de nouvelles obligations de service par cycles, non prévues par la délibération du 3 juillet 2007, qui incluent dans un même volume horaire le service de jour et le service de garde, ce dernier n’ouvrant droit à une indemnisation que lorsqu’il excède la durée du travail affectée au cycle ; qu’ainsi, l’arrêté du 12 juin 2009 méconnaît les dispositions précitées de cette délibération, qui distinguent le service normal de jour et le service de garde en ouvrant droit à une indemnisation systématique de ce dernier ; que, par suite, M. B. est fondé à invoquer l’illégalité de l’arrêté du 12 juin 2009, et, dès lors, à demander l’annulation du titre de recette n° 2031 du 1er septembre 2015 établi sur son fondement ; Sur les conclusions à fin d’indemnisation : En ce qui concerne les fins de non-recevoir opposées par la Polynésie française : 4. Considérant qu’aucune fin de non-recevoir tirée du défaut de décision préalable ne peut être opposée à un requérant ayant introduit devant le juge administratif un contentieux indemnitaire à une date où il n’avait présenté aucune demande en ce sens devant l’administration lorsqu’il a formé, postérieurement à l’introduction de son recours juridictionnel, une demande auprès de l’administration sur laquelle le silence gardé par celle-ci a fait naître une décision implicite de rejet avant que le juge de première instance ne statue, et ce quelles que soient les conclusions du mémoire en défense de l’administration (CE 4 décembre 2013 n° 354386, B) ; que si M. B. n’a présenté sa demande préalable à la Polynésie française que le 9 novembre 2015, postérieurement à l’enregistrement de sa requête, une décision implicite de rejet est née en cours d’instance ; que, par suite, la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité des conclusions à fin d’indemnisation doit être écartée ; 5. Considérant que malgré sa formulation maladroite, la demande préalable définit la somme demandée au titre du paiement de la rémunération restant due comme devant être calculée sans l’erreur de liquidation résultant de l’application de l’arrêté illégal du 12 juin 2009 ; que dans ces circonstances, et eu égard à la complexité de la reconstitution des droits à rémunération du service de garde du fait de la confusion introduite par l’arrêté du 12 juin 2009, le chiffrage de 86 067 F CFP qu’elle mentionne ne peut être regardée comme liant le contentieux ; En ce qui concerne la rémunération restant due : 6. Considérant qu’il résulte de ce qui a été dit au point 3 que M. B. a droit à la rémunération de son service de garde selon les modalités fixées par la délibération du 3 juillet 2007 et l’arrêté du 17 juillet 2007 dans sa rédaction initiale, du 9 janvier 2012 au 2 octobre 2014, période correspondant à son contrat ; que l’état de l'instruction ne permet pas de déterminer la somme lui restant éventuellement due ; qu’il y a lieu de le renvoyer devant l’administration pour qu’il soit procédé à sa liquidation ; En ce qui concerne le préjudice en lien avec les règles de rémunération appliquées par la Polynésie française : 7. Considérant que si la Polynésie française a commis une faute en appliquant les dispositions illégales de l’arrêté du 12 juin 2009, le préjudice qui en résulte pour M. B. est entièrement réparé par le paiement du service de garde selon les modalités définies au point précédent ; que, par suite, la demande d’une indemnité supplémentaire de 500 000 F CFP doit être rejetée ; Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : 8. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 100 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; DECIDE : Article 1er : Le titre de recette n° 2031 du 1er septembre 2015 émis à l’encontre de M. Jean-Yves B. pour un montant de 2 001 640 F CFP est annulé. Article 2 : M. Jean-Yves B. est renvoyé devant l’administration pour qu'il soit procédé à la liquidation de la rémunération lui restant éventuellement due au titre du service de garde qu’il a effectué à l’hôpital de Taravao au cours de la période du 9 janvier 2012 au 2 octobre 2014, selon les modalités fixées par la délibération du 3 juillet 2007 et l’arrêté du 17 juillet 2007 dans sa rédaction initiale. Article 3 : La Polynésie française versera à M. Jean-Yves B. une somme de 100 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté. Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. Jean-Yves B. et à la Polynésie française. Délibéré après l'audience du 24 mai 2016, à laquelle siégeaient : M. Tallec, président, Mme Meyer, première conseillère, M. Rouch, substitut général près la cour d’appel de Papeete. Lu en audience publique le 21 juin 2016. La greffière, D. Germain La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition, Un greffier, |