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Accueil > Justice administrative > Décision n° 1500614 du 12 juillet 2016

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Tribunal administratif de la Polynésie française
Lecture du 12/07/2016
Décision n° 1500614

Type de recours : Excès de pouvoir

Solution : Satisfaction totale

Texte lié
  • Annulant : Délibération n° 2015-69 APF du 01/10/2015 (texte annulé)
  • Décision du Tribunal administratif n° 1500614 du 12 juillet 2016

    Tribunal administratif de Polynésie française


    Vu la procédure suivante :
    Par une requête enregistrée le 17 novembre 2015 et un mémoire enregistré le 18 avril 2016, présentés par Me Fromaigeat, avocat, la Polynésie française demande au tribunal :
    1°) d’annuler la délibération n° 2015-69 APF du 1er octobre 2015 portant création d’une commission d’enquête chargée de recueillir tous les éléments d’information sur la réforme fiscale y compris l’évolution de la fiscalité communale et le financement de la protection sociale généralisée ;
    2°) de mettre à la charge de l’assemblée de la Polynésie française une somme de 339 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
    La Polynésie française soutient que :
    - le rapport relatif au projet de délibération n’a été communiqué aux personnes intéressées que 3 jours avant la tenue de la séance, en méconnaissance des dispositions de l’article 130 de la loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française ;
    - la commission d’enquête a pour objet de critiquer a priori les travaux préparatoires du pouvoir exécutif et de les orienter, en méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs énoncé à l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;
    - la commission d’enquête a un objet imprécis ;
    - en tant qu’il porte sur l’évolution de la fiscalité communale, le champ d’intervention de la commission d’enquête porte nécessairement sur le fonds intercommunal de péréquation, ce qui empiète sur les compétences de l’Etat ;
    - la commission d’enquête constitue un dévoiement des missions de contrôle dévolues à l’assemblée et aboutit à une immixtion de ses membres dans l’élaboration des projets du gouvernement, et ce dans un but purement partisan, de sorte que la délibération est entachée de détournement de pouvoir ;
    - l’assemblée de la Polynésie française dispose d’autres moyens d’information pour recueillir les éléments nécessaires à son information ; ainsi, la délibération est entachée d’erreur manifeste d'appréciation ;
    - faute d’avoir repris les réserves prévues par la loi du 17 juillet 1978, la délibération méconnaît les secrets protégés par cette loi ; en prévoyant que la commission d’enquête peut se faire communiquer l’ensemble des simulations et des projets de barèmes d’imposition réalisés par l’administration, elle est en contradiction avec le règlement intérieur de l’assemblée ;
    - la délibération est en contradiction avec le code des impôts de la Polynésie française qui ne prévoit aucune exception au secret fiscal et à l’absence de transmission d’informations d’ordre fiscal ; la levée d’un secret protégé ne peut intervenir que dans le cadre d’une « loi du pays », et la communication et l’accès aux documents administratifs doivent être arrêtés par la loi ; ainsi, la délibération attaquée est illégale, ainsi que, par voie d’exception, l’article 68-1 du règlement intérieur de l’assemblée de la Polynésie française qui en constitue le fondement ; - ainsi qu’il ressort de la décision du 14 mars 2016 par laquelle le Conseil d’Etat a ordonné sa suspension, les missions et prérogatives de la commission d’enquête ne se limitent pas au contrôle ou à l’évaluation de l’action gouvernementale mais constituent une immixtion de l’assemblée de la Polynésie française dans le domaine réservé par la loi organique, ce qui porte atteinte à l’équilibre institutionnel.
    Par un mémoire en défense enregistré le 26 janvier 2016, présenté par Me Neuffer, avocat, l’assemblée de la Polynésie française conclut au rejet de la requête et demande au tribunal de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 350 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
    Elle soutient que :
    - il n’est pas démontré que le président de la Polynésie française aurait été habilité par le conseil des ministres pour engager une action à l’encontre d’une délibération de l’assemblée de la Polynésie française ; en tout état de cause, il résulte des dispositions combinées du 25° de l’article 91 et de l’alinéa 3 de l’article 137 de la loi organique que le président de la Polynésie française ne peut attaquer les actes de l’assemblée ; l’interprétation inverse permettrait au conseil des ministres de contester une délibération alors que la loi le charge de l’exécuter ; ainsi, le président ne peut représenter la Polynésie française dans la présente instance ;
    - les conclusions violent la loi organique qui ne permet pas à l’exécutif d’attaquer une délibération de l’assemblée de la Polynésie française et réserve au haut-commissaire de la République le contrôle des actes des institutions de la Polynésie française ; ainsi, elles sont irrecevables ; A titre subsidiaire :
    - le rapport a été mis en distribution le 7 septembre 2015, soit 3 semaines avant la séance au cours de laquelle la délibération a été adoptée ; les dispositions de l’article 130 de la loi organique ne s’appliquent pas au secrétariat général du gouvernement ;
    - la fonction de contrôle de l’assemblée a pour objet de vérifier que le gouvernement agit conformément aux objectifs qui lui sont assignés par la majorité des citoyens ; son contrôle s’exerce aussi sur les mesures en vigueur et sur les projets de réformes ; la délibération attaquée invite l’assemblée à constater la nécessité de la contribution publique avant de la consentir, conformément à l’article 14 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;
    - aucune disposition ne limite l’objet des commissions d’enquête créées sur le fondement de l’article 132 de la loi organique ;
    - le sort des communes n’est pas étranger à l’assemblée de la Polynésie française, ainsi qu’il ressort, s’agissant de la fiscalité communale, de l’article 53 de la loi organique ;
    - la délibération attaquée ne porte pas atteinte à la liberté du gouvernement dans la préparation de ses actes ; l’existence et l’expression d’avis extérieurs à l’exécutif sont la manifestation d’un débat inhérent au système démocratique, ce qui est l’objet de la commission d’enquête qui n’entrave pas les travaux gouvernementaux ;
    - il appartient à l’assemblée d’apprécier l’opportunité des moyens à mettre en œuvre pour l’exercice de ses compétences ; la commission d’enquête constitue le moyen le plus efficace pour recueillir des informations éparses et permettre une réflexion générale sur des questions intéressant plusieurs champs de l’action publique ;
    - le fait de ne pas avoir repris les réserves posées par la loi du 17 juillet 1978 est sans incidence sur la légalité de la délibération attaquée ;
    - les données générales et non nominatives sollicitées par la commission ne sont pas couvertes par le secret professionnel ; l’intervention d’une « loi du pays » n’est pas nécessaire ; les dispositions de l’article 68-1 du règlement intérieur de l’assemblée de la Polynésie française n’ont pas pour objet de fixer des règles différentes de celles de la loi du 17 juillet 1978.
    Vu les autres pièces du dossier.
    Vu :
    - la Constitution ;
    - la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
    - le code de justice administrative.
    Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
    Ont été entendus au cours de l’audience publique :
    - le rapport de Mme Meyer, première conseillère,
    - les conclusions de M. Retterer, rapporteur public,
    - les observations de Me Neuffer, représentant l’assemblée de la Polynésie française.
    Une note en délibéré présentée pour l’assemblée de la Polynésie française a été enregistrée le 28 juin 2016.
    Sur les fins de non-recevoir opposées en défense :
    1. Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la délibération attaquée : « Il est créé, en application des dispositions de l’article 68 du règlement intérieur de l’assemblée de la Polynésie française, une commission d’enquête chargée de recueillir tous les éléments d’information sur la réforme fiscale en cours d’élaboration par le gouvernement, y compris sur l’évolution de la fiscalité communale, ainsi que tous les éléments de prospective visant à mettre en œuvre le financement de la Protection Sociale Généralisée (PSG). / La commission d’enquête doit notamment : / - circonscrire le périmètre de la réforme fiscale, les moyens mis en œuvre pour accroître les recettes fiscales (…) / - déterminer avec précision la nature des assiettes des impositions et le quantum de l’imposition inhérente à chaque cédule, pour la réforme fiscale qui viendra se substituer au démantèlement de l’impôt sur les transactions (…) / - se faire communiquer l’ensemble des simulations et/ou projets de barèmes d’imposition réalisés par les services (…) / - se faire communiquer tout élément de nature prospective qui aurait pu être transmis à l’agence de notation ou aux bailleurs de fonds ou à tout acteur institutionnel y compris l’État ( …) / - identifier tous les intervenants associés aux différents groupes de travail constitués par le gouvernement et définir leurs qualités, les conditions de leur implication, leur rôle et les missions qui leur ont été confiées pour élaborer les pistes de réforme (…) / - vérifier si une hypothèse de travail consisterait à mettre en place une TVA sociale ; / - faire tous constats, toutes suggestions et propositions tendant à définir une orientation stratégique majeure pour envisager une réforme fiscale dans sa globalité » ; qu’en vertu de l’article 2 de cette même délibération, relatif aux prérogatives de la commission d’enquête : « Pour les besoins de sa mission, elle peut : / - procéder à toutes les auditions qu’elle estimerait utiles ; / (…) / - se faire communiquer les documents archivés dans les services de la Polynésie française, notamment à la direction des impôts et des contributions publiques, et à la direction du budget et des finances ; / - demander que soient diligentées toutes enquêtes, investigations, analyses ou études propres à éclairer les membres de la commission (…) » ; qu’il ressort des missions et des prérogatives ainsi définies que la délibération attaquée ne constitue ni une mesure d’ordre intérieur, ni une mesure préparatoire, et que la commission d’enquête qu’elle créée est investie de pouvoirs de contrainte à l’égard du gouvernement de la Polynésie française ; qu’aucune disposition de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française n’interdit à la Polynésie française de présenter un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif à l’encontre d’un acte de l’assemblée de la Polynésie française lorsque celui-ci, comme en l’espèce, lui fait grief ;
    2. Considérant qu’en vertu du 25° de l’article 91 de la loi organique du 27 février 2004, le conseil des ministres « décide d’intenter les actions ou de défendre devant les juridictions au nom de la Polynésie française, y compris en ce qui concerne les actions contre les délibérations de l’assemblée de la Polynésie française ou de sa commission permanente » ; qu’en vertu du 3° de l’article 92 de la même loi, le conseil des ministres peut déléguer à son président le pouvoir d’intenter ou de soutenir les actions en justice au nom de la Polynésie française ; que, par arrêté n° 750 CM du 23 mai 2013, le conseil des ministres a délégué au président de la Polynésie française le pouvoir d’intenter ou de soutenir toute action au nom de la Polynésie française ; qu’ainsi, le président de la Polynésie française est recevable à demander l’annulation de la délibération attaquée ;
    Sur les conclusions à fin d’annulation :
    Sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :
    3. Considérant qu’aux termes de l’article 89 de la loi organique du 27 février 2004 : « Le conseil des ministres est chargé collégialement et solidairement des affaires de la compétence du gouvernement définies en application de la présente section. / Il arrête les projets d’actes prévus à l’article 140 dénommés « lois du pays » (…) ainsi que les autres projets de délibérations à soumettre à l’assemblée de la Polynésie française ou à sa commission permanente. (…) » ; qu’aux termes de l’article 102 de la même loi : « L’assemblée de la Polynésie française règle par ses délibérations les affaires de la Polynésie française. Les compétences de la collectivité relevant du domaine de la loi sont exercées par l’assemblée de la Polynésie française. / Toutes les matières qui sont de la compétence de la Polynésie française relèvent de l’assemblée de la Polynésie française, à l’exception de celles qui sont attribuées par la présente loi organique au conseil des ministres ou au président de la Polynésie française. / L’assemblée (…) contrôle l’action du président et du gouvernement de la Polynésie française. » ; qu’aux termes de l’article 132 de cette loi : « L’assemblée de la Polynésie française peut créer des commissions d’enquête composées à la représentation proportionnelle des groupes politiques qui la composent. / Le régime des commissions d’enquête est défini par une délibération de l’assemblée de la Polynésie française. » ;
    4. Considérant qu’il ressort de la rédaction de l’article 1er de la délibération attaquée que la commission d’enquête qu’elle crée a pour objet de « recueillir tous les éléments d’information sur la réforme fiscale en cours d’élaboration par le gouvernement » ; qu’à cet effet, les articles 1er et 2 de la délibération, cités au point 1, confèrent à cette commission les prérogatives les plus larges pour se faire communiquer toute la documentation relative au projet de réforme disponible dans les services administratifs, « identifier tous les intervenants associés aux différents groupes de travail constitués par le gouvernement et définir leurs qualités, les conditions de leur implication, leur rôle et les missions qui leur ont été confiées pour élaborer les pistes de réforme », et « procéder à toutes les auditions qu’elle estimerait utiles » ; qu’en vertu des dispositions précitées de l’article 89 de la loi organique du 27 février 2004, l’élaboration d’une réforme fiscale, dont l’aboutissement nécessaire est de soumettre des projets de « loi du pays » à l’assemblée, relève de la compétence du gouvernement de la Polynésie française ; que la commission d’enquête en litige permet à l’assemblée de la Polynésie française d’intervenir dans l’élaboration de « lois du pays » avant que les projets qui doivent lui être soumis ne soient arrêtés par le gouvernement ; qu’ainsi, la Polynésie française est fondée à soutenir que la délibération attaquée caractérise une immixtion de l’assemblée dans les compétences du gouvernement et méconnaît le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs mis en œuvre par les dispositions précitées de la loi organique du 27 février 2004 ;
    5. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la Polynésie française est fondée à demander l’annulation de la délibération attaquée ;
    Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
    6. Considérant que l’assemblée de la Polynésie française, qui est la partie perdante, n’est pas fondée à demander qu’une somme lui soit attribuée au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, mais qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à sa charge une somme de 150 000 F CFP au titre des frais exposés par la Polynésie française et non compris dans les dépens ;
    DECIDE :
    Article 1er : La délibération n° 2015-69 APF du 1er octobre 2015 portant création d’une commission d’enquête chargée de recueillir tous les éléments d’information sur la réforme fiscale y compris l’évolution de la fiscalité communale et le financement de la protection sociale généralisée est annulée.
    Article 2 : L’assemblée de la Polynésie française versera à la Polynésie française une somme de 150 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
    Article 3 : Les conclusions présentées par l’assemblée de la Polynésie française au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
    Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la Polynésie française et à l'assemblée de la Polynésie française.
    Délibéré après l'audience du 28 juin 2016, à laquelle siégeaient :
    M. Tallec, président, Mme Meyer, première conseillère, Mme Zuccarello, première conseillère.
    Lu en audience publique le 12 juillet 2016.
    La greffière,
    D. Germain
    La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
    Pour expédition, Un greffier,
    X
    Bienvenue.
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