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Tribunal administratif de la Polynésie française
Lecture du 30/05/2017
Décision n° 1600484

Décision du Tribunal administratif n° 1600484 du 30 mai 2017

Tribunal administratif de Polynésie française


Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 27 septembre 2016 et des mémoires enregistrés les 13 décembre 2016 et 10 mai 2017, présentés par Me Jannot, avocat, l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Raipoe International demande au tribunal :
1°) de condamner la Polynésie française à lui verser une indemnité de 124 410 000 F CFP ;
2°) de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 226 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société requérante soutient que :
- la rétention de perles par la Polynésie française porte au droit de propriété une atteinte qui ne répond à aucune nécessité ;
- la délibération n° 2005-42 APF du 4 février 2005 institue une rupture d’égalité illégale entre les producteurs de perles qui ont droit à une indemnité et les négociants qui n’y ont pas droit ;
- les rebuts ne sont pas dépourvus de valeur marchande dès lors qu’il est possible de commercialiser en perles de culture sciées les perles dont les imperfections n’affectent pas plus de la moitié de la surface ; la délibération n° 2005-42 APF du 4 février 2005 n’interdit pas de détenir des rebuts ni d’en faire un usage ornemental purement privé ; l’indemnité demandée correspond à 300 F CFP pour chacune des 414 700 perles détenues par la Polynésie française.
Par des mémoires en défense enregistrés les 28 octobre 2016 et 9 mai 2017, la Polynésie française conclut au rejet de la requête et demande au tribunal de mettre à la charge de l’EURL Raipoe International une somme de 150 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la délibération n° 2005-42 APF du 4 février 2005 ne porte pas atteinte au droit de propriété dès lors que les rebuts n’ont pas de valeur marchande ; le négociant, qui a la possibilité d’acheter les perles après leur passage au contrôle de qualité par le producteur, ne peut se prévaloir de la propriété de rebuts obtenus par négligence ;
- l’indemnisation a pour but de soutenir la filière des producteurs, qui ne peuvent limiter leurs coûts, tandis que les négociants ne sont pas tenus d’acheter des rebuts et s’ils le font, en tiennent compte par le prix payé ;
- le contrôle de la qualité des perles avant exportation a été mis en place à la demande des professionnels.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, et notamment son préambule ;
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- la délibération n° 2005-42 APF du 4 février 2005 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
- le rapport de Mme Meyer, première conseillère,
- les conclusions de M. Retterer, rapporteur public,
- les observations de Me Jannot, représentant l’EURL Raipoe International, et celles de Mme Maurel, représentant la Polynésie française.
Considérant ce qui suit :
1. L’EURL Raipoe International, qui exerce l’activité de négociant en perles, demande la condamnation de la Polynésie française à l’indemniser de la privation de propriété de 414 700 perles retenues par le service de la perliculture entre 2007 et 2016 sur le fondement des dispositions de la délibération du 4 février 2005 portant définition des produits tirés de l’activité de la perliculture en Polynésie française et fixation des règles relatives à la classification, au transport, à la commercialisation et aux formalités d’exportation de la perle de culture de Tahiti, des ouvrages et des articles de bijouterie en comportant.
2. D’une part, aux termes de l’article 2 de la délibération du 4 février 2005 : « (…) 2.2. (…) / Une perle de l’huître perlière Pinctada margaritifera var. cumingii n’est qualifiée “perle de culture de Tahiti” que si au moins 80 % de sa surface est recouverte, d’un seul tenant, par des couches perlières telles que définies à l’alinéa précédent. La surface restante, soit au plus 20 %, est constituée d’une matière naturelle sécrétée par l’huître perlière Pinctada margaritifera var. cumingii, telle que de la calcite ou de la matière organique. / Cette perle est par définition entière. Sa couche perlière est constituée d’une épaisseur suffisante et ne fait pas apparaître, même par transparence, le nucleus. / L’épaisseur minimale de la couche perlière, entre le nucleus et la surface externe de la perle de culture de Tahiti, est fixée à 0,8 millimètre. / 2.3 (…) Toute perle de culture est dite “perle de culture sciée 3/4 ou sciée 1/2” selon sa forme, lorsqu’elle a été sciée ou meulée. Sa surface visible répond expressément aux définitions et à la classification de la perle de culture de Tahiti (…) / 2.4. (…) Est qualifié de rebut, même lorsqu’il est produit en Polynésie française par l’huître perlière Pinctada margaritifera var. cumingii : / - la perle de culture présentant soit des dépôts de calcite, soit des dépôts organiques, ou les deux à la fois, sur plus de 20 % de sa surface ; / - la perle de culture présentant des zones dévitalisées visibles sur plus de 20 % de sa surface ; / - la perle n’ayant pas l’épaisseur réglementaire ; / plus généralement, la perle ne répondant pas aux dispositions de l’article 2.2 insusceptible d’être classée dans l’une des catégories définies à l’article 5.4. de la présente délibération. / (…) ». Aux termes de l’article 3 de la même délibération : « (…) Il est strictement interdit d’exposer, de mettre en vente ou de vendre des rebuts sous quelque forme que ce soit. (…) ».
3. D’autre part, aux termes de l’article 10 de la délibération du 4 février 2005, relatif aux contrôles préalables à la commercialisation des perles de culture de Tahiti : « (…) a) Lors de ventes aux enchères ou de ventes sur offre, un contrôle de qualité des perles de culture de Tahiti préalable à l’exposition et à la consultation par les clients doit être effectué. / Les agents commissionnés du service en charge de la perliculture vérifient que les lots présentés ne contiennent pas de rebut. / b) En dehors de toute exportation, les détenteurs de perles de culture de Tahiti peuvent soumettre, leur lot de perles, au contrôle de qualité des agents commissionnés du service en charge de la perliculture, qui vérifient que ceux-ci ne contiennent pas de rebut. / Un arrêté en conseil des ministres fixe les modalités de ces contrôles de qualité. / Les rebuts présentés dans le cadre de la procédure du présent article sont conservés et détruits par le service en charge de la perliculture. Les producteurs de perles de culture de Tahiti, titulaires de la carte, peuvent être indemnisés sur la base du poids net des rebuts conservés. / Un arrêté en conseil des ministres fixe les modalités de cette indemnisation. » Aux termes de l’article 12 de la même délibération : « Tout exportateur doit soumettre le lot de perles et les ouvrages à expédier, à l’examen du service en charge de la perliculture. Un agent commissionné délivre, après contrôle, un certificat de qualité d’exportation et un tableau de classification. / Les rebuts sont conservés et détruits par le service en charge de la perliculture. / Les rebuts présentés par les producteurs de perles de culture de Tahiti titulaires de la carte professionnelle, dans le cadre de la procédure du présent article, sont indemnisés sur la base du poids net des rebuts conservés. (…) ».
4. La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Aux termes de cet article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. » En l'absence de privation du droit de propriété, il résulte néanmoins de l'article 2 de la déclaration de 1789 que les limites apportées à son exercice doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.
5. Il résulte de l’instruction que la réglementation instituée par la délibération du 4 février 2005 est destinée à améliorer la qualité de la perle de culture de Tahiti afin de juguler la baisse de son prix sur les marchés internationaux. Alors même que cet objectif n’a pas été atteint et qu’une « loi du pays » non encore publiée, approuvée le 13 décembre 2016 par l’assemblée de la Polynésie française, prévoit la suppression de la notion de rebut et de l’interdiction de commercialiser les perles non conformes aux critères de qualité, la règlementation en vigueur à la date du présent jugement poursuit un but d’intérêt général justifiant que des limites soient apportées au droit de propriété.
6. Eu égard à la stricte interdiction de commercialiser les rebuts sous quelque forme que ce soit, énoncée à l’article 3 de la délibération du 4 février 2005, les dispositions citées aux points 2 et 3 ont pour effet d’imposer, préalablement à la mise sur le marché des perles de l’huître perlière Pinctada margaritifera, le contrôle de leur qualité par le service de la perliculture, qui a pour mission de détruire les perles classées en rebut. La privation de propriété qui en résulte doit être indemnisée en vertu de l’article 17 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Par suite, l’EURL Raipoe International est fondée à soutenir que la délibération du 4 février 2005 ne pouvait limiter le droit à indemnisation à la seule catégorie des producteurs de perles.
7. Il résulte de l’instruction que le 17 mai 2016, les services de la Polynésie française ont détruit 323 080 perles classées en rebut appartenant à l’EURL Raipoe International, retenues par le service de la perliculture entre le 31 janvier 2007 et le 19 mai 2014, représentant un poids total de 411 907,3 grammes. Ce classement implique nécessairement qu’aucune des perles contrôlées par le service de la perliculture ne satisfaisait aux critères détaillés à l’article 2 de la délibération du 4 février 2005, de sorte qu’elles ne peuvent être regardées comme présentant une quelconque valeur marchande au regard de la réglementation applicable à la date du présent jugement, à laquelle le montant de l’indemnisation doit être déterminé. Si le 3. de l’article 2 de la délibération du 4 février 2005 permet de commercialiser partiellement certains rebuts comme perles de culture sciées, la société requérante ne démontre pas que les perles détruites auraient été susceptibles de bénéficier, en tout ou partie, d’une telle reconversion. Il sera fait une juste appréciation de l’indemnité due au titre de la privation de sa propriété en la fixant à la somme de 10 297 782 F CFP, par référence au tarif de 25 F CFP par gramme retenu pour l’indemnisation des producteurs de perles par arrêté n° 1027 CM du 17 novembre 2005.
8. Il résulte de l’instruction qu’à la date du présent jugement, le service de la perliculture de la Polynésie française détient 91 620 perles classées en rebut appartenant à l’EURL Raipoe Internaitonal, retenues entre le 14 août 2014 et le 19 mai 2016, et n’a pas fixé de date pour leur destruction. Ainsi qu’il a été dit au point 5, la « loi du pays » destinée à remplacer la délibération du 4 février 2005, qui supprime la notion de rebut, a été adoptée par l’assemblée de la Polynésie française le 13 décembre 2016. Sa publication prochaine rendra commercialisables les perles retenues par l’administration et fera obstacle à leur destruction. Dans ces circonstances, la privation de propriété de l’EURL Raipoe International ne peut être regardée comme présentant un caractère certain. Par suite, il y a lieu de rejeter le surplus des conclusions à fin d’indemnisation.
9. La Polynésie française, qui est la partie perdante, n’est pas fondée à demander le versement d’une somme au titre des frais non compris dans les dépens, au demeurant non justifiés, qu’elle a exposés dans la présente instance. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à sa charge une somme de 150 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La Polynésie française est condamnée à verser à l’EURL Raipoe International une indemnité de 10 297 782 F CFP en réparation de la privation de propriété des 323 080 perles détruites le 17 mai 2016.
Article 2 : La Polynésie française versera à l’EURL Raipoe International une somme de 150 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la SARL Raipoe International et à la Polynésie française.
Délibéré après l'audience du 16 mai 2017, à laquelle siégeaient :
M. Tallec, président, Mme Meyer, première conseillère, Mme Zuccarello, première conseillère.
Lu en audience publique le 30 mai 2017
La greffière,
D. Germain
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition, Un greffier,
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