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Tribunal administratif de la Polynésie française
Lecture du 12/03/2019
Décision n° 1800326

Solution : Satisfaction partielle

Décision du Tribunal administratif n° 1800326 du 12 mars 2019

Tribunal administratif de Polynésie française


Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 20 septembre 2018 et un mémoire enregistré le 23 janvier 2019, présentés par Me Jannot, l’entreprise personnelle à responsabilité (EURL) Raipoe International demande au tribunal : 1°) de condamner la Polynésie française à lui verser une indemnité de 121 073 000 F CFP ; 2°) de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 226 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le 10 mars 2017, alors que la « loi du pays » supprimant la notion de rebut avait été approuvée par l’assemblée de la Polynésie française, le service de la perliculture a procédé à la destruction de 121 073 perles lui appartenant, qui allaient redevenir commercialisables dans un bref délai, ce qui caractérise une volonté délibérée de rendre leur restitution impossible ;
- elle a droit à l’indemnisation de sa perte de propriété ; il y a lieu d’évaluer son préjudice à 1 000 F CFP par perle détruite.
Par un mémoire en défense, enregistrés le 6 décembre 2018, la Polynésie française conclut à titre principal au rejet de la requête, et à titre subsidiaire à ce que l’indemnité soit fixée à 121 073 F CFP.
Elle soutient que :
- dès lors que la délibération n° 2005-42 APF du 4 février 2005 poursuivait un but d’intérêt général et les que rebuts étaient dépourvus de valeur marchande, la privation de propriété subie par la EURL Raipoe International ne lui a causé aucun dommage ;
- à titre subsidiaire : le tarif de 25 F CFP par gramme fixé par l’arrêté n° 1027 CM du 17 novembre 2005 a été défini pour l’indemnisation des producteurs de perles au regard du coût moyen de production ; il n’a pas vocation à s’appliquer aux négociants, pour lesquels il y a lieu de retenir une indemnité symbolique de 1 F CFP par rebut détruit.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- la délibération n° 2005-42 APF du 4 février 2005 ;
- la « loi du pays » n° 2017-16 du 18 juillet 2017 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
- le rapport de Mme Meyer, rapporteure,
- les conclusions de M. Retterer, rapporteur public,
- et les observations de Me Jannot, représentant l’EURL Raipoe International, et celles de M. Le Bon, représentant la Polynésie française.
Une note en délibéré présentée par la Polynésie française a été enregistrée le 7 mars 2019.
Considérant ce qui suit :
1. D’une part, aux termes de l’article 2 de la délibération du 4 février 2005 : « (…) 2.2. (…) / Une perle de l’huître perlière Pinctada margaritifera var. cumingii n’est qualifiée “perle de culture de Tahiti” que si au moins 80 % de sa surface est recouverte, d’un seul tenant, par des couches perlières telles que définies à l’alinéa précédent. La surface restante, soit au plus 20 %, est constituée d’une matière naturelle sécrétée par l’huître perlière Pinctada margaritifera var. cumingii, telle que de la calcite ou de la matière organique. / Cette perle est par définition entière. Sa couche perlière est constituée d’une épaisseur suffisante et ne fait pas apparaître, même par transparence, le nucleus. / L’épaisseur minimale de la couche perlière, entre le nucleus et la surface externe de la perle de culture de Tahiti, est fixée à 0,8 millimètre. / 2.3 (…) Toute perle de culture est dite “perle de culture sciée 3/4 ou sciée 1/2” selon sa forme, lorsqu’elle a été sciée ou meulée. Sa surface visible répond expressément aux définitions et à la classification de la perle de culture de Tahiti (…) / 2.4. (…) Est qualifié de rebut, même lorsqu’il est produit en Polynésie française par l’huître perlière Pinctada margaritifera var. cumingii : / - la perle de culture présentant soit des dépôts de calcite, soit des dépôts organiques, ou les deux à la fois, sur plus de 20 % de sa surface ; / - la perle de culture présentant des zones dévitalisées visibles sur plus de 20 % de sa surface ; / - la perle n’ayant pas l’épaisseur réglementaire ; / plus généralement, la perle ne répondant pas aux dispositions de l’article 2.2 insusceptible d’être classée dans l’une des catégories définies à l’article 5.4. de la présente délibération. / (…) ». Aux termes de l’article 3 de la même délibération : « (…) Il est strictement interdit d’exposer, de mettre en vente ou de vendre des rebuts sous quelque forme que ce soit. (…) ». 2. D’autre part, aux termes de l’article 10 de la délibération du 4 février 2005, relatif aux contrôles préalables à la commercialisation des perles de culture de Tahiti : « (…) a) Lors de ventes aux enchères ou de ventes sur offre, un contrôle de qualité des perles de culture de Tahiti préalable à l’exposition et à la consultation par les clients doit être effectué. / Les agents commissionnés du service en charge de la perliculture vérifient que les lots présentés ne contiennent pas de rebut. / b) En dehors de toute exportation, les détenteurs de perles de culture de Tahiti peuvent soumettre, leur lot de perles, au contrôle de qualité des agents commissionnés du service en charge de la perliculture, qui vérifient que ceux-ci ne contiennent pas de rebut. / Un arrêté en conseil des ministres fixe les modalités de ces contrôles de qualité. / Les rebuts présentés dans le cadre de la procédure du présent article sont conservés et détruits par le service en charge de la perliculture. Les producteurs de perles de culture de Tahiti, titulaires de la carte, peuvent être indemnisés sur la base du poids net des rebuts conservés. / Un arrêté en conseil des ministres fixe les modalités de cette indemnisation. » Cette délibération ne prévoit aucune indemnisation pour les rebuts appartenant à des négociants.
3. La réglementation citée aux points précédents a été abrogée et remplacée par la « loi du pays » n° 2017-16 du 18 juillet 2017 qui supprime la notion de rebut interdit à la commercialisation, ainsi que la possibilité pour l’administration de retenir et de détruire des perles présentées à son contrôle. Cette « loi du pays », adoptée par l’assemblée de la Polynésie française le 13 décembre 2016, a été soumise, sur le fondement des dispositions de l’article 176 de la loi organique du 27 février 2004, au contrôle juridictionnel du Conseil d’Etat qui a rendu sa décision le 28 juin 2017, et publiée au journal officiel de la Polynésie française du 18 juillet suivant. Le contrôle soumis au Conseil d’Etat ne portait pas sur la suppression de la notion de rebut.
4. Il résulte de l’instruction que le 10 mars 2017, date à laquelle la « loi du pays » était adoptée depuis près de 3 mois par l’assemblée de la Polynésie française, le service de la perliculture a, sur le fondement des dispositions de l’article 10 de la délibération du 4 février 2005 encore en vigueur, détruit 121 073 perles classées en rebuts appartenant à l’EURL Raipoe International, qu’il avait retenues entre août 2014 et mars 2017. En détruisant ces perles alors que la nouvelle réglementation, dont l’entrée en vigueur prochaine était certaine, allait priver leur rétention de fondement légal et les rendre commercialisables, la Polynésie française a commis une imprudence fautive qui engage sa responsabilité.
5. Eu égard au moment choisi par l’administration pour procéder à cette destruction, la perte de propriété de l’EURL Raipoe International doit être indemnisée au prix auquel cette société aurait pu vendre les perles en litige si la Polynésie française les lui avait restituées après la publication de la « loi du pays » du 18 juillet 2017. Dès lors que les négociants, professionnels du secteur, procèdent à un examen visuel des perles qu’ils achètent pour les revendre à des détaillants, ils présentaient nécessairement au contrôle du service de la perliculture des produits dont l’apparence n’était pas celle de rebuts au sens de l’article 2 de la délibération du 4 février 2005, de sorte que seule l’épaisseur de la couche de nacre, révélée par le matériel radiographique de l’administration, était de nature à distinguer les rebuts des perles commercialisables. La circonstance que les négociants achètent les perles par lots est sans incidence sur le fait que ces lots ne pouvaient être constitués que de perles représentatives, par leur apparence, des différentes qualités définies comme commercialisables par la délibération du 4 février 2005, les rebuts identifiables par le regard averti de l’acheteur étant conservés par les producteurs qui pouvaient seuls bénéficier d’une indemnisation. Ainsi, le prix d’achat payé au producteur ne pouvait correspondre qu’à des lots constitués de perles ayant toutes une valeur marchande, de sorte que la destruction des rebuts au moment où ils allaient devenir commercialisables cause au négociant un préjudice commercial correspondant au prix moyen auquel il aurait pu les vendre. L’EURL Raipoe International produit les attestations concordantes de 4 professionnels du secteur perlicole qui estiment qu’une perle classée en rebut sous le régime de la délibération du 4 février 2005 peut être vendue à un détaillant à un prix moyen variant de 300 à 500 F CFP. En l’absence d’éléments permettant d’apprécier avec une plus grande précision les diverses qualités des 121 073 rebuts détruits le 10 mars 2017, il sera fait une juste appréciation du préjudice commercial de la société requérante en le fixant à 400 F CFP par unité détruite.
6. Il résulte de ce qui précède que la Polynésie française doit être condamnée à verser à l’EURL Raipoe International une indemnité de 48 429 200 F CFP.
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 200 000 FCP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La Polynésie française est condamnée à verser une indemnité de 48 429 200 F CFP à l’EURL Raipoe International.
Article 2 : La Polynésie française versera à l’EURL Raipoe International une somme de 200 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à l’EURL Raipoe International et à la Polynésie française.
Délibéré après l'audience du 19 février 2019, à laquelle siégeaient : M. Tallec, président, Mme Meyer, première conseillère, Mme Zuccarello, première conseillère.
Lu en audience publique le 12 mars 2019.
La greffière,
D. Germain
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition, Un greffier,
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