Tribunal administratif de la Polynésie française Lecture du 25/04/2019 Décision n° 1800438 Type de recours : Plein contentieux Solution : Satisfaction partielle | Décision du Tribunal administratif n° 1800438 du 25 avril 2019 Tribunal administratif de Polynésie française Vu la procédure suivante : Par une requête enregistrée le 20 décembre 2018, la société Tahiti Luxury Resort, représentée par Me Usang, demande au tribunal : 1°) de lui accorder la décharge de la sanction fiscale d’un montant de 1 349 460 000 F CFP à laquelle elle a été assujettie ; 2°) de mettre à la charge de l’Etat ou la Polynésie française une somme de 600 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - la sanction fiscale est illégale par exception de l’illégalité des « lois du pays » n°2009-7 et 2014-35 ; qu’il y a lieu de transmettre la question de leur légalité au Conseil d’Etat ; - la sanction fiscale repose sur une procédure irrégulière fondée à tort sur l’article LP. 421-1 du code des impôts de la Polynésie française alors qu’il n’existe pas de redressement à l’impôt sur les sociétés ; la pénalité qui est l’accessoire de l’imposition ne pouvait qu’être de zéro ; elle a été privée des droits de la défense et de la possibilité de saisir la commission des impôts ; - la sanction fiscale ne peut être recouvrée par voie de rôle en application de l’article 712-1 du code des impôts de la Polynésie française si elle constitue une sanction qui n’est pas l’accessoire d’une imposition, cela en application de l’article 511-7 du code des impôts de la Polynésie française ; - la pénalité est assise sur l’article 511-13-1 du même code, or ces dispositions ne visent que les entités métropolitaines ; - le taux de l’amende ne peut être celui fixé par la « loi du pays » n° 2014-35, ni celui de la « loi du pays » n° 2009-7 car le projet date de 2005 et à cette date l’amende n’existait pas ; - la pénalité est contraire aux articles LP. 511 et suivants du code des impôts de la Polynésie française ; - les crédits d’impôt ont été obtenus en 2005, 2006 et 2007 or à cette date l’article LP 926-13 du code des impôts de la Polynésie française n’existait pas ; la sanction est donc entachée d’une rétroactivité illégale ; - la sanction de l’article LP.916-31 est illégale car contraire aux principes de proportionnalité et d’individualisation des peines ; - le retrait d’agrément est illégal. Par un mémoire en défense enregistré le 23 février 2019, la Polynésie française conclut au rejet de la requête. Elle fait valoir qu’aucun des moyens n’est fondé. Un mémoire présenté par la Polynésie française le 23 mars 2019 n’a pas été communiqué. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ; - le code des impôts de la Polynésie française ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique du 26 mars 2019 : - le rapport de Mme Zuccarello, première conseillère ; - les conclusions de M. Retterer, rapporteur public ; - et les observations de Me Usang, représentant la société Tahiti Luxury Resort, et celles de M. Le Bon, représentant la Polynésie française. Considérant ce qui suit : 1. Par arrêtés du 25 novembre 2005 et du 12 avril 2007, les sociétés Tahaa Golf Resort Développement et Tahiti Luxury Resort ont bénéficié d’agréments au titre du crédit d’impôt pour investissement prévu par les dispositions des articles LP. 911-1 et suivants du code des impôts de la Polynésie française, pour la construction de complexes touristiques sur l’île de Tahaa et sur la commune de Punaauia, sur l’île de Tahiti. Les projets sur l’île de Tahaa ayant été abandonnés, la Polynésie française a accepté, par arrêtés du 21 septembre 2012, la réaffectation des financements à un autre projet, la construction à Punaauia d’une résidence hôtelière de tourisme classée 5 étoiles de 148 unités. Aucune construction n’ayant finalement été réalisée, la Polynésie française a, par arrêtés du 25 août 2017, procédé au retrait des agréments délivrés en 2005 et 2007 à la société Tahaa Golf Resort Développement et à la société Tahiti Luxury Resort. Par jugements des 27 mars 2018 et 15 mai 2018, le tribunal administratif a jugé que compte tenu des modifications substantielles intervenues depuis 2005 et notamment de la réaffectation des crédits sur un autre projet agréé, les arrêtés de 2017 devaient être regardés comme retirant les arrêtés de 2012. Les requêtes des sociétés contestant ces retraits d’agréments ont été rejetées. Postérieurement, la Polynésie française a tiré les conséquences fiscales des retraits d’agréments et a remis en cause tant chez les investisseurs que chez le promoteur, les crédits d’impôt et les financements accordés pour la réalisation du projet désormais abandonné. La société Tahiti Luxury Resort, porteuse du projet de résidence hôtelière de tourisme classée 5 étoiles de 148 unités à Punaauia et bénéficiaire des financements, conteste la « sanction fiscale » qui lui a été notifiée et qui a été mise en recouvrement par rôle émis le 10 avril 2018 par la Polynésie française pour un montant de 1 354 860 000 F CFP, ramené en cours d’instance à la somme de 1 349 460 000 F CFP. Sur la nature de la « sanction fiscale » : 2. Aux termes de l’article LP. 919-31 du code des impôts de la Polynésie française dans sa version issue de la « loi du pays » n°2014-35 : Le retrait de l'agrément est prononcé en cas d'inexécution par l'entreprise qui réalise le programme d'investissement, des engagements souscrits par cette dernière en vue d'obtenir l'agrément ou en cas de non-respect des conditions auxquelles l'octroi de cet agrément a été subordonné. Ce retrait entraîne la remise en cause des crédits d'impôt attachés à l'agrément et l'exigibilité des impositions non acquittées du fait de cet agrément, assorties de l'intérêt de retard prévu aux articles LP.511-1 et LP. 511-4 du présent code. /La remise en cause des crédits d'impôt consécutivement au retrait est effectuée conjointement dans les comptes de l'entreprise et des investisseurs à hauteur respectivement de la part de crédit d'impôt dont chacun a bénéficié en application du deuxième alinéa de l'article LP. 916- 13. La remise en cause dans les comptes de l'entreprise se traduit par l'application d'une sanction fiscale égale à 100 % de la part du crédit d'impôt dont elle a bénéficié en application du deuxième alinéa de l'article LP. 916-13. ». 3. Il résulte de ces dispositions, relatives à un dispositif de défiscalisation locale en Polynésie française, que lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, un programme d’investissement a été remis en cause par le retrait de l’agrément, la Polynésie française est fondée à en tirer les conséquences et à récupérer le crédit d’impôt indument accordé à l’investisseur, tant dans ses comptes que dans les comptes de l’entreprise porteuse du projet qui a bénéficié du financement de l’investisseur résultant de la rétrocession d’un pourcentage de la somme accordée en crédit d’impôt. Si la remise en cause du crédit d’impôt accordé à l’investisseur est nécessairement un rehaussement d’imposition, il en va différemment dans les comptes du promoteur, lequel a bénéficié de financements et non de crédits d’impôt. Ainsi les dispositions précitées permettent à la Polynésie française de poursuivre le recouvrement de ces financements chez le promoteur par le mécanisme de la «sanction fiscale ». Cette « sanction fiscale » correspondant à 100 % c’est à dire la totalité des financements indus, elle ne saurait donc revêtir le caractère d’une sanction malgré son appellation, dès lors qu’elle ne résulte pas de la constatation d’une infraction et n’a pas un caractère répressif. Par suite, la « sanction fiscale » instituée par l’article LP. 919-31 du code des impôts de la Polynésie française n’a pour objet que la réparation au bénéfice de l’administration d’un préjudice purement pécuniaire de nature fiscale. Sur l’exception d’illégalité des « lois du pays » : 4. La société requérante demande au tribunal de saisir le Conseil d’Etat du moyen qu’elle estime sérieux, tiré de ce que les « lois du pays » n°2009-7 et n°2014-35 seraient illégales pour n’avoir pas été soumises à l’examen du Conseil économique, social et culturel de la Polynésie française en méconnaissance de l’article 151 de la loi organique du 27 février 2004. Toutefois, les « lois du pays » en cause portant respectivement refonte des dispositifs d’incitation fiscale à l’investissement en Polynésie française et modification du code des impôts, ont pour objet de reformer ou modifier le régime de la défiscalisation et ne présentent pas un « caractère économique » au sens de l’article 151 de la loi organique. Dès lors, il n’y avait pas lieu de les soumettre à l’examen du Conseil économique, social et culturel, et il n’y a pas davantage lieu de saisir le Conseil d’Etat. Par suite le moyen tiré de l’exception d’illégalité des « lois du pays » doit être écarté. Sur la régularité de la procédure : 5. La société requérante fait valoir d’une part que la procédure de rectification contradictoire utilisée par la Polynésie française et issue de l’article LP. 421-1 du code des impôts de la Polynésie française n’était pas applicable. D’autre part elle soutient qu’elle a été privée des garanties issues de cette procédure et notamment de la possibilité de saisir la commission des impôts. 6. Toutefois, et ainsi qu’il a été dit au point 2, la « sanction fiscale » créée par l’article LP. 919-31 du code ne présente pas le caractère d’une sanction et n’est pas davantage l’accessoire d’une imposition dès lors qu’elle résulte de la transformation d’un crédit d’impôt chez l’investisseur en financement chez le promoteur. Par suite, la Polynésie française n’était pas dans l’obligation de soumettre l’établissement de cette « sanction fiscale » à la procédure contradictoire de l’article LP. 421-1 du code des impôts applicable aux impositions. Si la Polynésie française a adressé à la société requérante une « notification de sanction fiscale » le 22 septembre 2017, au visa erroné de l’article LP. 421-1, cela est sans incidence sur la régularité de la procédure, dès lors que l’intéressée d’une part a été mise en mesure de faire valoir ses observations dans un délai de 30 jours, et d’autre part que le désaccord sur la « sanction fiscale » n’entrait pas dans le champ de compétence de la commission des impôts. La seule circonstance que le rôle émis le 10 avril 2018 porte la mention « impôt sur les sociétés : 0 » ne saurait conférer à la « sanction fiscale » le caractère d’une imposition. Sur les modalités de recouvrement : 7. La société Tahiti Luxury Resort soutient que la « sanction fiscale » ne pouvait être recouvrée par voie de rôle, procédé réservé aux impositions limitativement énumérées à l’article 712-1 du code des impôts de la Polynésie française, mais qu’elle devait être recouvrée par titre exécutoire conformément aux articles 511-7 et suivants du même code. Elle ajoute que le recouvrement réalisé au visa de l’article 511-13-1 entache d’irrégularité le recouvrement dès lors qu’il ne s’applique qu’aux sociétés métropolitaines. 8. En premier lieu, et ainsi que le soutient la Polynésie française, la mention de l’article 511-13-1 dans la notification de sanction fiscale résulte d’une simple erreur matérielle sans conséquence sur la régularité ou le bien-fondé de la « sanction fiscale ». 9. En second lieu, si la « sanction fiscale » spécifique de l’article LP. 919-31 du code des impôts de la Polynésie française n’a pas le caractère de sanction et n’est pas l’accessoire d’une imposition puisqu’elle ne découle pas d’un rehaussement d’impôt, elle revêt néanmoins un caractère fiscal au sens de l’article 712-1 du code des impôts de la Polynésie française, qui vise les impôts directs «ou assimilés ». C’est donc à bon droit que la Polynésie française a écarté le recouvrement de cette « sanction fiscale » par voie de titre exécutoire et qu’elle a eu recours au procédé de l’émission du rôle prévu par les articles 712-1 et suivants dudit code. Sur la loi applicable à la « sanction fiscale » : 10. La Polynésie française a fait application de l’article LP. 919-31 du code des impôts de la Polynésie française dans sa version issue de la « loi du pays » n°2009-7 qui prévoit que la remise en cause dans les comptes de l’entreprise se traduit par l’application d’une sanction fiscale égale à 150 % de la part du crédit d’impôt dont elle a bénéficié. La « loi du pays » n°2014-35 a ramené le montant de la sanction fiscale à 100%. 11. S’agissant d’une « sanction fiscale » fondée sur le retrait d’un agrément en raison de la non présentation d’un certificat de conformité à l’issue du délai imparti, la loi applicable est nécessairement celle en vigueur à la date de son fait générateur, c'est à dire en l’espèce le 1er mars 2015, délai maximum dans lequel le certificat de conformité devait être présenté. Par suite, il y avait lieu d’appliquer l’article LP. 919-31 du code des impôts dans sa version issue de la « loi du pays » n°2014-35. En conséquence, la société Tahiti Luxury Resort doit être déchargée partiellement de la « sanction fiscale » en tant qu’elle est supérieure à 100 % des financements obtenus ainsi que le prévoit l’article LP. 919-31 en vigueur au 1er mars 2015. Sur les autres moyens : 12. En premier lieu, la société requérante fait valoir que la « sanction fiscale » méconnait l’article LP. 511 du code des impôts de la Polynésie française qui prévoit que les majorations et amendes fiscales ne peuvent dépasser la somme des droits supplémentaires mis à la charge du contribuable au titre de la même année. Cependant, ainsi qu’il a été dit au 3. ladite « sanction fiscale » n’a pas le caractère d’une pénalité. Par suite ce moyen est inopérant. 13. En deuxième lieu, la société Tahiti Luxury Resort soutient que la totalité du crédit d’impôt aurait été réclamée à l’investisseur de sorte que la « sanction fiscale » qui lui est notifiée constituerait un enrichissement sans cause de la Polynésie française. Toutefois, il ne résulte pas de l’instruction que la Polynésie française n’aurait pas fait une exacte application des dispositions de l’article LP. 919-31 en remettant en cause le crédit d’impôt et sa rétrocession pour la part respective des sommes restées dans ces deux entités. En tout état de cause, si tel était le cas, il appartiendrait à l’investisseur de contester le montant du crédit d’impôt remis en cause, mais cela est sans incidence sur le montant de la « sanction fiscale » réclamée au promoteur. 14. En troisième lieu, la société requérante fait valoir que la « sanction fiscale » serait prescrite. Toutefois, en se bornant à cette allégation sans plus de précision notamment quant aux dates auxquelles elle a perçu les financements remis en cause, ce moyen doit être écarté. 15. En quatrième lieu, ainsi qu’il a été dit au point 3, la « sanction fiscale » spécifique de l’article LP. 919-31 du code ne présente pas le caractère d’une pénalité. Par suite les moyens selon lesquels la sanction en cause serait contraire aux principes de proportionnalité et d’individualisation des peines, est inopérant. 16. Enfin en dernier lieu, la société requérante critique les jugements du tribunal administratif rejetant sa demande d’annulation des décisions de retrait d’agrément par des moyens qu’elle soulève en appel , qui sont sans incidence sur le présent litige. 17. Il résulte de tout ce qui précède, qu’il y a seulement lieu d’accorder à la société Tahiti Luxury Resort la décharge partielle de la « sanction fiscale » en tant quelle devait correspondre à 100 % du crédit d’impôt dont elle a bénéficié et non à 150 % de ce crédit d’impôt. Sur les frais liés au litige : 18. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 200 000 F CFP qu’elle versera à la société Tahiti Luxury Resort au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. DECIDE : Article 1er : Il est accordé la décharge partielle de la « sanction fiscale » mise à la charge de la société Tahiti Luxury Resort en tant qu’elle porte sur un montant supérieur à 100 % du crédit d’impôt dont elle a bénéficié. Article 2 : La Polynésie française versera la somme de 200 000 F CFP à la société Tahiti Luxury Resort au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté. Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Tahiti Luxury Resort et à la Polynésie française. Délibéré après l'audience du 26 mars 2019, à laquelle siégeaient : M. Tallec, président, Mme Meyer, première conseillère, Mme Zuccarello, première conseillère. Lu en audience publique le 25 avril 2019. La rapporteure, Le président, La greffière, D. Germain La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition conforme, Un greffier, |