Tribunal administratif de la Polynésie française Lecture du 19/11/2019 Décision n° 1900134 Solution : Rejet | Décision du Tribunal administratif n° 1900134 du 19 novembre 2019 Tribunal administratif de Polynésie française Vu la procédure suivante : Par une requête enregistrée le 15 avril 2019, et des mémoires enregistrés les 27 août et 17 septembre 2019, l’association des habitants de Tema’e Moorea, représentée par son président, demande au tribunal : 1°) d’annuler l'arrêté n°274 CM du 27 février 2019 par lequel le président de la Polynésie française a autorisé la société Océanienne de Développement Touristique (ODT) à occuper pour une durée de neuf années deux emplacements du domaine public maritime remblayé sis à Moorea-Maiao ; 2°) d’enjoindre à la Polynésie française d’enlever les portails édifiés sur le domaine public, dans un délai de 8 jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 50 000 F CFP par jour de retard ; 3°) de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 80 000 F CFP au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - l’arrêté attaqué privilégie des intérêts privés au détriment de l'intérêt collectif ; - l’arrêté méconnaît les dispositions de l’article 9 du plan général d'aménagement de Moorea ; - il méconnait la loi du 6 juin 2018 portant diverses mesures en faveur de 1'accessibilité foncière ; - il méconnaît les dispositions de l’article 3 de l'arrêté n° 468 du 03 juin 1932 portant règlementation sur la grande voirie dans les établissements français de l'Océanie ; - il méconnait les impératifs de santé et de sécurité publique attachés à la zone du motu de Tema'e ; - il est entaché de détournement de pouvoir. Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juillet 2019, la Polynésie française conclut au rejet de la requête. Elle soutient qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé. Par un mémoire en défense enregistré le 16 août 2019, la société Océanienne de développement touristique conclut au rejet de la requête et à ce qu’il soit mis à la charge de l’association des habitants de Tema’e Moorea une somme de 200 000 F CFP au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative Elle soutient qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ; - la « loi du pays » n° 2018-23 du 6 juin 2018 ; - la délibération n° 2004-34 APF du 12 février 2004 ; - l’arrêté n° 468 SG du 3 juin 1932 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus au cours de l’audience publique : - le rapport de Mme Theulier de Saint-Germain, rapporteur, - les conclusions de M. Retterer, rapporteur public, - et les observations de M. Bonno, représentant l’association des habitants de Tema’e Moorea, celles de Mme Ahutoru, représentant la Polynésie française, et celles de Me Jourdainne, représentant la société Océanienne de Développement Touristique. Considérant ce qui suit : 1. La société Océanienne de Développement Touristique est propriétaire d’un ensemble immobilier composant le golf de Moorea et comprenant notamment une route qui longe le lac salé de Tema’e. D’une longueur de 467 mètres, cette route passe également sur des portions remblayées appartenant au domaine public maritime de la Polynésie française. Par l’arrêté attaqué du 27 février 2019, le président de la Polynésie française a délivré une autorisation d’occupation dudit domaine public. Sur les conclusions aux fins d’annulation et d’injonction : 2. En premier lieu, l’article 1er de la délibération n° 2004-34 APF du 12 février 2004 portant composition et administration du domaine public en Polynésie française dispose que : « Le domaine public de la Polynésie française comprend toutes les choses qui sont affectées à l’usage du public ou affectées à un service public par la nature même du bien ou par un aménagement spécial, et, par suite, ne sont pas susceptibles de propriété privée. ». Aux termes de l’article 2 de cette délibération : « Le domaine public naturel comprend : / - le domaine public maritime qui se compose notamment des rivages de la mer, des lais et relais de mer, des étangs salés communiquant librement ou par infiltration ou par immersion avec la mer (…). ». Aux termes de l’article 3 de cette même délibération : « Le domaine public artificiel comprend : 1° Le domaine public routier : / - les routes, rues et chemins ouverts à la circulation publique avec leurs dépendances et leurs équipements, notamment, les ponts, dalots, buses, murs de soutènement, trottoirs, fossés, talus ; / (…) / 3° Le domaine public maritime : / (…) / B – Les aménagements de littoral réalisés sur le domaine public maritime, notamment les plages artificielles et les remblais (…). » 3. Les dépendances du domaine public ne peuvent faire l’objet d’autorisation d’occupation privative que pour autant que celle- ci ne soit pas incompatible avec la destination normale de ce domaine à savoir son libre accès et sa libre utilisation par le public s’agissant du domaine public maritime naturel et qu’elle ne compromette pas la conservation de ce domaine public. 4. L’article 4 de l’arrêté attaqué prévoit que : « l'occupant est tenu de laisser un libre accès au public sur ces deux emplacements remblayés, étant précisé que la route qui y est implantée ne permet pas, en l'état, le passage de véhicules à moteur compte tenu de sa non-conformité aux normes en vigueur en la matière ». L’association des habitants de Tema’e Moorea soutient que la Polynésie française ne pouvait exclure les véhicules à moteur de l’accès au chemin situé sur les parcelles remblayées, lequel était auparavant ouvert à la circulation. Il ressort des pièces du dossier que ce chemin « en soupe de corail » dont la bande de roulement présente une largeur maximale de 4 mètres, a été créé en 2006 par le précédent propriétaire du golf afin de desservir le complexe et a été ouvert par celui-ci à la circulation des riverains jusqu’en 2010. Ledit chemin ne peut, au vu tant des conditions de sa création que de ses caractéristiques physiques, être regardé comme ayant été jamais ouvert à la circulation générale et par suite comme relevant du domaine public routier de la Polynésie française impliquant une affectation aux besoins de la circulation terrestre. Par suite, la compatibilité de l’occupation privative des parcelles remblayées longeant le lac salé de Tema’e doit uniquement s’apprécier au regard de la destination du domaine public maritime. 5. L’exclusion des véhicules à moteur de l’accès au domaine public maritime est, contrairement à ce que soutient l’association requérante, compatible avec la destination de ce domaine, l’absence d’accès des véhicules à moteur ne faisant pas obstacle à la libre utilisation du rivage du lac. 6. En deuxième lieu, aux termes de l’article LP 1er de la « loi du pays » du 6 juin 2018 portant diverses mesures en faveur de l'accessibilité foncière : « De l’interdiction de créer des situations d'enclavement - L’accès de l'ensemble des administrés à la voirie publique dans les conditions prévues par la présente loi du pays présente un caractère d’intérêt général. Tout acte, convention ou disposition de toute nature ayant pour objet ou pour effet de faire obstacle à l’accès du propriétaire d’une emprise foncière à la voirie publique, et par là-même de créer une situation d'enclavement, est réputé nul et non avenu. Sont notamment prohibées les renonciations conventionnelles aboutissant à des situations d'enclavement volontaire. ». L’autorisation en cause n’ayant pas pour effet de créer une situation d’enclavement, les habitants du motu Tema’e disposant de la possibilité d’emprunter une autre route, l’association requérante n’est, en tout état de cause, pas fondée à se prévaloir de la méconnaissance des dispositions de la « loi du pays » du 6 juin 2018 précitée. 7. En troisième lieu, aux termes de l’article 3 de l'arrêté du 03 juin 1932 portant règlementation sur la grande voirie dans les établissements français de l’Océanie : « Les voies de communication de la Colonie sont classées ainsi qu’il suit : (…) 2°) Chemins vicinaux : Toutes les voies carrossables remontant vers les vallées ou se dirigeant vers l’intérieur des iles ; (…) ». L’association requérante ne peut utilement se prévaloir de ces dispositions pour qualifier le chemin en cause de chemin vicinal, dès lors qu’il est situé en zone littorale. 8. En quatrième lieu, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions du plan général d’aménagement de Moorea et de la méconnaissance des impératifs de santé et de sécurité publique attachés à la zone du motu de Tema'e ne peuvent être utilement invoqués à l’appui de la contestation d’une autorisation d’occupation du domaine public, laquelle relève d’une législation distincte. 9. En dernier lieu, le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi. 10. Par suite, les conclusions à fin d’annulation formées par l’association des habitants de Tema’e Moorea doivent être rejetées. Il en est de même, par voie de conséquence, des conclusions à fin d’injonction. Sur les conclusions présentées au titre des frais du litige : 11. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Polynésie française, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie tenue aux dépens ou la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. 12. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions de la société Océanienne de développement touristique présentées à ce titre. DECIDE : Article 1er : La requête de l’association des habitants de Tema’e Moorea est rejetée. Article 2 : Les conclusions de la société Océanienne de développement touristique présentées au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 3 : Le présent jugement sera notifié à l’association des habitants de Tema’e Moorea, à la société Océanienne de développement touristique et à la Polynésie française. Délibéré après l'audience du 5 novembre 2019, à laquelle siégeaient : M. Tallec, président, M. Katz, premier conseiller, Mme Theulier de Saint-Germain, première conseillère. Lu en audience publique le 19 novembre 2019. La greffière, D. Germain La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition, Un greffier, |