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Accueil > Justice administrative > Ordonnance n° 2000250 du 16 avril 2020

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Tribunal administratif de la Polynésie française
Lecture du 16/04/2020
Décision n° 2000250

Type de recours : Plein contentieux

Solution : Rejet

Texte attaqué

Ordonnance du Tribunal administratif n° 2000250 du 16 avril 2020

Tribunal administratif de Polynésie française

Juge des référés


Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 15 avril 2020 à 03h07, heure de métropole, soit le 14 avril 2020 à 15h03, heure locale, présentée par Me Aureille, M. Jean-Paul T., M. Michel G., M. Thierry S. et M. Philippe C. demandent au juge des référés:
- sur le fondement de l’article L.521-2 du code de justice administrative, d’enjoindre au président de la Polynésie française de supprimer toute restriction remettant en cause la responsabilité de tout médecin prescripteur quant à l’indication des spécialités pharmaceutiques visées à l’article 1er de l’arrêté n°394/CM du 8 avril 2020, de lui interdire toute intervention susceptible de porter atteinte aux libertés fondamentales et de rétablir le droit pour toute officine pharmaceutique d’en assurer la délivrance sur ordonnance, dans le délai de trois jours, et sous astreinte de 500.000 F CFP par jour de retard ;
- sur le fondement de l’article L.761-1 du code de justice administrative, de condamner la Polynésie française à leur verser la somme de 200.000 F CFP.
Ils soutiennent que :
- ils disposent d’un intérêt à agir, en leur double qualité de médecins et de citoyens ;
- l’urgence est caractérisée, eu égard à la pandémie et à ses effets, à la rupture d’égalité entre les professionnels de santé et les officines de pharmacie, ainsi qu’à l’égard des patients, selon les conditions de leur prise en charge et les choix thérapeutiques, et aux conséquences pour l’ensemble de la population ;
- il est porté atteinte au droit à la santé et à l’accès aux soins, ainsi qu’au libre exercice de la médecine, compte tenu notamment des caractéristiques du système de santé de la Polynésie française ; - cette atteinte est grave, dans la mesure où elle est susceptible de nuire au respect de la vie et à la santé des patients et de retarder la guérison de la pandémie ;
- cette atteinte est manifestement illégale ; en effet, l’arrêté litigieux est sans fondement légal ; l’article 2 de l’arrêté est incohérent et entaché d’erreur manifeste d’appréciation ; aucun motif ne justifie le monopole prévu par l’article 3 ; les dispositions en cause portent atteinte à la crédibilité de la « parole politique et scientifique » ; le protocole prévu semble en contradiction avec celui préconisé par l’institut dirigé par le professeur Raoult.
Par un mémoire enregistré le 16 avril 2020, la Polynésie française conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- la condition d’urgence n’est pas remplie ; en effet, la motivation des requérants est insuffisante, générale, abstraite et imprécise ; ils n’ont déposé leur requête que 7 jours après la publication des dispositions litigieuses ; il importe de faire la balance des intérêts en jeu ;
- concernant l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, le droit à la santé n’a pas été reconnu comme une « liberté fondamentale » au sens de l’article L.521-2 du code de justice administrative par la jurisprudence du Conseil d’Etat citée par les requérants ;
- il n’y a pas d’atteinte puisque l’article 1er de l’arrêté contesté n’a pas pour objet d’interdire les prescriptions mais de les encadrer, et les données médicales actuelles sont encore incertaines quant à l’efficacité des prescriptions en cause ;
- quant au caractère « grave et manifestement illégal », les médecins de ville peuvent continuer la prescription de ces spécialités dans le cadre de leur AMM, pour assurer la continuité des soins de leurs patients ; le traitement des patients atteints du Covid 19 en dehors de l’hôpital n’est pas permis, mais des prescriptions semblent avoir été à l’origine de ruptures d’approvisionnement, ce qui a pu mettre en danger la santé d’autres patients, et les données disponibles actuellement n’appuient pas un usage généralisé des produits en cause, ainsi que l’a indiqué le Conseil d’Etat dans une ordonnance du 28 mars 2020 ; il est impératif d’encadrer ce traitement, ainsi que le prévoit l’article 3 du texte litigieux , et la restriction de prescription est justifiée par les circonstances exceptionnelles ; il n’y a aucune incohérence entre les dispositions du même texte .
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- l’arrêté n°394 CM du 8 avril 2020 portant dispositions relatives à la mise à disposition de certains médicaments dans le cadre de la lutte contre la propagation du covid-19 ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique, Me Aureille , représentant M. T. et autres, et M. Le Bon, représentant la Polynésie française, qui ont repris les moyens et arguments sus analysés.
La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience, le jeudi 16 avril 2020 à 11h30.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L.521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »
2. Par arrêté n°394 CM du 8 avril 2020, le président de la Polynésie française a édicté diverses dispositions relatives à la mise à disposition de certains médicaments dans le cadre de la lutte contre la propagation du covid-19. L’article 1er de cet arrêté précise : « Les spécialités pharmaceutiques PLAQUENIL, NIVAQUINE, KALETRA, ainsi que les préparations à base d’hydroxychloroquine, de chloroquine ou à la base de l’association lopinavir/ritonavir, ne peuvent être prescrites que dans le strict respect de leurs autorisations de mise sur le marché ». Il résulte de l’article 2 du même texte que les spécialités et préparations mentionnées à l’article 1er ne peuvent être dispensées par les pharmaciens d’officine « que dans le cadre d’une prescription initiale hospitalière annuelle ou émanant exclusivement de spécialistes en rhumatologie, médecine interne, dermatologie, néphrologie, neurologie ou pédiatrie, ou dans le cadre d’un renouvellement de prescription émanant de tout médecin ». Enfin l’article 3 dudit arrêté définit les modalités de prescriptions aux patients atteints par le covid-19, de l’hydroxychloroquine et de l’association lopinavir/ritonavir.
3. En premier lieu, le requérant qui saisit le juge des référés sur le fondement des dispositions de l’article L.521-2 du code de justice administrative doit justifier des circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d’une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article. Or, en l’espèce, pour justifier l’urgence, M. T. et autres se bornent à faire état en termes généraux , dans leurs écritures, des effets de la pandémie de covid-19 en Polynésie française, et des conséquences résultant selon eux de l’application des dispositions citées au point précédent pour la santé de la population. De plus, ils indiquent eux-mêmes que la pandémie est “moins alarmante qu’en métropole”, et il est constant qu’à la date de la présente ordonnance, le nombre de personnes infectées sur l’ensemble du territoire polynésien est de 55, sur un total de 1051 personnes dépistées, et une seule personne est hospitalisée à raison de cette infection. Dans ces conditions, et malgré les intéressantes explications médicales données à la barre par le docteur T., la condition d’urgence exigée par l’article L.521-2 du code de justice administrative ne peut être regardée comme remplie.
4. En deuxième lieu, si les requérants soutiennent que les dispositions contestées porteraient atteinte au droit à la santé, l’ordonnance n°284803 du juge des référés du Conseil d’Etat du 8 septembre 2005 dont ils se prévalent indique expressément que le droit à la santé n’est pas au nombre des libertés fondamentales auxquelles s’applique l’article L.521-2 du code de justice administrative.
5. En troisième lieu, les dispositions de l’arrêté n°394 CM du 8 avril 2020 portent assurément atteinte à la liberté de prescription des médecins. Toutefois, les restrictions apportées à cette liberté sont limitées et justifiées par la crise sanitaire, eu égard notamment à l’évolution des stocks des spécialités pharmaceutiques en cause en Polynésie française.
6. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de M. T. et autres présentées sur le fondement de l’article L.521-2 du code de justice administrative ne peuvent qu’être rejetées. Par voie de conséquence, il y a également lieu de rejeter leurs conclusions présentées au titre de l’article L.761-1 du même code.
ORDONNE
Article 1er : La requête de M. Jean-Paul T., M. Michel G., M. Thierry S. et M. Philippe C. est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. T., M. G., M. S. et M. C., et à la Polynésie française.
Fait à Papeete, le 16 avril 2020.
Le président, Le greffier,
J.-Y. Tallec D. Germain
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme, Un greffier,
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