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Accueil > Justice administrative > Ordonnance n° 2000288 du 6 mai 2020

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Tribunal administratif de la Polynésie française
Lecture du 06/05/2020
Décision n° 2000288

Type de recours : Excès de pouvoir

Solution : Suspension accordée

Texte lié
  • Suspendant : Arrêté n° 1698 CAB du 28/04/2020 (texte abrogé)
  • Ordonnance du Tribunal administratif n° 2000288 du 06 mai 2020

    Tribunal administratif de Polynésie française

    Juge des référés


    Vu la procédure suivante :
    Par une requête enregistrée le 5 mai 2020 à 03h56, heure de métropole, soit le 4 mai 2020 à 15h56, heure de Polynésie française, présentée par la SELARL MLDC, M. Edouard V. demande au juge des référés:
    - sur le fondement de l’article L.521-2 du code de justice administrative, de suspendre l’exécution des articles 2, 4 et 10 (premier alinéa) de l’arrêté n°HC 1698 CAB du 28 avril 2020 du haut-commissaire de la République en Polynésie française modifiant plusieurs arrêtés relatifs aux mesures de lutte contre la propagation du virus du covid-19 ;
    - sur le fondement de l’article L.761-1 du code de justice administrative, de condamner l’Etat à lui verser la somme de 50.000 F CFP.
    Il soutient que :
    - l’urgence est caractérisée, eu égard aux atteintes aux libertés fondamentales résultant de l’exécution des dispositions litigieuses ;
    - l’arrêté a été pris sans que l’avis de l’autorité compétente en matière sanitaire ait été émis, ni même sollicité, en méconnaissance de l’article 3 du décret n°2020-293 du 23 mars 2020 ;
    - le couvre-feu prévu par l’article 2 de l’arrêté porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et de venir, à la liberté individuelle, au droit au respect de la vie privée et familiale, à la liberté du commerce et de l’industrie, et à la liberté de réunion et d’association ;
    - l’interdiction des rassemblements prévue par l’article 4 de l’arrêté porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion et d’association, à la liberté d’aller et de venir, à la liberté individuelle, et au droit au respect de la vie privée et familiale ;
    - l’interdiction de la navigation de plaisance prévue par le premier alinéa de l’article 10 de l’arrêté porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et de venir et à la liberté individuelle.
    Par un mémoire enregistré le 5 mai 2020, à 18h36, heure de Polynésie française, le haut-commissaire de la République en Polynésie française conclut au rejet de la requête.
    Il soutient que :
    - la condition d’urgence n’est pas remplie ;
    - aucune des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire en Polynésie française n’a été décidée sans avis préalable de l’autorité sanitaire locale ;
    - les mesures prises sont adaptées à la situation et proportionnées, et ne peuvent être regardées comme portant une atteinte grave aux libertés fondamentales.
    Vu :
    - la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
    - la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ;
    - le décret n°2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ;
    - l’arrêté n°HC 1698 CAB du 28 avril 2020 modifiant plusieurs arrêtés relatifs aux mesures de lutte contre la propagation du virus du covid-19 ;
    - le code de la santé publique ;
    - le code de justice administrative.
    Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
    Ont été entendus au cours de l’audience publique, Me Millet, représentant M. V., et M. Bakowiez, représentant le haut-commissaire de la République en Polynésie française, qui ont repris les moyens et arguments sus analysés.
    La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience, le mercredi 6 mai 2020 à 10h30.
    Considérant ce qui suit :
    Sur la situation sanitaire et le cadre juridique applicable en Polynésie française :
    1. Le premier cas de covid-19 a été identifié en Polynésie française le 10 mars 2020. Il résulte des dernières données communiquées par le ministre de la santé de la Polynésie française, ce 6 mai 2020, que le nombre total de cas cumulés d’infection sur l’ensemble du territoire depuis l’apparition de l’épidémie est de 60, parmi lesquels 54 ne présentent plus de signes de la maladie, et 6 font l’objet d’une surveillance, dont une seule est hospitalisée. Aucun décès n’est à déplorer du fait de ce virus, qui n’affecte que les îles de Tahiti et Moorea.
    2. La loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 prévoit la possibilité de déclarer l’état d’urgence sanitaire en Polynésie française. En application de l’article 3 du décret n°2020-293 du 23 mars 2020, qui fixe les mesures propres à garantir la santé publique, le représentant de l’Etat en Polynésie française « est habilité à prendre des mesures d’interdiction proportionnées à l’importance du risque de contamination en fonction des circonstances locales, après avis de l’autorité compétente en matière sanitaire, notamment en les limitant à certaines parties du territoire. » Sur le fondement de ces dispositions, le haut-commissaire de la République en Polynésie française a pris plusieurs arrêtés prescrivant des mesures destinées à faire face à l’épidémie, relatives notamment à la restriction des déplacements et rassemblements, et à l’instauration d’un couvre-feu. Par arrêté n° HC 1698 CAB du 28 avril 2020, le haut-commissaire de la République en Polynésie française a édicté des mesures concernant notamment les déplacements individuels, les rassemblements de personnes et les conditions d’accueil dans les établissements recevant du public, ainsi que les transports maritimes et aériens. M. V. conteste le maintien d’un couvre- feu, prévu par l’article 2 de cet arrêté, l’interdiction des rassemblements fixée par son article 4, et les dispositions afférentes à la navigation de plaisance inter-îles définies par le premier alinéa de l’article 10 dudit arrêté.
    3. Aux termes de l'article L.521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. » La liberté d’aller et de venir, la liberté individuelle, le droit au respect de la vie privée et familiale, la liberté du commerce et de l’industrie et la liberté de réunion et d’association, invoqués par le requérant, constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions précitées.
    4. Il appartient aux autorités de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l'épidémie de covid-19. Ces dispositions, qui peuvent limiter l'exercice des droits et libertés fondamentaux, doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif de sauvegarde de la santé publique qu'elles poursuivent.
    Concernant le maintien du couvre-feu :
    5. Aux termes de l’article 2 de l’arrêté n° HC 1698 CAB du 28 avril 2020 : « Le déplacement de toute personne sur l’ensemble du territoire est interdit entre 21 heures et 5 heures, jusqu’à nouvel ordre pour quelque motif que ce soit, à l’exception de ceux autorisés aux 1°, 3°, 4° et 8° de l’article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 :trajets entre le domicile et le ou les lieux d’exercice de l’activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d’être différés ;déplacements pour motifs de santé à l’exception des consultations et soins pouvant être assurés à distance et, sauf pour les patients atteints d’une affection de longue durée, de ceux qui peuvent être différés ; impérieux, pour l’assistance des personnes vulnérables et pour la garde d’enfants ; placements aux seules fins de participer à des missions d’intérêt général sur demande de l’autorité administrative et dans les conditions qu’elle précise. Ces déplacements devront être dûment justifiés, au moyen d’un document établissant qu’ils sont absolument nécessaires pendant cette tranche horaire. Cette interdiction sera réévaluée périodiquement en fonction de l’évolution de la situation épidémiologique dans les différents archipels »
    6. Pour justifier le maintien d’un couvre-feu entre 21 heures et 5 heures, le haut-commissaire de la République précise dans ses écritures que cette mesure « a pour objectif d’éviter les regroupements nocturnes fréquemment constatés en Polynésie française, et dont il est à craindre qu’ils ne soient amplifiés après plus d’un mois de confinement et suite à la levée partielle de l’interdiction de vente d’alcool ». A la barre, le représentant de l’Etat a indiqué que cette mesure relevait de la « stratégie sanitaire » et qu’elle permettait de « soulager les forces de l’ordre ».
    7. Or, d’une part, cette mesure s’applique à l’ensemble du territoire polynésien, y compris dans les nombreuses îles où aucun cas de covid-19 n’a été identifié. D’autre part, sur Tahiti et Moorea, aucune pièce justificative ne permet de vérifier l’existence des « regroupements nocturnes fréquemment constatés » mentionnés au point précédent. Dans ces conditions, eu égard à la situation sanitaire mentionnée au point 1, l’interdiction du déplacement de toute personne entre 21 heures et 5 heures ne peut être regardée comme nécessaire aux objectifs de sauvegarde de la santé publique et de prévention des troubles à l’ordre public. Ainsi, malgré les exceptions qu’il comporte, l’article 2 de l’arrêté contesté porte à la liberté d’aller et de venir et à la liberté individuelle une atteinte grave et manifestement illégale.
    Concernant l’interdiction des rassemblements :
    8. Aux termes de l’article 4 de l’arrêté n° HC 1698 CAB du 28 avril 2020 : « Les rassemblements de personnes dans l’espace public et sur la voie publique sont interdits sur l’ensemble du territoire de la Polynésie française. Cette interdiction sera réévaluée périodiquement en fonction de l’évolution de la situation épidémiologique dans les différents archipels ».
    9. Les dispositions citées au point précédent ont pour effet d’interdire sur l’ensemble du territoire polynésien, y compris en dehors de Tahiti et Moorea, les réunions de deux personnes et plus, dans l’espace public et sur la voie publique, dans le souci d’éviter la propagation du virus, ainsi que l’indique le haut-commissaire de la République dans ses écritures. Compte tenu de leur caractère général et absolu, et eu égard à la situation sanitaire mentionnée au point 1, elles portent à la liberté d’aller et de venir et à la liberté individuelle une atteinte grave et manifestement illégale.
    10. Ainsi, les dispositions de l’article 2 et de l’article 4 de l’arrêté n° HC 1698 CAB du 28 avril 2020 portent aux libertés fondamentales invoquées par le requérant une atteinte grave et manifestement illégale. Cette atteinte est immédiate. Il n’apparait pas, pour les motifs exposés aux points précédents, qu’un intérêt public suffisant s’attache à leur maintien. La condition d’urgence exigée par l’article L.521-2 du code de justice administrative doit, par suite, être regardée comme remplie, sans que le haut-commissaire de la République en Polynésie française puisse utilement faire valoir que les services de l’Etat et de la collectivité d’outre-mer « travaillent actuellement à de nouvelles mesures d’allègement qui seront mises en place dans les prochains jours dès lors que l’évolution de la situation sanitaire le permettra ».
    Concernant les mesures afférentes à la navigation de plaisance :
    11. M. V. conteste également le premier alinéa de l’article 10 de l’arrêté n° HC 1698 CAB du 28 avril 2020, aux termes duquel « La navigation de plaisance inter-îles est interdite et limitée à deux milles des eaux intérieures de l’île où le navire est stationné ».
    12. Ces dispositions, qui n’interdisent pas les déplacements par voie maritime entre les îles, autorisés dans les conditions définies à l’article 9 du même arrêté, sont relatives à la pratique d’une activité privée de loisirs. En l’espèce, le requérant ne peut être regardé comme justifiant l’urgence exigée par l’article L.521-2 du code de justice administrative en se bornant à indiquer, sans apporter le moindre élément à l’appui de ses allégations, qu’il pratiquerait une telle activité.
    13. Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu seulement de suspendre l’exécution de l’article 2 et de l’article 4 de l’arrêté du haut-commissaire de la République en Polynésie française n°HC 1698 CAB du 28 avril 2020 modifiant plusieurs arrêtés relatifs aux mesures de lutte contre la propagation du virus du covid-19.
    Sur les frais liés au litige :
    14. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions du requérant présentées au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.
    ORDONNE
    Article 1er : L’exécution de l’article 2 et de l’article 4 de l’arrêté du haut-commissaire de la République en Polynésie française n°HC 1698 CAB du 28 avril 2020 modifiant plusieurs arrêtés relatifs aux mesures de lutte contre la propagation du virus du covid-19 est suspendue.
    Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
    Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. V. et au haut- commissaire de la République en Polynésie française.
    Fait à Papeete, le 6 mai 2020.
    Le juge des référés Le président du tribunal Le juge des référés
    S. Retterer J-Y. Tallec E. Theulier de Saint-Germain
    La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
    Pour expédition conforme, Un greffier,
    X
    Bienvenue.
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