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Tribunal administratif de la Polynésie française
Lecture du 10/03/2020
Décision n° 1800132

Type de recours : Plein contentieux

Solution : Satisfaction

Domaine : Prévoyance sociale - Santé

Décision du Tribunal administratif n° 1800132 du 10 mars 2020

Tribunal administratif de Polynésie française


Vu la procédure suivante :
Par jugement du 27 novembre 2018, le tribunal a, d’une part, condamné la Polynésie française à verser à M. Frédéric H. et à Mme Agnès R., épouse H., une indemnité de 1 000 000 F CFP chacun au titre de leur préjudice moral, et à la SNC Pharmacie de Papara une indemnité de 1 914 825 F CFP au titre des frais divers, avec intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 2017 et, d’autre part, ordonné avant dire-droit une expertise contradictoire aux fins de déterminer le préjudice financier subi par la SNC Pharmacie de Papara.
Par ordonnance du 18 décembre 2018, M. B. a été désigné en qualité d’expert.
Le rapport d’expertise a été déposé au greffe du tribunal le 8 novembre 2019.
Par ordonnance du 25 novembre 2019, les frais d’expertise ont été liquidés et taxés à la somme de 607 000 F CFP.
Par des mémoires enregistrés les 16 janvier et 20 février 2020, la SNC Pharmacie de Papara a maintenu ses conclusions tendant à condamner la Polynésie française à lui verser une somme de 133 412 049 F CFP en réparation du préjudice financier subi. Elle demande à titre subsidiaire de condamner la Polynésie française à lui verser une somme de 120 379 968 F CFP, à titre très subsidiaire de condamner la Polynésie française à lui verser une somme de 108 719 491 F CFP, à titre infiniment subsidiaire d’ordonner un complément d’expertise, et demande enfin de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 1 500 000 F CFP au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient en outre que :
- elle maintient à titre principal sa demande, quitte à la recalculer sur la base du taux de marge sur coûts variables au lieu du taux de marge commerciale ; elle a évalué sa perte de chiffres d’affaires selon une comparaison « au réel » ; la projection utilisée par l’expert en se fondant sur le taux de croissance du PIB de Polynésie française minore sensiblement les pertes de chiffre d’affaires réellement subies au regard de l’activité constatée entre les périodes de concurrence.
- à titre subsidiaire, le préjudice financier doit être évalué sur la base d’une approche corrigée et actualisée du rapport de l’expert ; il est plus pertinent de se référer au taux de marge propre à chaque exercice, plutôt qu’à un taux moyen comme le fait l’expert ; la totalité du chiffre d’affaires doit être prise en compte ; l’année 2018 ne peut pas être intégralement assimilée à une situation normale pouvant servir à l’établissement du chiffre d’affaires moyen de référence, de même que l’année 2017 ; l’exercice 2019 étant désormais terminé, il est proposé de l’intégrer à la construction de la situation normale de référence ; le taux d’accroissement du PIB en 2016 retenu par l’expert est erroné ; ne présentent pas le caractère de charges variables les achats de prestations de services de l’exercice 2018, les frais d’avocats, les travaux spéciaux de l’expert-comptable, les frais d’actes et contentieux, les dépenses de décoration de l’officine, ainsi que les frais de maintenance engagés en 2015 ; l’expert a omis de tenir compte des chiffres d’affaires générés par les ventes de médicaments liées aux rétrocessions, alors pourtant qu’il a intégré le cout de ces ventes dans les charges variables.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 février 2020, la Polynésie française conclut à titre principal au rejet de la requête et à titre subsidiaire à ce que l’indemnisation du préjudice financier de la SNC Pharmacie de Papara soit limitée à la somme de 51 951 000 F CFP.
Elle soutient que :
- l’évaluation de la perte de bénéfice net doit se fonder sur la perte de marge sur coûts variables ainsi que sur le seul chiffre d’affaires relevant du monopole pharmaceutique ;
- le coût de la location du nouveau local par la SNC Pharmacie de Papara depuis janvier 2018 doit bien être pris en compte pour l'établissement du chiffre d'affaires moyen de référence ;
- le taux d'accroissement du PIB en 2016 à prendre en considération est bien de 2,21 %, correspondant au taux de croissance réelle, et non de 3,46 % correspondant au taux de croissance nominale ;
- les achats de prestations de services en 2018 et les dépenses de décoration de l’officine constituent une charge variable ;
- les ventes de médicaments liées aux rétrocessions doivent être exclues du chiffre d’affaires pris en compte, dès lors que les pharmaciens d’officine ne sont autorisés à dispenser aux patients les médicaments qu'au détail ;
- elle s’oppose à la demande de complément d’expertise ;
- eu égard aux difficultés inhérentes à la fixation du montant de l’indemnisation, la demande tendant à l’octroi d’intérêts moratoires est infondée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
- le rapport de Mme Theulier de Saint-Germain, rapporteur,
- les conclusions de M. Retterer, rapporteur public,
- et les observations de Me Varrod, substituant Me Millet, représentant les requérants, et celles de M. Le Bon, représentant la Polynésie française.
Considérant ce qui suit :
1. Avant de se prononcer sur la demande de la SNC Pharmacie de Papara, le tribunal, par un jugement du 27 novembre 2018, a ordonné qu’il soit procédé à une expertise afin d’évaluer les pertes de bénéfice net en lien avec la concurrence de la pharmacie de Taharu’u à laquelle la SNC Pharmacie de Papara a été exposée du 1er janvier 2015 au 3 février 2016 puis du 18 février 2016 au 19 avril 2017. L’expert a déposé son rapport le 8 novembre 2019.
Sur le préjudice financier subi par la SNC Pharmacie de Papara :
2. L’expert nommé par le tribunal a utilisé, pour apprécier le préjudice subi par la SNC Pharmacie de Papara, la méthode de la marge sur coûts variables, laquelle n’est pas contestée dans son principe.
En ce qui concerne l’évolution attendue du chiffre d’affaires :
3. D’une part, l’expert a procédé au calcul de l’évolution du chiffre d’affaires qui aurait été celui de la SNC Pharmacie de Papara en l’absence d’ouverture de la pharmacie de Taharu’u, sur la base de la moyenne du chiffre d’affaires moyen mensuel des années 2012, 2013, 2014 et 2018, à laquelle il a ensuite appliqué le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) de la Polynésie française. Il ressort des énonciations du rapport d’expertise que les composantes du chiffre d’affaires prises en compte sont, d’une part, les médicaments remboursables, d’autre part les médicaments non remboursables et enfin les produits dits « frontière ». Si la Polynésie française fait valoir que ces derniers produits ne relèvent pas du monopole pharmaceutique, une telle circonstance n’est toutefois pas de nature à les exclure de l’évaluation de la perte de bénéfice net subie par la requérante, dès lors notamment qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’activité de la pharmacie de Taharu’u se serait limitée à la commercialisation de produits relevant du monopole pharmaceutique. En outre si l’expert a retenu, au titre des années 2012 à 2014, le chiffre d’affaires « hors rétrocession et divers », il est toutefois constant que l’intégralité du chiffre d’affaires doit être prise en compte, dès lors que le calcul du taux de marge intègre l’ensemble des charges correspondantes, et notamment les achats de marchandises, sans qu’ait une incidence la possibilité, pour la SNC Pharmacie de Papara, d’effectuer de telles rétrocessions.
4. D’autre part, la société requérante soutient que l’expert aurait dû estimer le chiffre d’affaires en se fondant sur une comparaison « au réel », au regard de son activité sur des périodes identiques des années 2015, 2016 et 2017. Toutefois, et alors notamment que les taux d’augmentation du chiffre d’affaires en fonction des comparaisons « au réel » présentent de fortes disparités, l’expert a pu retenir la méthode d’évaluation précitée, dès lors qu’il ressort des énonciations non contestées de son rapport qu’il existe une corrélation entre le taux de croissance nominale du PIB et l’évolution du chiffre d’affaires des officines en Polynésie française après l’année 2012.
5. En revanche, ainsi que le soutient la société requérante l’expert ne pouvait, dans les bases de calcul, retenir le chiffre d’affaires des années 2017 et 2018, dès lors que la pharmacie de Taharu’u y a été ouverte. De même, il y a lieu de corriger le taux de croissance nominale du PIB de l’année 2016 qui est de 3,46 % et non de 2,21 % ainsi qu’indiqué à tort par l’expert. Si la SNC Pharmacie de Papara soutient enfin que les données de l’exercice 2019 pourraient être intégrées au calcul, il n’y a toutefois pas lieu, au regard de la période en cause, de tenir compte de cet exercice.
6. Dans ces conditions, la perte de chiffre d’affaires subie par la SNC Pharmacie de Papara doit être évaluée à la somme de 106 731 982 F CFP en 2015, 107 615 716 F CFP en 2016 et 16 031 768 F CFP en 2017, soit une perte totale de chiffre d’affaires d’un montant de 230 379 467 F CFP sur la période litigieuse.
En ce qui concerne le taux de marge sur coûts variables :
7. L’expert a retenu à bon droit, comme coûts variables, les achats de marchandises ainsi qu’un certain nombre de charges externes comme les consommables et énergies mais également les impôts et taxes, qui, à l’exception de la contribution sur les patentes, sont dépendants de l’activité de la SNC Pharmacie de Papara, ainsi que des charges financières. Toutefois, ainsi que le soutient la société requérante, doivent être retranchées des charges externes certaines charges qui ne peuvent être regardées comme dépendant du niveau d’activité de la pharmacie, telles que, et contrairement à ce que soutient la Polynésie française, les dépenses de décoration de l’office, qui présentent un caractère forfaitaire, de même que les frais de maintenance, les frais d’actes et de contentieux ainsi que les travaux spéciaux de l’expert- comptable. Par suite, le montant des coût variables entrant dans la détermination du taux de marge sur coût variables doit être arrêté à la somme de 178 207 735 F CFP en 2015, 181 650 919 F CFP en 2016 et de 242 914 919 F CFP en 2017.
8. S’agissant du calcul du taux de marge sur coûts variables, l’expert retient un taux de marge moyen, calculé au regard des données des exercices 2012, 2013, 2014 et 2018, qu’il applique à la période concernée par l’indemnisation. Rien ne fait obstacle à ce que soit appliqué, ainsi que le demande la requérante, le taux de marge réel de chacun des exercices 2015, 2016 et 2017. Dans ces conditions, il y a lieu de retenir un taux de marge sur coûts variables, calculé au regard des charges citées au point 7, de 36,74 % en 2015, 35,62 % en 2016 et 35,18 % en 2017.
9. L’application de ces taux de marge sur coûts variables aux pertes de chiffre d’affaires détaillées au point 6 aboutit à une évaluation de la perte de bénéfice net subi par la SNC Pharmacie de Papara à la somme de 83 185 855 F CFP. Contrairement à ce que propose l’expert, il n’y a pas lieu de majorer cette somme du montant de l’impôt marginal qui sera supporté par la société.
10. Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’ordonner le complément d’expertise sollicité, de condamner la Polynésie française à verser à la SNC Pharmacie de Papara une somme de 83 185 855 F CFP.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
11. La SNC Pharmacie de Papara a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 83 185 855 F CFP à compter du 20 décembre 2017, date de notification de sa demande préalable.
12. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d’une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu’à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée le 18 avril 2018. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 20 décembre 2018, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d’intérêts, ainsi qu’à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les frais d’expertise :
13. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre les frais de l’expertise ordonnée par le tribunal administratif à la charge de la Polynésie française.
Sur les conclusions présentées au titre des frais liés au litige :
14. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 300 000 F CFP à verser à la SNC Pharmacie de Papara au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La Polynésie française est condamnée à verser à la SNC Pharmacie de Papara une somme de 83 185 855 F CFP, avec intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 2017. Les intérêts échus à la date du 20 décembre 2018 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Les frais d’expertise, liquidés et taxés à la somme de 607 000 F CFP, sont mis à la charge de la Polynésie française.
Article 3 : La Polynésie française versera à la SNC Pharmacie de Papara une somme de 300 000 F CFP au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la SNC Pharmacie de Papara, à M. Frédéric H., à Mme Agnès R. épouse H. et à la Polynésie française.
Délibéré après l'audience du 25 février 2020, à laquelle siégeaient :
M. Tallec, président, M. Katz, premier conseiller, Mme Theulier de Saint-Germain, première conseillère.
Lu en audience publique le 10 mars 2020.
La greffière,
D. Germain
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition, Un greffier,
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