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Tribunal administratif de la Polynésie française
Lecture du 16/03/2021
Décision n° 1900097

Type de recours : Plein contentieux

Solution : Satisfaction

Décision du Tribunal administratif n° 1900097 du 16 mars 2021

Tribunal administratif de Polynésie française


Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 20 mars 2019 et des mémoires enregistrés le 2 juillet 2020 et le 4 décembre 2020, l’Eurl Toanui Pearls Tahiti, représentée par Me Poullet-Osier, demande au tribunal :
1°) de condamner la Polynésie française à lui payer la somme de 14 120 920 F CFP en réparation du préjudice causé par la destruction, le 10 mars 2017, de 14 175 perles ;
2°) de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 339 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société requérante fait valoir que : la destruction de ses perles le 10 mars 2017 est intervenue après que l’assemblée de la Polynésie française ait adopté la loi du pays du 13 décembre 2016, qui supprime la notion de rebuts et qui n’est entrée en vigueur que le 18 juillet 2017 ; c’est dans la précipitation et la clandestinité que la Polynésie française a procédé à la destruction des rebuts de perles ; la délibération du 4 février 2005 imposant des restrictions, des interdictions, la privation et la destruction de perles relevait du domaine législatif et était entachée d’illégalité ; le service de la perliculture avait connaissance et conscience de ce que les perles saisies en application de la réglementation illégale pouvaient être commercialisables puisque la classification de rebuts avait été supprimée par la loi du pays ; l’administration était tenue d’abroger un texte illégal ; les agents ont commis une faute de service ; la privation de propriété qui résulte de la destruction de perles classées en rebut doit être indemnisée en vertu de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ; selon un rapport d’évaluation du cabinet INGEFI, le préjudice est évalué à 14 120 929 F CFP, soit 996 F CFP HT par perle détruite.
Par des mémoires en défense enregistrés les 24 mai 2020 et 23 décembre 2020, la Polynésie française conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que la requête n’est pas fondée.
Par une ordonnance du 31 décembre 2020 la clôture de l’instruction a été fixée au 22 janvier 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- la loi du pays n°2017-16 du 18 juillet 2017 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
- le rapport de M. Retterer,
- les conclusions de Mme Theulier de Saint-Germain, rapporteur public,
- les observations de Mme Izal, représentant la Polynésie française.
Considérant ce qui suit :
1. L’entreprise Toanui Pearls Tahiti exerce l’activité de négociant en perles de culture de Tahiti depuis le 27 novembre 2008. La « loi du pays » n° 2017-16 du 13 décembre 2016 réglementant les activités professionnelles liées à la production et la commercialisation des produits perliers et nacriers en Polynésie française a supprimé la notion de rebuts de perles. Cette « loi du pays » n’est entrée en vigueur que le 18 juillet 2017, après la décision du conseil d’Etat n°407125 du 28 juin 2017. Entre temps, la direction des ressources marines a détruit, le 10 mars 2017, 14 175 rebuts de perles appartenant à l’entreprise requérante par voie d’« océanisation ». Par une demande préalable en date du 30 novembre 2018, l’Eurl Toanui Pearls Tahiti a sollicité une indemnisation pour les 14 175 rebuts de perles ainsi détruits. En l’absence de réponse, l’entreprise requérante demande au tribunal une indemnité en réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi.
Sur les conclusions à fin d’indemnisation :
En ce qui concerne le droit à indemnisation :
2. D’une part, aux termes de l’article 2 de la délibération du 4 février 2005, abrogée par la « loi du pays » du 18 juillet 2017 : « (…) 2.2. (…) / Une perle de l’huître perlière Pinctada margaritifera var. cumingii n’est qualifiée “perle de culture de Tahiti” que si au moins 80 % de sa surface est recouverte, d’un seul tenant, par des couches perlières telles que définies à l’alinéa précédent. La surface restante, soit au plus 20 %, est constituée d’une matière naturelle sécrétée par l’huître perlière Pinctada margaritifera var. cumingii, telle que de la calcite ou de la matière organique. / Cette perle est par définition entière. Sa couche perlière est constituée d’une épaisseur suffisante et ne fait pas apparaître, même par transparence, le nucleus. / L’épaisseur minimale de la couche perlière, entre le nucleus et la surface externe de la perle de culture de Tahiti, est fixée à 0,8 millimètre. / 2.3 (…) Toute perle de culture est dite “perle de culture sciée 3/4 ou sciée 1/2” selon sa forme, lorsqu’elle a été sciée ou meulée. Sa surface visible répond expressément aux définitions et à la classification de la perle de culture de Tahiti (…) / 2.4. (…) Est qualifié de rebut, même lorsqu’il est produit en Polynésie française par l’huître perlière Pinctada margaritifera var. cumingii : / - la perle de culture présentant soit des dépôts de calcite, soit des dépôts organiques, ou les deux à la fois, sur plus de 20 % de sa surface ; / - la perle de culture présentant des zones dévitalisées visibles sur plus de 20 % de sa surface ; / - la perle n’ayant pas l’épaisseur réglementaire ; / plus généralement, la perle ne répondant pas aux dispositions de l’article 2.2 insusceptible d’être classée dans l’une des catégories définies à l’article 5.4. de la présente délibération. / (…) ». Aux termes de l’article 3 de la même délibération : « (…) Il est strictement interdit d’exposer, de mettre en vente ou de vendre des rebuts sous quelque forme que ce soit. (…) ».
3. D’autre part, aux termes de l’article 10 de la délibération du 4 février 2005, relatif aux contrôles préalables à la commercialisation des perles de culture de Tahiti : « (…) a) Lors de ventes aux enchères ou de ventes sur offre, un contrôle de qualité des perles de culture de Tahiti préalable à l’exposition et à la consultation par les clients doit être effectué. / Les agents commissionnés du service en charge de la perliculture vérifient que les lots présentés ne contiennent pas de rebut. / b) En dehors de toute exportation, les détenteurs de perles de culture de Tahiti peuvent soumettre, leur lot de perles, au contrôle de qualité des agents commissionnés du service en charge de la perliculture, qui vérifient que ceux-ci ne contiennent pas de rebut. / Un arrêté en conseil des ministres fixe les modalités de ces contrôles de qualité. / Les rebuts présentés dans le cadre de la procédure du présent article sont conservés et détruits par le service en charge de la perliculture. Les producteurs de perles de culture de Tahiti, titulaires de la carte, peuvent être indemnisés sur la base du poids net des rebuts conservés. / Un arrêté en conseil des ministres fixe les modalités de cette indemnisation. » Aux termes de l’article 12 de la même délibération : « Tout exportateur doit soumettre le lot de perles et les ouvrages à expédier, à l’examen du service en charge de la perliculture. Un agent commissionné délivre, après contrôle, un certificat de qualité d’exportation et un tableau de classification. / Les rebuts sont conservés et détruits par le service en charge de la perliculture. / Les rebuts présentés par les producteurs de perles de culture de Tahiti titulaires de la carte professionnelle, dans le cadre de la procédure du présent article, sont indemnisés sur la base du poids net des rebuts conservés. (…) ».
4. Aux termes de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. »
5. La Polynésie française a, sur le fondement des articles 10 et 11 de la délibération du 4 février 2005, saisi et détruit des perles de culture appartenant à l’Eurl Toanui Pearls Tahiti au motif qu’elles ne remplissaient pas les conditions de qualité fixées par l’article 2 de cette délibération et que, par conséquent, elles devaient être regardées au sens de ces mêmes dispositions comme des rebuts insusceptibles d’être exposés, mis en vente ou vendus sous quelque forme que ce soit en application de l’article 3 de la délibération. Toutefois, comme le fait valoir à juste titre l’Eurl Toanui Pearls Tahiti, seule une loi peut porter atteinte au droit de propriété en vertu de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Il s’ensuit que la Polynésie française ne pouvait pas sur le fondement de la délibération du 4 février 2005, dépourvue de toute base légale, saisir et détruire les perles de la société requérante et porter ainsi atteinte à son droit de propriété.
6. Il résulte de ce qui précède que la Polynésie française a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en procédant à la destruction des perles appartenant à la société requérante et en portant ainsi atteinte à son droit de propriété.
En ce qui concerne le montant de l’indemnisation :
7. Il résulte de l’instruction, et notamment de la publication des « points de conjoncture » de l’Institut de la Statistique de la Polynésie française d’octobre 2018, que le prix du gramme des exportations des perles de culture brutes s’évaluait en 2017 à 575 F CFP. Si la société requérante estime que le prix moyen de la perle devrait être évalué à 986 F CFP, il résulte de l’instruction que la méthodologie suivie par le rapport du cabinet d’experts comptable INGEFI, qui n’a pas de compétence reconnue en matière perlière, repose essentiellement sur des documents relatifs à une autre entreprise, l’Eurl Raipoe International. Ce document n’est donc pas susceptible de remettre en cause l’évaluation précitée de l’Institut de la Statistique de la Polynésie française.
8. Il résulte en outre de l’avis du Conseil économique, social et culturel du territoire de la Polynésie française, rendu en 2016 dans le cadre de l’élaboration de la « loi du pays » du 18 juillet 2017, que les rebuts de perles étaient composés de perles de culture présentant des dépôts de calcite ou organiques ou présentant des zones dévitalisées visibles sur plus de 20% de leur surface, ainsi que de perles n’ayant pas l’épaisseur nacrière réglementaire de 0,8 mm, cette dernière catégorie de rebuts de perles pouvant représenter jusqu’à 90% d’un lot de rebuts. Le conseil économique indique que ces perles ont une valeur marchande dès lors qu’elles peuvent être valorisées lors de la confection de bijoux ou de produits d’artisanat.
9. Il résulte encore de l’instruction qu’environ 15% des perles en cause ont été qualifiées de rebuts de perles par le service de perliculture au regard de leur seule qualité visuelle insuffisante et, pour les 85% de perles restantes, en raison seulement de l’épaisseur de leur couche nacrière inférieure au seuil règlementaire de 0,8 millimètre après contrôle au X-Ray. Ainsi, les perles qualifiées de rebuts en raison de l’épaisseur de la couche nacrière inférieure à 0,8 millimètre doivent être regardés comme ayant une qualité visuelle et donc une valeur marchande comparables aux perles de culture ayant une couche nacrière supérieure à 0,8 millimètre, seuls les rebuts de perles ayant une qualité visuelle insuffisante devant être regardés comme ayant une valeur marchande négligeable. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par la société requérante en pratiquant une réfaction de 15% sur le poids total de 15 302,4 grammes de perles ouvrant droit à indemnisation, soit 13 007,04 grammes, puis en retenant le prix de 575 F CFP correspondant au prix à l’exportation du gramme de perles de culture brutes pour l’année 2017, date à laquelle le préjudice de perte de commercialisation a été subi. L’entreprise requérante a donc droit à être indemnisée de la perte de propriété de ses rebuts de perles pour un montant de 7 479 048 F CFP.
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de la justice administrative : 10. Il y a lieu de mettre à la charge de la Polynésie française, une somme de 150 000 F CFP, à verser à l’Eurl Toanui Pearls Tahiti au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La Polynésie française est condamnée à verser une indemnité de 7 479 048 F CFP à l’Eurl Toanui Pearls Tahiti.
Article 2 : La Polynésie française versera à l’Eurl Toanui Pearls Tahiti une somme de 150 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à l’Eurl Toanui Pearls Tahiti et à la Polynésie française.
Délibéré après l'audience du 2 mars 2021, à laquelle siégeaient :
M. Devillers, président, M. Retterer, premier conseiller, M. Katz, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mars 2021.
La greffière,
D. Germain
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
Pour expédition, Un greffier,
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