Tribunal administratif de la Polynésie française Lecture du 15/12/2020 Décision n° 2000258 Type de recours : Excès de pouvoir Solution : Rejet Domaine : Police administrative | Décision du Tribunal administratif n° 2000258 du 15 décembre 2020 Tribunal administratif de Polynésie française Vu la procédure suivante : Par une requête et un mémoire enregistrés le 16 avril 2020 et le 3 novembre 2020, M. René Georges X. demande au tribunal : 1°) à titre principal, d’annuler l’arrêté du haut-commissaire de la République en Polynésie française du 14 avril 2020 modifiant plusieurs arrêtés relatifs aux mesures de lutte contre la propagation du virus covid-19 ; 2°) à titre subsidiaire, d’annuler l’article 1er de l’arrêté précité ; 3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 500 001 F CFP en application de l’article L. 7611 du code de justice administrative. Il soutient que : - sa qualité de résident en Polynésie française lui donne intérêt pour agir contre l’arrêté qu’il conteste ; - l’arrêté attaqué a été pris en application du III de l’article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ; or, cet article ne vise que le représentant de l’Etat dans le département ; - l’article III de l’article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 est contraire à l’article L. 3131-17 du code de la santé publique, en ce que ce dernier article, en son alinéa premier, ne permet pas au Premier ministre d’habiliter le représentant de l’Etat territorialement compétent à prendre des mesures restrictives de libertés qui ne sont pas des mesures d’application des articles L. 3131-15 et L. 3131-16 du code de la santé publique ; l’alinéa 2 de l’article L. 3131-17 du code de la santé publique, qui ne concerne que les préfets, ne permet au Premier ministre de décider que d’une habilitation « totale » à prendre les mesures en principe de sa compétence ; par ailleurs, ce n’est que lorsque les mesures prévues au 1° et 9° de l’article L. 3131-15 et à l’article L. 3131-16 doivent s’appliquer dans un champ géographique qui n’excède pas le territoire d’un département, ce qui n’est pas le cas présentement (vu que l’état d’urgence sanitaire a été déclaré sur l’ensemble du territoire de la République française par la loi précitée), que le Premier ministre peut déléguer localement ses pouvoirs ; le tribunal constatera aussi que la disposition décrétale en cause est illégale au motif qu’elle ne prévoit pas un avis du directeur général de l’agence régionale de santé, comme la loi l’exige. Par un mémoire en défense, enregistré le 20 octobre 2020, le haut-commissaire de la République en Polynésie française conclut au non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête. Il fait valoir que la requête est dépourvue d’objet puisque l’arrêté attaqué a cessé de produire ses effets depuis le 29 avril 2020. Par ordonnance du 20 octobre 2020, la clôture d’instruction a été fixée au 20 novembre 2020. Vu l’arrêté attaqué et les autres pièces du dossier. Vu : - la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ; - la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ; - le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ; - le code de la santé publique ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus au cours de l’audience publique : - le rapport de M. Katz, - les conclusions de Mme Theulier de Saint-Germain, rapporteur public, - et les observations de M. Bakowiez représentant le haut-commissaire de la République en Polynésie française. Considérant ce qui suit : 1. Aux termes de l’article L. 3131-12 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 : « L’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ». Selon le 2ème alinéa de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 : « L’état d’urgence sanitaire entre en vigueur sur l’ensemble du territoire national ». Aux termes de l’article L. 3131-17 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de l’article 2 de la loi n° n° 2020-290 du 23 mars 2020 : « Lorsque le Premier ministre ou le ministre chargé de la santé prennent des mesures mentionnées aux articles L. 3131-15 et L. 3131-16, ils peuvent habiliter le représentant de l’Etat territorialement compétent à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d’application de ces dispositions. / Lorsque les mesures prévues aux 1° à 9° de l’article L. 3131-15 et à l’article L. 3131-16 doivent s’appliquer dans un champ géographique qui n’excède pas le territoire d’un département, les autorités mentionnées aux mêmes articles L. 3131-15 et L. 3131-16 peuvent habiliter le représentant de l’Etat dans le département à les décider lui-même. Les décisions sont prises par ce dernier après avis du directeur général de l’agence régionale de santé ». Aux termes de l’article 3 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 : « Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est habilité à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai de deux mois à compter de la publication de la présente loi, les mesures d’adaptation destinées à adapter le dispositif de l’état d’urgence sanitaire dans les collectivités régies par l’article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie, dans le respect des compétences de ces collectivités (…) ». 2. Aux termes du III de l’article 3 du décret 2020-293 du 23 mars 2020, dans sa version en vigueur à la date de l’arrêté attaqué : « Le représentant de l’Etat dans le département est habilité à adopter des mesures plus restrictives en matière de trajets et déplacements des personnes lorsque les circonstances locales l’exigent ». Aux termes de l’article 14 du même décret : « Les articles 3, 7, 9 et 10 du présent décret son applicables en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française ». Sur l’exception de non-lieu : 3. Si le haut-commissaire de la République en Polynésie française fait valoir que l’arrêté attaqué du 14 avril 2020 a cessé de produire ses effets depuis le 29 avril 2020, cet arrêté n’a pas disparu rétroactivement de l’ordonnancement juridique et a reçu exécution. Il en résulte que, contrairement à ce que soutient l’administration en défense, les conclusions à fin d’annulation présentées par M. X. n’ont pas perdu leur objet. Il y a donc lieu d’y statuer. Sur les conclusions de la requête : 4. En premier lieu, en déclarant l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire national, y compris en Polynésie française, ainsi que le permettent les dispositions de l’article L. 3131-12 du code de la santé publique, le législateur a entendu que cette déclaration emporte la faculté de mettre en œuvre l’ensemble des mesures prévues au chapitre de ce code couvertes par une telle déclaration. En outre, l’article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 a été pleinement rendu applicable en Polynésie française en vertu de l’article 14 du même décret. Il en résulte que l’article 3 de ce décret, en visant « le représentant de l’Etat dans le département », n’a pas entendu exclure le haut-commissaire de la République en Polynésie française, qui est le représentant de l’Etat territorialement compétent en Polynésie française. 5. En second lieu, le requérant excipe de l’illégalité des dispositions du III de l’article 3 du décret du 23 mars 2020. Il fait valoir que le 2ème alinéa de l’article L. 3131-17 du code de la santé publique ne permettrait qu’une habilitation « totale » de ce représentant et non pas la faculté d’apporter des compléments aux mesures décidées au plan national, que ce même alinéa ne pourrait trouver application que dans l’hypothèse, qui n’est pas réalisée en l’espèce, où l’état d’urgence sanitaire n’est pas déclaré pour l’ensemble de la République et que la consultation de l’agence régionale de santé n’est pas prévue par le décret, alors qu’elle est imposée par ce même alinéa. Cependant, les dispositions du 2ème alinéa de l’article L. 3131-17 ne limitent la possibilité pour le pouvoir réglementaire d’habiliter le représentant de l’Etat dans le département, ni aux cas où cette habilitation serait exclusive de l’exercice par le Premier ministre ou le ministre de la santé des pouvoirs qu’ils tiennent respectivement des articles L. 3131-15 et L. 3131-16, ni à l’hypothèse où l’état d’urgence sanitaire ne serait déclaré que sur une partie du territoire national. Par ailleurs, la consultation de l’agence régionale de santé s’impose en vertu des dispositions de cet alinéa lorsque le représentant de l’Etat dans le département prend des mesures sur le fondement de l’habilitation qu’il a reçue, sans qu’il ait été besoin que le décret du 23 mars 2020 réitère cette obligation. Par suite, le moyen tiré, par voie d’exception, de l’illégalité des dispositions du III de l’article 3 de l’arrêté du 23 mars 2020 doit être écarté. 6. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d’annulation présentées à titre principal et à titre subsidiaire par M. X. doivent être rejetées ainsi que, en conséquence, celles présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. DECIDE : Article 1er : La requête de M. X. est rejetée. Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. René Georges X. et au haut-commissaire de la République en Polynésie française. Délibéré après l’audience du 8 décembre 2020, à laquelle siégeaient : M. Devillers, président, M. Katz, premier conseiller, M. Retterer, premier conseiller, Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2020. Le rapporteur, D. Katz Le président, P. Devillers La greffière, D. Germain La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision. Pour expédition, Un greffier, |