Tribunal administratif de la Polynésie française Lecture du 11/05/2021 Décision n° 2000276 Type de recours : Excès de pouvoir Solution : Satisfaction
| Décision du Tribunal administratif n° 2000276 du 11 mai 2021 Tribunal administratif de Polynésie française Vu la procédure suivante : Par une requête et des mémoires, enregistrés le 26 avril 2020, le 24 août 2020, le 30 septembre 2020 et le 5 octobre 2020, M. Jean-Paul X., M. Michel Y., M. Thierry A. et M. Philippe B., Mme Delphine C., M. Tutea D., M. Stéphane E. et le « collectif de soignants » dénommé « Pour un peuple libre d’être soigné », représentés par Me Aureille, demandent au tribunal : 1°) d’annuler l’arrêté n° 394/CM du 8 avril 2020 portant dispositions relatives à la mise à disposition de certains médicaments dans le cadre de la lutte contre la propagation du covid-19 ; 2°) d’enjoindre à la Polynésie française de cesser de restreindre, pour l’avenir, la liberté de prescription des médecins libéraux ; 3°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 300 000 F CFP en application de l’article L. 7611 du code de justice administrative. Ils soutiennent que : - la Polynésie française n’avait pas compétence pour ajouter la Nivaquine et le Kaletra aux médicament visés par le décret n° 2020-314 du 25 mars 2020 ; la Polynésie française n’avait pas non plus compétence pour poser en principe la distribution des médicaments visés par les officines de pharmacie ; la Polynésie française ne saurait trouver un fondement légal à son intervention dans la délibération de 1988 sur la réglementation de la pharmacie ; - il est porté atteinte à la liberté de prescription des médecins et au droit à la protection de la santé ; - le décret n° 2020-314 du 25 mars 2020 est illégal ; - l’article 12-2 du décret n° 2020-314 du 25 mars 2020, qui a été « transposé » par l’arrêté attaqué, a été abrogé par le décret n° 2020-545 du 11 mai 2020, ce qui prive de base légale l’arrêté attaqué ; - l’arrêté du ministre des solidarités et de la santé en date du 26 mai 2020 est illégal ; - l’arrêté attaqué est entaché d’illégalité pour défaut de lisibilité et d’intelligibilité de la norme en ce qu’il prévoit la possibilité, pour un médecin, de renouveler une prescription pour certains médicaments, sans prévoir la possibilité de prescrire initialement ces mêmes médicaments ; la finalité de la mesure est imprécise ; - les dispositions de la loi du 23 mars 2020 sur l’état d’urgence sanitaire ne permettent pas d’interdire la prescription de médicaments appropriés pour l’éradication de la catastrophe sanitaire ; il n’est pas établi que le Plaquenil ne serait pas approprié ; - l’article 3 de l’arrêté attaqué institue un monopole en faveur de l’officine du centre hospitalier, sans que cela ne soit justifié ; - l’article 3 de l’arrêté attaqué est entaché d’erreur manifeste d’appréciation. Par des mémoires en défense, enregistrés le 24 juillet 2020 et le 19 novembre 2020, la Polynésie française conclut au non-lieu à statuer sur la requête. Elle fait valoir que : - par arrêté n° 1808/CM du 12 novembre 2020, le conseil des ministres a abrogé les dispositions du chapitre I, comprenant les articles 1 à 4, de l’arrêté n° 394/CM du 8 avril 2020 portant dispositions relatives à la mise à disposition de certains médicaments dans le cadre de la lutte contre la propagation du covid-19, ainsi que l’article 5 du chapitre II ; la requête s’en trouve privée d’objet ; - les moyens soulevés par M. X. ne sont pas fondés. Par ordonnance du 21 octobre 2020, la clôture d’instruction a été fixée au 20 novembre 2021. Vu l’arrêté attaqué et les autres pièces du dossier. Vu : - la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ; - la délibération n° 88-153 AT du 20 octobre 1988 ; - la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ; - la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 ; - le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 ; - le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ; - le décret n° 2020-314 du 25 mars 2020 ; - le décret n° 2020-337 du 26 mars 2020 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus au cours de l’audience publique : - le rapport de M. Katz, - les conclusions de Mme Theulier de Saint-Germain, rapporteur public, - les observations de Me Aureille représentant MM. X., Y., A. et B., et Mme C., M. D. et M. E. et le collectif « Pour un peuple libre d’être soigné », et celles de Mme Ahutoru représentant la Polynésie française. Considérant ce qui suit : Sur l’exception de non-lieu : 1. Si la Polynésie française soutient que, par arrêté n° 1808/CM du 12 novembre 2020, le conseil des ministres a abrogé les dispositions litigieuses de l’arrêté attaqué, il est constant que celles-ci ont reçu exécution. La requête conserve donc son objet. Sur les interventions : 2. Aux termes de l’article R. 632-1 du code de justice administrative : « L’intervention est formée par mémoire distinct (…) ». 3. Les interventions de Mme C., M. D. et M. E. et du « collectif de soignants » dénommé « Pour un peuple libre d’être soigné » n’ont pas été présentées par mémoire distinct. Dès lors, en application des dispositions précitées, elles ne sont pas recevables. Sur les conclusions présentées par MM. X., Y., A. et B. : 4. Aux termes qu’aux termes de l’article 1er de l’arrêté n° 394/CM du 8 avril 2020 : « Les spécialités pharmaceutiques PLAQUENIL, NIVAQUINE, KALETRA ainsi que les préparations à base d’hydroxychloroquine, de chloroquine ou à base de l’association lopinavir/ritonavir, ne peuvent être prescrites que dans le strict respect de leurs autorisations de mise sur le marché ». Aux termes de l’article 2 du même arrêté : « Les spécialités et préparations mentionnées à l’article 1er du présent arrêté, dans le respect des indications de leurs autorisations de mise sur le marché, ne peuvent être dispensées par les pharmaciens d’officine que dans le cadre d’une prescription initiale hospitalière annuelle ou émanant exclusivement de spécialistes en rhumatologie, médecine interne, dermatologie, néphrologie, neurologie ou pédiatrie ou dans le cadre d’un renouvellement de prescription émanant de tout médecin ». Aux termes de l’article 3 du même arrêté : « Par exception aux dispositions de l’article 1er du présent arrêté et conformément aux dispositions de l’article 2-1-3 de la délibération n° 88-153 AT du 20 octobre 1988 modifiée susvisée, l’hydroxychloroquine et l’association lopinavir/ritonavir peuvent être prescrits, dispenses et administres, sous la responsabilité d’un médecin exerçant au centre hospitalier de la Polynésie française, aux patients atteints par le covid-19, pris en charge par le centre hospitalier de la Polynésie française ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile. / Ces prescriptions interviennent, après décision collégiale, dans le respect des recommandations du Haut conseil de la sante publique et, en particulier, de l’indication pour les patients atteints de pneumonie oxygéno-requérante ou d’une défaillance d’organe ». 5. A la date de l’arrêté attaqué, aucun texte n’habilitait le conseil des ministres de la Polynésie française à restreindre la distribution par les pharmaciens d’officine des spécialités pharmaceutiques mentionnées dans les dispositions précitées ou à en réserver la prescription par certains médecins. D’ailleurs, ainsi que le relève la Polynésie française elle-même dans ses écritures, ce n’est que par la « loi du pays » n° 2020-11 du 21 avril 2020 que le conseil des ministres de cette collectivité s’est vu attribuer une compétence pour « prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure réglementaire proportionnée aux risques courus et appropriés aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences possibles sur la santé de la population de Polynésie française ». Si la Polynésie française invoque des circonstances exceptionnelles pour justifier l’intervention du conseil des ministres, en urgence et en l’absence de toute habilitation textuelle, elle n’établit pas, concrètement, l’existence de telles circonstances en Polynésie française à la date du 8 avril 2020 alors, qu’à l’époque, le nombre de personnes infectées sur l’ensemble du territoire polynésien était d’une cinquantaine, ainsi que l’a relevé le juge des référés dans son ordonnance n° 2000250 du 16 avril 2020. Par suite, M. X. et autres sont fondés à soutenir que l’arrêté n° 394/CM du 8 avril 2020 est entaché d’incompétence et à en demander l’annulation, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête. 6. Les requérants demandent, en outre, au tribunal d’enjoindre à la Polynésie française de cesser de restreindre, pour l’avenir, la liberté de prescription des médecins libéraux. Toutefois, le motif d’annulation de l’arrêté attaqué n’implique pas une telle mesure d’injonction. 7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre la somme de 150 000 F CFP à la charge de la Polynésie française au titre des frais de procès exposés par MM. X., Y., A. et B.. DECIDE : Article 1er : Les interventions de Mme C., M. D. et M. E. et du « collectif de soignants » dénommé « Pour un peuple libre d’être soigné » ne sont pas admises. Article 2 : L’arrêté du conseil des ministres de la Polynésie française n° 394/CM du 8 avril 2020 est annulé. Article 3 : La Polynésie française versera la somme de 150 000 F CFP à MM. X., Y., A. et B. au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté. Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. le docteur Jean-Paul X., à M. le docteur Michel Y., à M. le docteur Thierry A., à M. le docteur Philippe B., à M. Stéphane E., à Mme Delphine C., à M. Tutea D. et au président de la Polynésie française. Copie en sera délivrée au haut-commissaire de la République en Polynésie française. Délibéré après l’audience du 27 avril 2021, à laquelle siégeaient : M. Devillers, président, M. Katz, premier conseiller, M. Retterer, premier conseiller, Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mai 2021. Le rapporteur, D. Katz Le président, P. Devillers La greffière, D. Germain La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision. Pour expédition, Un greffier, |