Tribunal administratif de la Polynésie française Lecture du 01/09/2021 Décision n° 2100414 Type de recours : Excès de pouvoir Solution : Suspension accordée
| Ordonnance du Tribunal administratif n° 2100414 du 01 septembre 2021 Tribunal administratif de Polynésie française Juge des référés Vu la procédure suivante : Par une requête et des mémoires, enregistrés le 31 août et le 1er septembre 2021, Mme Poerava X., M. Alain Y., Mme Françoise Z., Mme Isabelle A., M. Eugène X. et l’association Faatura Te Rahu A Te Atua, représentés par Me Dumas, demandent au juge des référés : - sur le fondement de l’article L.521-2 du code de justice administrative, de suspendre l’exécution des articles 1, 2 et 3 de l'arrêté n° 1749 CM du 25 août 2021 portant application de la loi du pays n° 2021-37 du 23 août 2021 relative à la vaccination obligatoire dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée à la covid-19 ; - de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 300 000 F CFP au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative. Ils soutiennent que : - la requête est recevable ; les cinq requérants personnes physiques justifient en l'espèce d'un intérêt direct et personnel à contester l'arrêté querellé qui, à défaut de vaccination, met en péril leur activité professionnelle ou accroît les frais de santé à leur charge ; l’association requérante a pour sa part été constituée aux fins notamment de proposer et défendre des solutions alternatives aux projets et problématiques ne rencontrant pas l'adhésion des citoyens de Polynésie française, dont la vaccination obligatoire ; - l’urgence est justifiée ; l'arrêté est d'application immédiate et la loi du pays du 23 août 2021 en application duquel l'arrêté est pris impose une entrée en vigueur des sanctions dans un délai de deux mois ; les requérants sont dès lors soumis à une obligation vaccinale immédiate dont la sanction de l'illégalité ne pourrait être réparée par l'allocation de dommages et intérêts ; la promulgation immédiate de la loi de pays les a privés d’un recours suspensif ; - les mesures litigieuses portent gravement atteinte et de manière manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales : + violation du droit au travail garanti par le cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ; nul ne peut être empêché de travailler en raison de son état de santé ou de son statut vaccinal ; or l'arrêté soumet les personnes exerçant les professions listées à une obligation de vaccination à défaut de quoi elles sont condamnées à perdre leur emploi, l'article 14 prévoyant une suspension du contrat de travail des personnes refusant de se soumettre à l'obligation vaccinale, ce qui apparaît excessif et disproportionné ; rien n’est prévu comme alternative. Cette obligation n'est en outre assortie d'aucun recours spécial en référé devant le juge judiciaire, ou, le cas échéant, devant le juge administratif, permettant à l'intéressé de défendre ses droits ; + violation du droit à la liberté d'entreprendre consacrée par la décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982 en application des articles 2, 4 et 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ; en subordonnant l'accès à certaines professions et la continuité de l'exercice de certaines professions pourtant sans lien avec les professions de santé (Tatoueurs, guides, agents de bar, etc ... ) à la vaccination sous peine d'amendes cumulables à l'infini, l'atteinte est manifestement disproportionnée à l'objectif poursuivi ; + violation du droit à l'égalité et absence de proportionnalité ; il y a une rupture d'égalité manifestement injustifiée entre les personnes soumises à cette obligation vaccinale et le reste de la population ; si la vaccination préserve les personnes vaccinées de développer des formes graves de la maladie, il est avéré qu'elle ne les empêche pas de contracter la maladie et de la transmettre ; par conséquent, la vaccination obligatoire de ces catégories de personnes n'a pas de véritable sens ; pour plusieurs catégories de personnel concernées, les gestes barrières suffiraient à assurer la protection souhaitée ; la législation métropolitaine qui a été récemment adoptée n'a pas étendu à toutes ces professions l'obligation vaccinale à l'inverse de la Polynésie française qui ne justifie nullement de circonstances particulières ; + violation du droit à l'égale protection de la santé consacrée au onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, en fixant une majoration de 20 points du ticket modérateur pour les personnes concernées par l'obligation vaccinale pour raisons de santé mais non vaccinées ; ce alors que les personnes visées sont pourtant particulièrement vulnérables et sans même que les traitements visés ne soient en lien avec l'infection du covid- 19 ; l'égal accès au soin n'est plus garanti et la politique sanitaire devient éminemment discriminatoire ; la différence de traitement dans l'accès aux soins est grave et est démesurément attentatoire aux libertés fondamentales par rapport aux bénéfices sanitaires qui peuvent légitimement en être attendus ; il y a une double-peine instaurée si l’on est à la fois sur la liste des professionnels susceptibles de se voir infliger l’amende et sur la liste des personnes souffrant des affections visées susceptibles de devoir supporter la majoration : - les articles 1, 2 et 3 sont entachés d’incompétence ; seule l’assemblée exerce le pouvoir législatif et non le conseil des ministres en application des articles 89 et suivants de la loi organique ; - l’obligation vaccinale est imposée sans distinction aux mineurs de 16 à 18 ans et aux incapables majeurs et des sanctions peuvent leur être appliquées alors qu’ils ne sont pas décisionnaires ; Par un mémoire enregistré le 1er septembre 2021, la Polynésie française conclut au rejet de la requête. Elle soutient que : - l’association Faatura Te Rahu A Te Atua est irrecevable à agir tant son objet social est imprécis ; - la condition d’urgence spécifique au référé liberté n’est pas remplie alors que des sanctions ne sont applicables que dans deux mois et ressortirait davantage d’un référé suspension ; il y a inversement urgence à vacciner la population pour protéger la société polynésienne ; - l’obligation vaccinale de nombreuses professions n’est pas contraire au préambule de la Constitution de 1946 et est proportionnée à l’objectif recherché ; les textes incriminés ne prévoient aucune suspension de contrat de travail ; - aucune atteinte n’est apportée à la liberté d’entreprendre ; - le principe d’égalité, le droit au travail et le droit à la santé ne sont pas des libertés fondamentales au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ; seules sont visées les personnes présentant un risque de contamination pour les tiers ; - le conseil des ministres est compétent pour l’application des lois de pays ; - la majoration du ticket modérateur de 20 % existe déjà pour le non- respect de l’obligation d’avoir un médecin traitant et de suivre un parcours de soins ; l’objectif poursuivi par cette sanction est seulement de protéger les personnes concernées, plus vulnérables à la maladie, en les incitant à se vacciner ; Vu : - la Constitution ; - la loi organique n°2004-192 du 27 février 2004 ; - la loi n°2021-689 du 31 mai 2021 ; - la loi du pays n° 2021-37 du 23 août 2021 ; - le décret n°2021-699 du 1er juin 2021 ; - le code de justice administrative. Vu les autres pièces du dossier. Le président du tribunal a désigné M. Retterer et Mme Theulier de Saint-Germain pour statuer sur les demandes de référé. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus au cours de l’audience publique, à la suite du rapport de M. Devillers juge des référés, les observations de Me Dumas, représentant les requérants, ainsi que les observations de M. Lebon, représentant la Polynésie française, qui ont repris les moyens et arguments sus analysés. La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience. Considérant ce qui suit : 1. Aux termes de l'article L.521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (…) » 2. Sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, les requérants demandent au juge des référés de suspendre l’exécution des articles 1, 2 et 3 de l'arrêté n° 1749 CM du 25 aout 2021 portant application de la loi du pays n° 2021-37 du 23 août 2021 relative à la vaccination obligatoire dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée à la covid-19 Sur la fin de non-recevoir opposée par la Polynésie française : 3. Eu égard aux effet des mesures critiquées, les requérants personnes physiques, qui résident en Polynésie française et relèvent des catégories de personnes visées par l’arrêté attaqué, justifient d’un intérêt pour agir. Par suite, la requête est recevable sans qu’il y ait lieu d’examiner, eu égard au caractère imprécis de son objet social, l’intérêt pour agir de l’association Faatura Te Rahu A Te Atua. Sur l’atteinte à des libertés fondamentales résultant de la vaccination obligatoire en Polynésie française de diverses catégories de population : 4. Aux termes de l’article LP.1er de la loi du pays n° 2021-37 du 23 août 2021 relative à la vaccination obligatoire dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée à la covid-19, publiée au JOPF le 23 août 2021 : « Les personnes qui exercent une activité professionnelle ou bénévole les exposant ou exposant les personnes dont elles ont la charge à des risques de contamination doivent avoir un schéma vaccinal complet contre la covid- 19 (…) » Aux termes de son article LP. 2 : « Les personnes de plus de seize ans, atteintes d’une des affections dont la liste est établie par arrêté pris en conseil des ministres, sont tenues de se soumettre à l’obligation de vaccination contre la covid-19 (…) ». Aux termes de l’article LP. 5 : « Les secteurs d’activité, les lieux d’exercice, les personnes ou les professions concernés par la présente loi du pays sont fixés, par arrêté pris en conseil des ministres (…). ». Aux termes de l’article LP. 7 : « L’obligation vaccinale est considérée comme réalisée sur présentation du justificatif de statut vaccinal complet. (…) Lorsque les personnes concernées par l’obligation vaccinale contre la covid-19 justifient d’une contre-indication temporaire (…) ces personnes sont exonérées de manière temporaire de l’obligation de vaccination (…). Lorsque les personnes concernées par l’obligation vaccinale contre la covid-19 justifient d’une contre-indication absolue (…) ces personnes sont exonérées de l’obligation de vaccination (… ) ». Aux termes de l’article LP. 8. : « Le non-respect des obligations de vaccination prévues aux articles LP. 1, LP. 3 et LP. 4 ou la volonté d’en entraver l’exécution sont punis d’une amende administrative de 175 000 F CFP ». Aux termes de l’article LP. 9. : « Le non-respect de l’obligation de vaccination prévue à l’article LP. 2 donne lieu à majoration d’un nombre de points fixé par arrêté pris en conseil des ministres du ticket modérateur pour la prise en charge de tous actes, prescriptions et prestations dispensés à l’assuré par les régimes de protection sociale polynésiens, y compris l’hospitalisation. Cette majoration cesse après satisfaction à l’obligation de vaccination (…) ». Enfin au termes de l’article LP. 15. : « Les personnes visées par l’obligation vaccinale de la présente loi du pays disposent d’un délai de deux mois à compter de la date de promulgation de la présente loi du pays pour satisfaire à cette obligation ». 5. L’article 1er de l’arrêté contesté n° 1749 CM du 25 août 2021 portant application de la loi du pays n° 2021-37 du 23 août 2021 relative à la vaccination obligatoire dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée à la covid-19 fixe la liste des personnes de plus de seize ans soumises à l'obligation de vaccination contre la covid-19 en application des dispositions précitées de l’article LP.2 de la loi du pays n° 2021-37 du 23 août 2021. L’article 2 détermine les secteurs d'activité, les lieux d'exercice, les personnes ou les professions concernés par l'obligation vaccinale contre la covid-19 en application des article LP. 1, LP. 3 et LP.4. L’article 3 précise, pour l’application de l'article LP 9, que « le non-respect de l'obligation de vaccination prévue à l'article LP 2 donne lieu à majoration de 20 points pour la prise en charge ». 6. Il est constant que la situation sanitaire en Polynésie française est particulièrement dégradée depuis juillet 2021 en raison de la diffusion croissante du variant Delta du virus de la covid-19 sur le territoire. Il résulte ainsi des données disponibles à la date du 31 août 2021 que, en raison de la contamination, 412 hospitalisations sont en cours, dont 62 en réanimation et que 13 personnes en sont décédées en 24 heures. Il résulte également des données non contestées fournies par la Polynésie française que les personnes non-vaccinées représentent, sur ce territoire, 87,8 % des personnes dont la contamination par le virus de la covid-19 nécessite qu’elles soient admises à l’hôpital et, particulièrement, plus de 94 % des personnes admises en réanimation et 87,1 % des personnes décédées. Dans ce contexte sanitaire particulièrement grave, et alors, d’une part, qu’en l’état actuel des connaissances scientifiques et compte tenu des statistiques mentionnées ci-dessus, le risque induit par la vaccination apparaît totalement résiduel en comparaison des bénéfices qu’en retirent les personnes vaccinées, d’autre part, eu égard à l’important coût collectif induit directement par la prise en charge médicale des patients atteints de la covid 19 et indirectement par ses répercussions économiques, sociales et en terme de restrictions des libertés publiques, la mesure de vaccination obligatoire imposée à certaines catégories de population davantage exposées à la contamination apparaît nécessaire. Il importe également de relever que cette vaccination est gratuite et que plusieurs types de vaccins sont disponibles, avec ou sans ARN messager, en Polynésie française. Par ailleurs il est constant que l’arrêté contesté ne comporte, contrairement aux énonciations de la requête, aucune mesure limitant le droit au travail ni ne fixe, par lui-même, le principe d’une prise en charge augmentée par les malades du traitement de certaines maladies, lequel résulte de la loi de pays susmentionnée dont la légalité sera examinée par le Conseil d’Etat, compte tenu du recours introduit à son encontre. Egalement, le moyen tiré à de ce que l’obligation vaccinale est imposée sans distinction aux mineurs de 16 à 18 ans et aux incapables majeurs et que des sanctions peuvent leur être appliquées alors qu’ils ne sont pas décisionnaires est inopérant à l’encontre de l’arrêté critiqué qui ne comporte aucune disposition sur cette amende administrative en cause, instituée par l’article LP. 8 de la loi de pays. Dans ces circonstances, la condition de gravité de l’atteinte portée au droit au travail, à la liberté d’entreprendre et au principe d’égalité ou celle susceptible de résulter de l’incompétence de l’auteur de l’acte ne peut, en tout état de cause, être regardée comme étant satisfaite. 7. Toutefois, l’article 3 de l’arrêté litigieux fixe à 20 % le montant de la majoration du ticket modérateur instituée par l’article LP. 9 pour « tous actes, prescriptions et prestations dispensés à l’assuré par les régimes de protection sociale polynésiens, y compris l’hospitalisation ». Le quantum de cette sanction du non-respect de l’obligation vaccinale prévue à l’article LP 2, eu égard à son caractère substantiel et au fait qu’elle concerne des personnes dont la santé est vulnérable, certes particulièrement bénéficiaires de l’administration du vaccin, apparaît, dès lors qu’elle est susceptible de conduire des patients à renoncer aux soins qui leurs sont nécessaires, de nature à constituer une violation grave et manifestement illégale du droit à la protection de la santé et à l’accès aux soins. La conditions d’urgence doit, dès lors, être regardée comme étant satisfaite et il y a lieu de prononcer la suspension de cette disposition. Sur les conclusions au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative : 8. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire application de ces dispositions. ORDONNE Article 1er : L’article 3 de l'arrêté n° 1749 CM du 25 aout 2021 portant application de la loi du pays n° 2021-37 du 23 août 2021 relative à la vaccination obligatoire dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée à la covid-19 est suspendu. Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté. Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme Poerava X. représentante unique en application des articles R. 751-3 et R. 411-5 du code de justice administrative et à la Polynésie française. Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Polynésie française. Fait à Papeete, le 1er septembre 2021. Le juge des référés Le juge des référés Le juge des référés P. Devillers S. Retterer E. Theulier de Saint-Germain La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition conforme, Un greffier, |