Tribunal administratif de la Polynésie française Lecture du 24/11/2021 Décision n° 2000215 Type de recours : Excès de pouvoir Solution : Satisfaction totale Domaine : Urbanisme et aménagement du territoire
| Décision du Tribunal administratif n° 2000215 du 24 novembre 2021 Tribunal administratif de Polynésie française Vu la procédure suivante : Par une requête et des mémoires enregistrés les 25 mars et 20 novembre 2020 et 24 septembre 2021, la SA Beachcomber Tahiti, représentée par la Selarl M et H, demande au tribunal : 1°) d’annuler l’arrêté n° 79 CM du 16 janvier 2020 portant autorisation d’occupation temporaire de divers emplacements du domaine public maritime, d’une superficie totale de 3 055 m², sis commune de Bora Bora, commune associée de Anau, au profit de la SCI Maire, ainsi que l’arrêté n° 868 CM du 17 mai 2021 portant modification de l’arrêté précité du 16 janvier 2020 ; 2°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 350 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - la requête est recevable ; - l’arrêté attaqué a été pris au terme d’une procédure irrégulière dès lors qu’il ressort de ses visas que cet acte n’a été pris qu’au vu de l’étude d’impact sur l’environnement ; l’administration n’a pas pris en compte l’avis du commissaire- enquêteur et l’avis définitif du service instructeur ; - la procédure est également viciée compte tenu de l’absence de publicité de la mise à disposition du domaine public et de sélection préalable de candidats potentiels, préalablement à l’autorisation accordée en l’espèce à des fins économiques ; cet impératif relève des principes fondamentaux du droit de la domanialité publique qui s’appliquent en Polynésie française ; - la SCI Maire ne peut pas prétendre bénéficier de l’autorisation d’occupation temporaire du domaine public faute d’être en mesure de produire en son nom le titre requis à l’article 9 de l’arrêté 1334 CM du 8 septembre 2015 ; en tout état de cause, le bail dont se prévaut la SCI Maire est illégal ; elle ne peut ainsi justifier de droits immobiliers sur la parcelle KB n° 9 ; - l’arrêté attaqué est entaché de violation de la loi ; de par sa nature, et ne correspondant notamment pas à une opération d’intérêt général, le projet de construction d’une villa de luxe ne peut pas bénéficier d’une autorisation d’occupation du domaine public assortie de droits réels ; l’autorisation est consentie pour une durée de neuf ans et il n’est pas indiqué qu’elle sera précaire et révocable à tout moment ; - cet arrêté est entaché d’une erreur de droit dès lors qu’il revient à interdire la libre circulation du public sur le rivage de la mer dès lors qu’aucun dispositif de passage à sec le long du rivage n’est prévu, et qu’il n’est assorti d’aucune garantie de remise en état des lieux permettant à l’administration de s’assurer du bon accomplissement de son obligation de conservation du domaine public ; rien ne permet à la Polynésie française de s’assurer du fait que l’autorisation d’occupation du domaine public ne sera pas mise en œuvre à la seule fin de création d’une lagune et d’une prise d’eau de mer, sans que la villa de luxe soit autorisée et encore moins construite ; la construction de cette villa, même destinée à la location saisonnière de courte durée, ne peut s’analyser en un complexe touristique ; la Polynésie française, au lieu de délivrer une autorisation d’occupation du domaine public, aurait dû se borner à donner son accord, en sa qualité de gestionnaire, sur l’engagement de la procédure d’autorisation d’occupation temporaire du domaine public, dans le cadre de l’instruction d’une demande de permis de construire ; - l’autorisation initiale d’occupation temporaire du domaine public porte notamment sur un emplacement de 60 m² destiné à la réalisation d’un épis remblayé et enroché dans le lagon, or, l’irrégularité tenant à l’absence d’accord de voisinage n’a pas été levée s’agissant de la construction de cet ouvrage sur le domaine public maritime, en limite de propriété ; - si l’arrêté susvisé n° 868 CM du 17 mai 2021 portant modification de l’arrêté précité du 16 janvier 2020 réduit la surface de certaines zones initialement concernées, il autorise une augmentation importante de l’emprise de l’épi en remblais dont la superficie passe de 60 m² à 236 m² constituant ainsi une véritable digue érigée exclusivement à titre de confort ; les analyses et préconisations de l’étude d’impact sont ainsi rendues obsolètes du fait de cette modification substantielle des travaux devant intervenir dans le lagon ; l’impact environnemental dû à cet ouvrage augmenté est nécessairement aggravé. Par des mémoires enregistrés les 10 juin 2020, 26 mars, 2 septembre et 13 octobre 2021, la SA Aquamaris Bora Bora, venant aux droits de la SCI Maire, représentée par la Selarl Jurispol, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 400 000 F CFP soit mise à la charge de la SA Beachcomber Tahiti, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle fait valoir que la requête est irrecevable dès lors que la société requérante est dépourvue d’intérêt pour agir et que les moyens de la requête ne sont pas fondés ou sont inopérants. Elle verse en outre aux débats l’arrêté n° 868 CM du 17 mai 2021 portant modification de l’arrêté en litige n° 79 CM du 16 janvier 2020 et expose que ce dernier arrêté a pour objet de réduire la superficie d’occupation domaniale autorisée en précisant que le titulaire de cette autorisation est désormais la SA Aquamaris Bora Bora tenant ainsi compte de la transformation de la SCI Maire. Elle fait valoir également que les autres moyens de la requête ne sont pas fondés. Par un mémoire en défense, enregistré le 14 août 2020, la Polynésie française conclut au rejet de la requête. Elle fait valoir, à titre principal, que la requête est irrecevable dès lors que la société requérante ne justifie pas d’un intérêt pour agir et, subsidiairement, que les moyens exposés dans la requête ne sont pas fondés. Une note en délibéré, enregistrée le 22 novembre 2021, a été produite pour la SA Beachcomber Tahiti. Vu les autres pièces du dossier ; Vu : - la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ; - le code de l’environnement ; - le code de l’aménagement de la Polynésie française ; - la délibération n° 2004-34 APF du 12 février 2004 ; - le code de justice administrative ; Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus au cours de l’audience publique : - le rapport de M. Graboy-Grobesco, - les conclusions de Mme Theulier de Saint-Germain, rapporteure publique, - les observations de Me Houbouyan pour la SA Tahiti Beachcomber, celles de Me Quinquis, représentant la SA Aquamaris Bora Bora et celles de Mme Ahutoru, représentant la Polynésie française. Considérant ce qui suit : 1. La SA Tahiti Beachcomber est propriétaire de l’hôtel Intercontinental Thalasso et Spa sur le territoire de la commune de Bora Bora, situé sur la parcelle voisine de la parcelle KB n° 9 sur laquelle la SCI Maire a entrepris de réaliser une villa de luxe à vocation touristique, pour laquelle une autorisation de travaux immobiliers à été délivrée le 21 janvier 2020 par le ministre du logement et de l’aménagement, modifiée le 27 janvier 2021. Afin de pouvoir réaliser son projet qui nécessite des travaux préalables de terrassement et de creusement d’un chenal en vue de créer une lagune au droit de la future construction, la SA Aquamaris Bora Bora a sollicité, le 15 avril 2019, une autorisation d’occupation temporaire du domaine public auprès des autorités de la Polynésie française. Le 12 septembre 2019, la commission du domaine a émis un avis favorable à l’ensemble du projet en précisant notamment que les prescriptions de l’étude d’impact sur l’environnement devaient être respectées et que l’avis de la DIREN devait être intégré dans l’autorisation. Par un arrêté n° 79 CM du 16 janvier 2020, le président de la Polynésie française a autorisé l’occupation temporaire de divers emplacements du domaine public maritime d’une superficie totale de 3 055 m² sur la parcelle KB n° 9 située sur le territoire de la commune de Bora Bora, au profit de la SCI Maire, devenue SA Aquamaris Bora Bora. Par la présente requête, la SA Tahiti Beachcomber demande l’annulation de cet arrêté. Elle doit également être regardée comme demandant l’annulation de l’arrêté n° 868 CM du 17 mai 2021 portant modification de l’arrêté précité. Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt pour agir : 2. Il est constant que la SA Beachcomber Tahiti exploite un hôtel de luxe sur la parcelle mitoyenne de celle de la SCI Maire sur le territoire de la commune de Bora Bora. L’objet de l’arrêté en litige qui consiste en une autorisation d’occupation temporaire de plusieurs emplacements du domaine public maritime sur la parcelle précitée KB n° 9 n’a pas pour effet propre d’autoriser des travaux de construction ou des installations sur le domaine public maritime. La réalisation de ces constructions ou installations est en effet subordonnée à la délivrance préalable des autorisations de travaux immobiliers dont les demandes sont instruites par le service en charge de l’urbanisme, ainsi que cela est d’ailleurs précisé à l’article 4.G de l’arrêté contesté. Toutefois, alors que l’autorisation et le contrôle de l’administration des travaux de terrassement et d’aménagement en cause relèvent d’une législation distincte de celle qui régit la délivrance des autorisations d’occupation temporaire du domaine public, l’arrêté en litige précise dans son article 1er que l’autorisation d’occupation temporaire de divers emplacements du domaine public maritime « est accordée dans le cadre d’aménagements annexes à la réalisation d’une villa de luxe ». Cet article identifie notamment des emplacements destinés à l’implantation d’un ponton sur pilotis dans le lagon, à la réalisation d’un épi remblayé et enroché dans le lagon, à l’implantation d’une prise d’eau de mer situé du côté océan, au creusement d’un chenal dans le lagon, au creusement d’une lagune sur la parcelle KB n° 9, ou encore à l’implantation d’une passerelle. Il s’en déduit que l’autorisation d’occupation temporaire du domaine public maritime en litige est accordée dans le but précis de permettre la réalisation des travaux ci-dessus mentionnés. Dans ces conditions, en raison des effets directs sur la parcelle voisine exploitée par la SA Beachcomber Tahiti des travaux pour lesquels l’autorisation domaniale a été délivrée et des éléments que la société requérante apporte de nature à justifier des nuisances dont elle se prévaut, notamment de l’impact visuel de l’épi remblayé et enroché et de l’atteinte au milieu naturel terrestre et marin de sa propre parcelle du fait du creusement d’une lagune, la société requérante doit être regardée comme justifiant d’un intérêt pour agir contre les arrêtés litigieux susvisés n° 79 CM du 16 janvier 2020 et n° 868 CM du 17 mai 2021. Par suite, la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt pour agir de la SA Beachcomber Tahiti dans la présente instance doit être écartée. Sur les conclusions à fin d’annulation des arrêtés du 16 janvier 2020 et du 17 mai 2021 : 3. Aux termes de l’article 1er de la délibération du 12 février 2004 portant composition et administration du domaine public en Polynésie française : « Le domaine public de la Polynésie française comprend toutes les choses qui sont affectées à l’usage du public ou affectées à un service public par la nature même du bien ou par un aménagement spécial, et, par suite, ne sont pas susceptibles de propriété privée. (…) ». Aux termes de l’article 2 de cette délibération : « Le domaine public naturel comprend : / - le domaine public maritime qui se compose notamment des rivages de la mer (...) ». 4. L’autorisation d’occupation temporaire d’une dépendance du domaine public ne peut être légalement accordée qu’à la condition de se concilier avec les usages, conformes à la destination du domaine, que le public est normalement en droit d’exercer. 5. Si l’article 4 de l’arrêté n° 79 CM du 16 janvier 2020 en litige dispose que « La présente autorisation est consentie aux clauses et conditions particulières du présent arrêté, toutes de rigueur, que le bénéficiaire s’engage à respecter, à savoir (…) B – le bénéficiaire s’engage à assurer la continuité du passage public en bordure du rivage », la tenue de l’engagement qu’il prescrit tendant à maintenir le libre passage le long du rivage n’apparaît toutefois pas réalisable au regard des pièces versées aux débats et des termes mêmes de l’arrêté contesté. En effet, il ressort des pièces du dossier, notamment du plan de masse, qu’aucun aménagement permettant le passage longitudinal le long du rivage, même en retrait, n’est prévu. Le creusement et l’aménagement d’un chenal correspondant à une emprise de 384 m², la réalisation prévue d’un épi en enrochement avançant sur le lagon sur l’un des côtés de la parcelle d’assiette du projet, d’une superficie désormais portée à 236 m², ainsi que l’édification d’un ponton, contribuent à rendre le passage public le long du rivage impraticable. La Polynésie française ne peut sérieusement faire valoir à ce titre qu’« il restera toujours possible de passer le long du rivage, nonobstant le creusement de la lagune projetée qui aura pour seule conséquence d’obliger le public à passer par un chenal immergé sur une distance de 16,20 mètres et d’une profondeur maximale d’1,20 mètres ». De plus, la circonstance que les hôtels proches « Intercontinental » et « Four Season » ne laissent pas au public la possibilité d’un cheminement le long du littoral du fait de leurs aménagements respectifs, pour regrettable soit-elle, est sans incidence sur l’appréciation de la légalité de l’arrêté litigieux. Si, pour la partie de la parcelle d’assiette du projet ouverte au public, la SA Aquamaris Bora Bora fait valoir qu’un mode de contournement et de cheminement est possible pour assurer la continuité du passage public en bordure de rivage, elle ne justifie pas de son caractère réalisable au regard de la localisation et de la destination des emplacements du domaine public maritime pour lesquels l’autorisation d’occupation temporaire litigieuse a été expressément délivrée. Dans ces conditions, l’autorisation d’occupation temporaire du domaine public contestée ne peut être regardée comme se conciliant avec les usages conformes à la destination du domaine public maritime que le public est normalement en droit d’exercer, en accédant et en circulant librement le long du rivage. 6. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, la SA Tahiti Beachcomber est fondée, pour le motif d’annulation mentionné aux points 4 et 5, à demander l’annulation de l’arrêté du 16 janvier 2020, ainsi, par voie de conséquence, de l’arrêté modificatif également contesté du 17 mai 2021. Sur les frais liés au litige : 7. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de la SA Tahiti Beachcomber, qui n’a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 150 000 F CFP à verser à la SA Tahiti Beachcomber au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. DECIDE : Article 1er : Les arrêtés contestés du 16 janvier 2020 et du 17 mai 2021 sont annulés. Article 2 : La Polynésie française versera la somme de 150 000 F CFP à la SA Tahiti Beachcomber au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 3 : Les conclusions présentées par la SA Aquamaris Bora Bora au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la SA Tahiti Beachcomber, à la Polynésie française et la SA Aquamaris Bora Bora. Copie en sera délivrée au haut-commissaire de la République en Polynésie française. Délibéré après l'audience du 9 novembre 2021, à laquelle siégeaient : M. Devillers, président, M. Retterer, premier conseiller, M. Graboy-Grobesco, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 novembre 2021. Le rapporteur, Le président, La greffière, D. Germain La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision. Pour expédition, Un greffier, |