Tribunal administratif de la Polynésie française Lecture du 22/11/2022 Décision n° 2200070 Type de recours : Excès de pouvoir Solution : Rejet | Décision du Tribunal administratif n° 2200070 du 22 novembre 2022 Tribunal administratif de Polynésie française 1ère Chambre Vu la procédure suivante : Par une requête enregistrée le 23 février 2022, Mme D P, Mme C P, Mme E F, Mme K I, M. W U, Mme J U, M. Q O, Mme N A, Mme S V, M. H G, l'association Te Oto O Te Nuna'a, le syndicat des avocats de Polynésie française et le syndicat A Ti'a No Te Ea - Liberté Santé Polynésie Française, représentés par Me Rayssac, demandent au tribunal : 1°) d'annuler l'arrêté n° HC 340 CAB du 25 janvier 2022 par lequel le haut-commissaire de la République en Polynésie française a modifié l'arrêté n° HC 7934 CAB du 15 novembre 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de la sortie de crise sanitaire ; 2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 100 000 F CFP à verser à chaque requérant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ils soutiennent que : - leur requête est recevable ; les requérants exerçant la profession d'avocat ont intérêt pour agir dès lors que l'arrêté litigieux les empêche d'exercer devant les juridictions détachées de Raiatea et Nuku Hiva ; l'association Te Oto O Te Nuna'a et le syndicat A Ti'a No Te Ea ont également intérêt pour agir dès lors que l'arrêté attaqué porte atteinte à leurs droits et libertés fondamentaux ainsi qu'à l'éthique médicale ; les autres personnes physiques requérantes ont également intérêt pour agir dès lors qu'elles se voient privées de la liberté de circuler et de travailler ou d'entreprendre dans les îles ainsi que de leur droit de réunion familiale ; le délai pour agir est également respecté ; - l'état d'urgence en Polynésie française n'ayant pas été prolongé au-delà du 16 novembre 2021, l'arrêté du 25 janvier 2022 ayant été pris hors la période d'état d'urgence, ne peut édicter des mesures portant atteinte aux libertés fondamentales ; l'arrêté en litige est entaché d'une erreur de droit dès lors que le haut-commissaire de la République en Polynésie française n'avait pas compétence pour prendre cet arrêté qui permet la mise en place du passe vaccinal et qui ne repose sur aucun fondement légal ; - l'arrêté attaqué méconnaît plusieurs principes constitutionnels et ne se justifie plus par la situation sanitaire ; il n'y a, à ce jour, aucun risque de saturation à plus ou moins court terme des lits de réanimation ; instaurer des mesures visant à limiter les libertés fondamentales alors qu'aucune épidémie n'est reconnue par le corps médical est totalement disproportionné et injustifié ; - la liberté d'aller et venir est méconnue ; ses restrictions relèvent dans le cadre de l'urgence sanitaire, de la compétence du Premier ministre et non du haut-commissaire de la République en Polynésie française ; l'arrêté querellé, pris en dehors de toute urgence sanitaire, constitue un véritable détournement de pouvoir dès lors que l'administration de l'Etat a usé de ses pouvoirs tendant à rendre la vaccination obligatoire c'est-à-dire dans un but autre que celui en vue duquel ils lui avaient été confiés ; les dispositions contestées sont liberticides en ce qu'elles empêchent toutes possibilités de circulation inter-îles ; le contrôle des documents permettant d'accéder à certains lieux ou événements est particulièrement vague et permet toute sorte de discrimination ; - la liberté d'entreprendre et la liberté du travail sont méconnues notamment à l'égard des avocats dépourvus de passe vaccinal qui ne peuvent aller défendre leurs dossiers librement, notamment dans les archipels des Tuamotu ou des Marquises ; - le principe d'égalité quant à l'accès aux soins est méconnu ; - le fait de détenir un passe vaccinal n'empêche pas la transmission de la Covid-19 ; rien ne permet de justifier le maintien du passe vaccinal qui s'impose à l'intégralité de la population et ce, de façon totalement disproportionnée ; l'évolution de la situation sanitaire a entraîné l'abandon du passe vaccinal dans de nombreux pays des continents européens et américains ; le principe de précaution tel qu'énoncé à l'article 5 de la charte de l'environnement n'a pas été respecté ; aucune étude sérieuse n'a été réalisée sur les effets secondaires du vaccin ; le principe de protection de la santé de la population y compris au plan psychologique n'a pas davantage été respecté ; l'arrêté litigieux est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation des faits quant au contexte sanitaire actuel et d'une insuffisance de motivation au regard de l'inefficacité des vaccins. Par un mémoire en défense enregistré le 1er juin 2022, le haut-commissaire de la République en Polynésie française conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que l'association Te Oto O Te Nuna'a est dépourvue d'intérêt pour agir, qu'il n'est pas justifié de la qualité pour agir s'agissant du syndicat A Ti'a No Te Ea et, qu'en tout état de cause, les moyens de la requête ne sont pas fondés. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - la Constitution ; - la décision n° 2022-835 DC du 21 janvier 2022 du Conseil constitutionnel ; - la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ; - la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ; - le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ; - le code de justice administrative ; Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. T, - les conclusions de Mme R de Saint-Germain, rapporteure publique, - les observations de M. M pour le haut-commissaire de la République en Polynésie française et celles de Mme B pour la Polynésie française. Considérant ce qui suit : 1. L'article 1 de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 modifiée relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire dispose que : " () II.-A. -A compter du 2 juin 2021 et jusqu'au 31 juillet 2022 inclus, le Premier ministre peut, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, dans l'intérêt de la santé publique, aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 et si la situation sanitaire le justifie au regard de la circulation virale ou de ses conséquences sur le système de santé, appréciées en tenant compte des indicateurs sanitaires tels que le taux de vaccination, le taux de positivité des tests de dépistage, le taux d'incidence ou le taux de saturation des lits de réanimation :1° Imposer aux personnes âgées d'au moins douze ans souhaitant se déplacer à destination ou en provenance du territoire hexagonal, de la Corse ou de l'une des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution, ainsi qu'aux personnels intervenant dans les services de transport concernés, de présenter le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19 ou un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 ; 2° Subordonner à la présentation soit du résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d'un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 l'accès à certains lieux, établissements, services ou évènements où sont exercées les activités suivantes : a) Les activités de loisirs ; b) Les activités de restauration () B.-La présentation du résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, d'un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19 ou d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 dans les cas prévus au A du présent II peut se faire sous format papier ou numérique () ". Les mesures instituant ce passe sanitaire ont été précisées aux articles 2-1 et suivants du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, applicables en Polynésie française en vertu de l'article 2 du décret n° 2021-1527 du 26 novembre 2021, et elles y ont été mises en œuvre par l'arrêté n° HC 7934 CAB du 15 novembre 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de la sortie de crise sanitaire, modifié par l'arrêté n° HC 7996 CAB du 26 novembre 2021. Par la présente requête, les requérants susvisés demandent l'annulation de l'arrêté précité du 25 janvier 2022. Sur les conclusions à fin d'annulation : 2. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, la compétence de l'Etat en matière de garantie des libertés publiques sur l'ensemble du territoire de la République justifie l'extension en Polynésie française des dispositions relatives à l'application du " passe vaccinal " au public qui fréquente les lieux et établissements soumis à cette réglementation. 3. Aux termes de l'article 47-1 V du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire : " Dans les collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution, le représentant de l'Etat est habilité à : () prendre des mesures d'adaptation des dispositions du présent article proportionnées à l'importance du risque de contamination en fonction des circonstances locales, dans les conditions prévues au III de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 susvisée. " 4. Il résulte des dispositions qui précèdent que l'instauration d'une obligation de présentation d'un justificatif vaccinal est prévue par le décret précité du 1er juin 2021 ainsi que par la loi du 31 mai 2021 mentionnée au point 1 et ne procède pas de l'arrêté litigieux du haut-commissaire de la République en Polynésie française qui se borne, sur habilitation gouvernementale, à en adapter les modalités au regard des circonstances locales. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du représentant de l'Etat en Polynésie française à prendre l'acte critiqué doit être écarté. 5. Si les requérants soutiennent que l'état d'urgence en Polynésie française n'ayant pas été prolongé au-delà du 16 novembre 2021, l'arrêté du 25 janvier 2022 a été pris hors la période d'état d'urgence et ne pouvait permettre d'édicter des mesures portant atteinte aux libertés fondamentales, il résulte toutefois des dispositions de l'article 1er II A de la loi du 31 mai 2021 mentionné au point 1 que l'exigence de la production d'un justificatif de statut vaccinal était rendue possible " jusqu'au 31 juillet 2022 ". 6. Contrairement à ce que soutiennent les requérants et nonobstant les éléments qu'ils produisent sur ce point, il est constant qu'à la date de l'arrêté contesté, la situation sanitaire en Polynésie française demeurait toujours préoccupante, ce qui a pu justifier la mise en œuvre du " passe vaccinal " sans disproportion dans l'application d'une telle mesure de police administrative, notamment au regard des seuls déplacements aériens concernés par cette mesure. 7. Ainsi que l'a précisé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2022-835 DC du 21 janvier 2022, les dispositions législatives en question subordonnant l'accès à certains lieux, établissements, services ou événement à la présentation d'un " passe vaccinal " " ne sauraient être regardées, eu égard à la nature des lieux et des activités qui y sont exercées, comme instaurant une obligation de vaccination. ". Pour ce même motif, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté attaqué est entaché d'un détournement de pouvoir en ce que l'administration de l'Etat aurait en l'espèce usé de ses pouvoirs tendant à rendre la vaccination obligatoire. 8. Dans sa décision n° 460922 du 11 février 2022, le Conseil d'Etat a jugé que les dispositions précitées : " opèrent une conciliation équilibrée entre, d'une part, les droits et libertés constitutionnellement garantis que sont notamment la liberté d'aller et venir, le droit au respect de la vie privée, le droit de se réunir et le droit d'expression collective des idées et des opinions et, d'autre part, l'objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé. Par suite, les requérants ne sont manifestement pas fondés à soutenir que les dispositions qu'ils attaquent, qui font application de celles de la loi du 22 janvier 2022, ont institué une obligation vaccinale dans des conditions portant une atteinte disproportionnée à la vie privée ainsi qu'aux principes d'égalité, d'accès aux soins appropriés, d'aller et venir, de réunion, de liberté de conscience, de liberté d'entreprendre ou, en tout état de cause, d'expression collective des idées et des opinions. ". 9. Les motifs ci-dessus retenus par le Conseil d'Etat étant transposables à l'appréciation des mesures d'adaptation en litige ainsi appliquées par le haut-commissaire de la République en Polynésie française, les requérants ne sont dès lors pas fondés à soutenir que l'arrêté qu'ils contestent méconnaît la liberté d'aller et venir, la liberté d'entreprendre et la liberté du travail, les principes d'égalité et d'accès aux soins, ou encore le droit de réunion familiale en lien direct avec le respect dû à la vie privée. 10. L'arrêté litigieux dispose que " les personnes et services mentionnés au III peuvent demander au détenteur des justificatifs la production d'un document officiel comportant sa photographie lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que le document présenté ne se rattache pas à la personne qui le présente (). ". Si les requérants soutiennent que le contrôle des documents permettant d'accéder à certains lieux ou événements est particulièrement vague, ils ne démontrent toutefois pas que les dispositions précitées seraient fondées sur des critères susceptibles d'entraîner une discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes contrôlées. 11. Les requérants ne peuvent utilement invoquer la méconnaissance du principe de précaution garanti par l'article 5 de la charte de l'environnement dès lors que les dispositions attaquées n'affectent pas l'environnement au sens des dispositions de cet article. Il n'est de plus pas démontré que les dispositions litigieuses méconnaissent le principe de protection de la santé, notamment psychologique, de la population. 12. Pour les mêmes motifs que ceux qui précèdent, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté litigieux est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation des faits quant au contexte sanitaire existant à la date de la décision attaquée, ni qu'il souffre d'une insuffisance de motivation au regard de l'inefficacité des vaccins. 13. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées en défense par l'Etat, les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêté qu'ils contestent. Sur les frais liés au litige : 14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. D E C I D E : Article 1er : La requête présentée par Mmes P, Mme F, Mme I, M. U, Mme U, M. O, Mme A, Mme V, M. G, l'association Te Oto O Te Nuna'a, le syndicat des avocats de Polynésie française et le syndicat A Ti'a No Te Ea - Liberté Santé Polynésie Française, est rejetée. Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme D P, Mme C P, Mme E F, Mme K I, M. W U, Mme J U, M. Q O, Mme N A, Mme S V, M. H G, l'association Te Oto O Te Nuna'a, le syndicat des avocats de Polynésie française et le syndicat A Ti'a No Te Ea - Liberté Santé Polynésie Française - et au haut-commissaire de la République en Polynésie française. Copie en sera adressée à la Polynésie française. Délibéré après l'audience du 8 novembre 2022, à laquelle siégeaient : M. Devillers, président, M. Graboy-Grobesco, premier conseiller, M. Boumendjel, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 novembre 2022. Le rapporteur, A T Le président, P. Devillers La greffière, D. Germain La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition, Un greffier, N°2200070 |