Tribunal administratif de la Polynésie française Lecture du 29/11/2022 Décision n° 2200238 Type de recours : Excès de pouvoir Solution : Satisfaction totale
| Décision du Tribunal administratif n° 2200238 du 29 novembre 2022 Tribunal administratif de Polynésie française 1ère Chambre Vu la procédure suivante : Par une requête, enregistrée le 2 juin 2022, complétée par un mémoire enregistré le 24 octobre 2022, la Confédération syndicale A Ti'A I Mua, la Confédération O Oe To Oe Rima et l'Union territoriale UNSA Polynésie française demandent au tribunal : 1°) d'annuler l'arrêté n° 616 CM du 28 avril 2022 portant relèvement du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) à compter du 1er mai 2022 en ce qu'il déroge aux dispositions relatives aux modalités de fixation de son relèvement, notamment l'article LP. 3322-3 de la loi du pays n° 2011-15 du 5 mai 2011 portant codification du code du travail ; 2°) d'enjoindre à la Polynésie française de se conformer dans un délai rapide, à fixer, aux dispositions règlementaires relatives au relèvement du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) à compter du 1er mai 2022 et ce sous astreinte d'un million de francs pacifiques par jour de retard à compter du 1er jour dépassant le délai inscrit dans la notification de la décision ; 3°) de condamner la Polynésie française à verser à chacune des parties demanderesses la somme d'un franc symbolique en réparation du préjudice causé aux salariés qu'elles représentent ; 4°) de condamner la Polynésie française au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative à payer collectivement aux parties demanderesses les frais irrépétibles soit une somme de deux cent mille francs pacifiques. Elles soutiennent que : - la Confédération syndicale A Ti'a I Mua a tenu une réunion de son comité directeur le 18 mai, lequel a validé le dépôt d'un recours contre l'augmentation du SMIG au 1er mai 2022 ; au demeurant les deux autres requérants conjoints au recours ont toute capacité à ester en justice ; - l'arrêté n° 616 CM du 28 avril 2022 ne vise pas l'indice des prix ayant servi au relèvement du SMIG le 1er décembre 2021, ne permettant pas de constater l'évolution dudit indice entre le 1er décembre 2021 et le 1er mai 2022 ; - l'arrêté n° 616 CM du 28 avril 2022 ne se base, ni sur l'indice des prix constaté lors du dernier relèvement du SMIG, ni sur le dernier indice des prix constaté par l'ISPF en avril 2022 pour le mois de mars 2022, pour le relèvement du SMIG à compter du 1er mai 2022 ; - l'arrêté n° 616 CM du 28 avril 2022 se base sur l'arrêté n° 2640 CM du 1er décembre 2021 portant relèvement du SMIG à compter du 1er décembre 2021 ; les dispositions règlementaires ayant prévalu au relèvement du SMIG le 1er décembre 2021 ne s'appliquent pas au relèvement du SMIG du 1er mai 2022, celui-ci relevant des dispositions de l'article LP. 3322-3 au titre d'un rattrapage du SMIG face à l'évolution égale ou supérieure à 2% de l'indice des prix ; - l'arrêté n° 616 CM du 28 avril 2022 se base sur l'indice des prix de détail à la consommation familiale constaté par l'arrêté n° 277 CM du 10 mars 2022 relatif à l'indice des prix de détail à la consommation familiale du mois de février 2022, alors qu'il aurait dû prendre en compte le dernier indice des prix constaté par l'ISPF en avril 2022 pour le mois de mars 2022, pour le relèvement du SMIG à compter du 1er mai 2022 ; - l'arrêté n° 2640 du 1er décembre 2021 a fixé le SMIG horaire à 922,92 FCFP depuis le 1er décembre 2021 et l'arrêté n° 616 CM du 28 avril 2022 du conseil des ministres fixe le SMIG horaire à 941,37 FCFP à compter du 10 mai 2022 ; or l'indice des prix de novembre 2021 publié par l'ISPF s'établit à 100,54 et l'indice des prix de mars 2022 publié par l'ISPF s'établit à 103,88 ; l'indice des prix a donc augmenté de 103,88 - 100, 53 = 3,34 points, soit en pourcentage 3,32% ; - l'indice des prix a dépassé le seuil d'augmentation de 2% dès le mois de février 2022 pour atteindre 3% et le SMIG aurait dû être relevé le premier jour suivant, soit le 1er avril 2022 ; Par un mémoire en défense, enregistré le 3 octobre 2022, la Polynésie française conclut au rejet de la requête, sinon à la modulation des effets dans le temps d'une décision d'annulation, d'au moins deux mois. Elle soutient que : - à titre principal, la requête est irrecevable, la Confédération syndicale A Ti'A I Mua ne justifie d'aucune décision ni validation par le comité directeur de l'action en justice introduite par son secrétaire général ; - à titre subsidiaire, la requête n'est pas fondée ; l'augmentation a été faite compte tenu des éléments suivants : + 0,26 % correspondant à la différence entre la variation réelle 2,26 (entre octobre 2021 et janvier 2022) et l'augmentation du SMIG de 2% (décembre 2021) ; + 1,08% correspondant à l'évolution de l'indice de janvier à février 2022 (102,49 vs 103,60) ; + 0,66% d'anticipation sur les effets de l'inflation à court terme ; l'augmentation totale du SMIG depuis décembre 2021 est de 4%, alors même que l'évolution de l'inflation constatée sur la période d'octobre 2021 à février 2022 est de 3,37% ; cette augmentation totale de 4% est à la hauteur de l'inflation constatée sur la période d'octobre 2021 à février 2022, alors que les requérantes réclament une augmentation du SMIG de 3,32% ; - les conséquences d'une annulation totale de l'arrêté n° 616 CM du 28 avril 2022 portant relèvement du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) à compter du 1er mai 2022 seraient excessivement graves ; certains employeurs auraient la possibilité de contraindre les salariés concernés à rembourser les sommes qui leur ont été versées en vertu de ce texte et depuis cette date ; elle mettrait en péril la relance économique et la pérennité des emplois, eu égard également aux régularisations à intervenir quant aux accessoires de salaires ; de même l'employeur sera amené à revoir les cotisations CPS ; l'impact serait également administratif puisque 16.000 salariés seraient en attente de régularisation de leurs bulletins de salaires et de leurs déclarations à la CPS ; La clôture de l'instruction a été prononcée à la date du 25 octobre 2022 par une ordonnance du 4 octobre 2022. Vu : - les autres pièces du dossier ; Vu : - la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ; - la loi du pays n° 2011-15 du 4 mai 2011 portant codification du code du travail de la Polynésie française ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Devillers, président, - les conclusions de Mme D de Saint-Germain, rapporteure publique, - et les observations de M. C représentant la confédération syndicale A Ti'A I Mua, et celles de M. A, représentant la Polynésie française. Considérant ce qui suit : 1. La Confédération syndicale A Ti'A I Mua, la Confédération O Oe To Oe Rima et l'Union territoriale UNSA Polynésie française demandent au tribunal d'annuler l'arrêté n° 616 CM du 28 avril 2022 portant relèvement du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) à compter du 1er mai 2022, estimant que le taux de 2% d'augmentation qu'il retient, en fixant, à compter du 1er mai 2022, le salaire horaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) à 941,37 FCFP et la rémunération minimale mensuelle, pour 169 heures de travail, à la somme de 159 092 FCFP, est inférieur à l'augmentation devant résulter des dispositions applicables du code du travail de la Polynésie française. Sur la fin de non-recevoir : 2. D'une part, la Confédération syndicale A Ti'a I Mua justifie qu'une réunion de son comité directeur le 18 mai 2022 a validé le dépôt d'un recours par son secrétaire général contre l'augmentation du SMIG décidée au 1er mai 2022, d'autre part et en tout état de cause, la circonstance opposée par la Polynésie française que la Confédération syndicale A Ti'A I Mua ne justifie d'aucune décision ni validation par le comité directeur de l'action en justice introduite par son secrétaire général est sans effet sur la recevabilité de la requête, également introduite par deux autres organisations syndicales. Sur les conclusions à fin d'annulation : 3. Aux termes de l'article LP. 3322-1 du code du travail de la Polynésie française : " Il est institué un salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG), dont le régime est déterminé après avis des organisations professionnelles et syndicales d'employeurs et de salariés représentatives au niveau de la Polynésie française ". Aux termes de l'article LP. 3322-2 du même code : " Aucun salarié ne peut percevoir un salaire inférieur au SMIG, tel que défini par le présent chapitre ". L'article LP. 3322-3 du code du travail de la Polynésie française dispose " Le SMIG (ajouté, LP n° 2013-3 du 14 janvier 2013, art. LP 4 - 2°) " horaire " est fixé par arrêté pris en conseil des ministres, en fonction des fluctuations de l'indice des prix de détail à la consommation familiale, établi par l'institut de la statistique de la Polynésie française. Lorsque cet indice atteint un niveau correspondant à une hausse d'au moins 2% par rapport à l'indice constaté lors de l'établissement du dernier SMIG, celui-ci est relevé dans la même proportion à compter du premier jour du mois qui suit la publication de l'indice entraînant ce relèvement ". Enfin, aux termes de son article LP. 3322-4 : " Indépendamment de l'application de l'article LP. 3322-3, afin d'assurer aux salariés dont les rémunérations sont les plus faibles, une participation au développement économique de la Polynésie française, le SMIG peut être relevé par arrêté pris en conseil des ministres, après avis du conseil économique, social et culturel, préalablement saisi par le gouvernement de la Polynésie française ". 4. Il ressort des écritures en défense de la Polynésie française que l'augmentation de 2% appliquée par l'arrêté attaqué du 28 avril 2022 portant relèvement du SMIG à compter du 1er mai 2022 a été décidée compte tenu des éléments suivants : " + 0,26 % correspondant à la différence entre la variation réelle 2,26 (entre octobre 2021 et janvier 2022) et l'augmentation du SMIG de 2% (décembre 2021) ; + 1,08 % correspondant à l'évolution de l'indice de janvier à février 2022 (102,49 vs 103,60) ; + 0,66 % d'anticipation sur les effets de l'inflation à court terme ". 5. Il est constant que la précédente augmentation du SMIG avait été décidée, sur le fondement de l'article LP. 3322-4 précité du code du travail, par l'arrêté n° 2640 CM du 1er décembre 2021 ayant fixé le SMIG horaire à 922,92 FCFP à compter du 1er décembre 2021. 6. Ainsi que l'indique le " point conjoncture de la Polynésie française " et qu'il est relevé par l'arrêté n°2596 CM du 25 novembre 2021, l'indice des prix à la consommation constaté au moment de l'établissement du SMIG au 1er décembre 2021 s'établissait, pour le mois d'octobre 2021, à 100,22 (base 100 en décembre 2017). Au mois de novembre 2021, il augmente de 0,3% et s'établit à 100,54. En décembre 2021 il augmente de 0,1% et s'établit à 100,65. En janvier 2022, l'indice augmente de 1,8% et s'établit à 102,49, ainsi qu'il est constaté par l'arrêté n°278 CM du 10 mars 2022. En février 2022, l'indice augmente de 1,1% et s'établit à 103,60 ainsi qu'il est constaté par l'arrêté n°277 CM du 10 mars 2022. En mars 2022, il augmente de 0,3% et s'établit à 103,88, comme il est constaté par l'arrêté n°579 CM du 21 avril 2022. 7. Aussi, à la date de l'arrêté contesté, d'une part, l'augmentation d'au moins 2% de l'indice des prix à la consommation était déjà effective avec l'indice 102,49 de janvier 2022, qui aurait alors justifié que le SMIG soit augmenté au 1er mars 2022 de 2,26 %, d'autre part, cet indice s'établissant à 103,88 pour le mois de mars 2022, soit une augmentation de 3,65 % par rapport à l'indice 100,22 d'octobre 2021 constaté lors de l'établissement du dernier SMIG, l'augmentation du SMIG de seulement 2% décidée par l'arrêté contesté méconnaît donc les dispositions de l'article LP. 3322-3 du code du travail de la Polynésie française. Par suite, les organisations syndicales requérantes sont fondées à demander l'annulation de l'arrêté n° 616 CM du 28 avril 2022 portant relèvement du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) à compter du 1er mai 2022 en tant, qu'en la limitant à 2%, il n'applique pas au SMIG une hausse d'un niveau correspondant à celle de l'indice des prix de détail à la consommation familiale constaté lors de l'établissement du dernier SMIG. Sur les effets de l'annulation prononcée : 8. L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur, que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de sa décision prononçant l'annulation contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine. 9. La mesure prononcée par le tribunal, étant limitée à l'annulation de l'arrêté n° 616 CM du 28 avril 2022 en tant qu'il porte à seulement 2% l'augmentation du SMIG, n'a pas pour effet de supprimer cette augmentation de 2% et est donc sans incidence sur les salaires et cotisations versés prenant en compte cette augmentation de 2%. 10. Il y a lieu toutefois, eu égard à la complexité engendrée par les effets de cette annulation en ce qui concerne la différence entre l'augmentation de 2% appliquée et celle de 3,65% qui aurait dû l'être, s'agissant notamment du calcul rétroactif des rémunérations et des cotisations CPS par les employeurs, de moduler l'application dans le temps de cette mesure d'annulation et d'en différer l'effet jusqu'au 1er janvier 2023. En outre, et sous réserve des actions contentieuses engagées à la date du présent jugement contre les actes qui auraient été pris sur le fondement de cet arrêté, les effets produits par ce dernier avant son annulation doivent être regardés comme définitifs. 11. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution () ". Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre au président de la Polynésie française d'adopter, sous astreinte de 200 000 FCFP par jour de retard, un arrêté portant relèvement du salaire horaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) rattrapant le retard pris par le niveau de celui-ci par rapport à l'augmentation de l'indice des prix à la consommation d'octobre 2021, compte tenu par ailleurs des augmentations déjà prononcées à la date du présent jugement, au plus tard le 1er janvier 2023. Sur les conclusions tendant à l'octroi de dommages et intérêts : 12. Les requérantes ne justifient pas l'existence du préjudice moral dont elles se prévalent et cette demande doit être rejetée. Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L761-1 du code de justice administrative : 13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions. D E C I D E : Article 1er : L'arrêté n° 616 CM du 28 avril 2022 est annulé en tant qu'il limite à 2% l'augmentation du SMIG. Cette annulation prendra effet le 1er janvier 2023. Article 2 : Sous réserve des actions contentieuses engagées à la date du présent jugement contre les actes pris sur leur fondement, les effets produits par l'arrêté n° 616 CM du 28 avril 2022 antérieurement à son annulation en tant qu'il limite à 2% l'augmentation du SMIG sont regardés comme définitifs. Article 3 : Il est enjoint au président de la Polynésie française d'adopter, au plus tard le 1er janvier 2023, sous astreinte de 200 000 FCFP par jour de retard, un arrêté portant relèvement au 1er janvier 2023 du salaire horaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) dans une mesure rattrapant le retard pris par le niveau de celui-ci par rapport à l'augmentation de l'indice des prix à la consommation d'octobre 2021, compte tenu par ailleurs des augmentations déjà prononcées à la date du présent jugement. Article 4: Le surplus des conclusions de la requête est rejeté. Article 5 : Le présent jugement sera notifié à la confédération syndicale A Ti'A I Mua, à la Confédération O Oe To Oe Rima, à l'Union territoriale UNSA et à la Polynésie française. Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Polynésie française. Délibéré après l'audience du 22 novembre2022, à laquelle siégeaient : M. Devillers, président, M. Graboy Grobesco, premier conseiller. M. Boumendjel, premier conseiller, Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 novembre 2022. Le président-rapporteur, P. Devillers Le premier assesseur, A. Graboy Grobesco La greffière, D. Germain La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition, Un greffier, N°2200238 |