Tribunal administratif de la Polynésie française Lecture du 06/09/2022 Décision n° 2100509 Type de recours : Excès de pouvoir Solution : Rejet | Décision du Tribunal administratif n° 2100509 du 06 septembre 2022 Tribunal administratif de Polynésie française 1ère Chambre Vu les procédures suivantes : I - Par une requête enregistrée le 26 octobre 2021 sous le numéro 2100509, M. E B, représenté par Me Aureille, demande au tribunal : 1°) d'annuler l'arrêté n° 1748 CM du 25 août 2021 pris par le président de la Polynésie française, portant modification de l'arrêté n° 2663 CM du 29 décembre 2020 modifié, relatif à la campagne de vaccination contre la covid-19, en tant qu'il a étendu à des professionnels sans lien avec la pratique médicale le droit de pratiquer la vaccination dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire ; 2°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 200 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que : - en sa qualité de soignant, il justifie d'un intérêt pour agir ; - dès lors que ce type de mesures touche aux libertés publiques, la loi du pays est illégale car elle ne peut aller " au-delà " de la loi nationale ; - la promulgation de la loi du pays n°2021-37 du 23 août 2021 par le président de la Polynésie française est en " infraction " avec les dispositions prévues à cet effet aux articles 176 et suivants de la loi organique statutaire ; - la délégation donnée par la loi du pays au conseil des ministres pour prendre les mesures d'application concernées est entachée d'illégalité du fait de l'incompétence du conseil des ministres à prendre des mesures qui concernent la détermination des professions médicales et paramédicales et assimilées ; - par sa généralité, ouvrant la possibilité d'administration du vaccin par des professionnels qui n'ont qu'un lien ténu avec la pratique médicale, la " mesure " en question n'est pas proportionnée au but recherché et est injustifiée au regard de l'objectif de la loi. Par un mémoire en défense enregistré le 2 décembre 2021, la Polynésie française conclut au rejet de la requête. Elle fait valoir que les moyens exposés dans la requête ne sont pas fondés. II - Par une requête enregistrée le 26 octobre 2021 sous le numéro 2100510, M. E B, représenté par Me Aureille, demande au tribunal : 1°) d'annuler l'arrêté n° 1749 CM du 25 août 2021 portant obligation vaccinale dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée à la covid-19 ; 2°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 200 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que : - en sa qualité de soignant, il justifie d'un intérêt pour agir ; - dès lors que ce type de mesures touche aux libertés publiques, la loi du pays est illégale car elle ne peut aller " au-delà " de la loi nationale ; - la promulgation de la loi du pays précitée par le président de la Polynésie française est en " infraction " avec les dispositions prévues à cet effet aux articles 176 et suivants de la loi organique statutaire ; - la délégation donnée par la loi du pays au conseil des ministres pour prendre les mesures d'application concernées est entachée d'illégalité du fait de l'incompétence du conseil des ministres à prendre des mesures qui concernent un grand nombre de secteurs professionnels ; - cette obligation vaccinale, avec les sanctions qui y sont attachées en cas de non-respect, restreint la liberté d'entreprendre et porte atteinte au droit au travail ; - par sa généralité, en ce qu'elle régit de nombreuses professions soumises à un statut réglementé exercées sous forme libérale, la " mesure " en question n'est pas proportionnée au but recherché et est injustifiée au regard de l'objectif de la loi. Par un mémoire en défense enregistré le 23 décembre 2021, la Polynésie française conclut au rejet de la requête. Elle fait valoir que les moyens exposés dans la requête ne sont pas fondés. Vu les décisions attaquées et les autres pièces des dossiers. Vu : - la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ; - la loi du Pays n° 2021-37 du 23 août 2021 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. F, - les conclusions de Mme D de Saint-Germain, rapporteure publique, - les observations de Me Aureille représentant M. B, celles de M. B et celles de M. A, représentant la Polynésie française. Considérant ce qui suit : 1. Par un arrêté n° 1748 CM du 25 août 2021, le président de la Polynésie française a modifié l'arrêté n° 2663 CM du 29 décembre 2020 relatif à la campagne de vaccination contre la covid-19. Le 25 août 2021, la même autorité a pris un arrêté portant application de la loi du pays n° 2021-37 du 23 août 2021 relative à la vaccination obligatoire dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée à la covid-19. Par les requêtes susvisées, qui présentent à juger des questions semblables, qui ont fait l'objet d'une instruction commune et qu'il y a lieu de joindre pour statuer par un seul jugement, M. B demande au tribunal l'annulation, d'une part, de l'arrêté précité n° 1748 CM du 25 août 2021 en tant que cet acte a étendu à des professionnels sans lien avec la pratique médicale le droit de pratiquer la vaccination dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire et, d'autre part, de l'arrêté précité n° 1749 CM pris le même jour. 2. Aux termes de l'article LP.1er de la loi du pays du 23 août 2021 relative à la vaccination obligatoire dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée à la covid-19, publiée au JOPF le 23 août 2021 : " Les personnes qui exercent une activité professionnelle ou bénévole les exposant ou exposant les personnes dont elles ont la charge à des risques de contamination doivent avoir un schéma vaccinal complet contre la covid-19 () " Aux termes de son article LP. 2 : " Les personnes de plus de seize ans, atteintes d'une des affections dont la liste est établie par arrêté pris en conseil des ministres, sont tenues de se soumettre à l'obligation de vaccination contre la covid-19 () ". Aux termes de l'article LP. 5 : " Les secteurs d'activité, les lieux d'exercice, les personnes ou les professions concernés par la présente loi du pays sont fixés, par arrêté pris en conseil des ministres (). ". Aux termes de l'article LP. 7 : " L'obligation vaccinale est considérée comme réalisée sur présentation du justificatif de statut vaccinal complet. () Lorsque les personnes concernées par l'obligation vaccinale contre la covid-19 justifient d'une contre-indication temporaire () ces personnes sont exonérées de manière temporaire de l'obligation de vaccination (). Lorsque les personnes concernées par l'obligation vaccinale contre la covid-19 justifient d'une contre-indication absolue () ces personnes sont exonérées de l'obligation de vaccination () ". Aux termes de l'article LP. 8 : " Le non-respect des obligations de vaccination prévues aux articles LP. 1, LP. 3 et LP. 4 ou la volonté d'en entraver l'exécution sont punis d'une amende administrative de 175 000 F CFP ". Aux termes de l'article LP. 9. : " Le non-respect de l'obligation de vaccination prévue à l'article LP. 2 donne lieu à majoration d'un nombre de points fixé par arrêté pris en conseil des ministres du ticket modérateur pour la prise en charge de tous actes, prescriptions et prestations dispensés à l'assuré par les régimes de protection sociale polynésiens, y compris l'hospitalisation. Cette majoration cesse après satisfaction à l'obligation de vaccination () ". Enfin aux termes de l'article LP. 15. : " Les personnes visées par l'obligation vaccinale de la présente loi du pays disposent d'un délai de deux mois à compter de la date de promulgation de la présente loi du pays pour satisfaire à cette obligation ". 3. L'article 1er de l'arrêté susvisé n° 1748 CM du 25 août 2021 portant modification de l'arrêté n° 2663 CM du 29 décembre 2020 modifié, relatif à la campagne de vaccination contre la covid-19, énonce les catégories de professionnels pouvant participer à la campagne de vaccination contre la covid-19. L'article 1er de l'arrêté contesté n° 1749 CM du 25 août 2021 portant application de la loi du pays n° 2021-37 du 23 août 2021 relative à la vaccination obligatoire dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée à la covid-19 fixe la liste des personnes de plus de seize ans soumises à l'obligation de vaccination contre la covid-19 en application des dispositions précitées de l'article LP. 2 de la loi du pays n° 2021-37 du 23 août 2021. L'article 2 de cet arrêté détermine les secteurs d'activité, les lieux d'exercice, les personnes ou les professions concernés par l'obligation vaccinale contre la covid-19 en application des articles LP. 1, LP. 3 et LP. 4 de la loi du pays précitée. 4. Le contrôle exercé par le juge administratif sur un acte qui présente un caractère réglementaire porte sur la compétence de son auteur, les conditions de forme et de procédure dans lesquelles il a été édicté, l'existence d'un détournement de pouvoir et la légalité des règles générales et impersonnelles qu'il énonce, lesquelles ont vocation à s'appliquer de façon permanente à toutes les situations entrant dans son champ d'application tant qu'il n'a pas été décidé de les modifier ou de les abroger. 5. Le juge administratif exerce un tel contrôle lorsqu'il est saisi, par la voie de l'action, dans le délai de recours contentieux. En outre, en raison de la permanence de l'acte réglementaire, la légalité des règles qu'il fixe, comme la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir doivent pouvoir être mises en cause à tout moment, de telle sorte que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales que cet acte est susceptible de porter à l'ordre juridique. 6. Après l'expiration du délai de recours contentieux, une telle contestation peut être formée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure prise pour l'application de l'acte réglementaire ou dont ce dernier constitue la base légale. Elle peut aussi prendre la forme d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d'abroger l'acte réglementaire. Si, dans le cadre de ces deux contestations, la légalité des règles fixées par l'acte réglementaire, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées, il n'en va pas de même des conditions d'édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte réglementaire lui-même et introduit avant l'expiration du délai de recours contentieux. Sur la légalité de l'arrêté n° 1748 CM du 25 août 2021 : 7. Il est constant que l'arrêté n° 1748 CM du 25 août 2021 portant modification de l'arrêté n° 2663 CM du 29 décembre 2020 modifié, relatif à la campagne de vaccination contre la covid-19 n'a pas été pris pour l'application de la loi du pays précitée n°2021-37 du 23 août 2021 mais pour celle de la loi du pays n° 2020-11 du 21 avril 2020 sur la prévention et la gestion des menaces sanitaires graves et des situations d'urgence. Dans ces conditions, M. B ne peut utilement, pour contester la légalité de l'arrêté n° 1748 CM précité, opposer l'exception d'illégalité de la loi du pays du 21 avril 2020 fondée notamment sur le fait que l'assemblée de la Polynésie française aurait méconnu sa compétence en laissant le conseil des ministres définir les professions concernées et en raison de la promulgation anticipée de ladite loi du pays. 8. Par ailleurs, si le requérant soutient que l'arrêté susvisé ouvre la possibilité d'administration du vaccin par des professionnels qui n'ont qu'un lien ténu avec la pratique médicale, et qu'une telle mesure n'est pas proportionnée au but recherché et est injustifiée au regard de l'objectif de la loi, il ne ressort pas des pièces du dossier que, eu égard à la gravité de la crise sanitaire alors existant en Polynésie française et à la nécessité d'accélérer la campagne de vaccination contre la covid-19, ces griefs puissent être regardés comme étant fondés. Sur la légalité de l'arrêté n° 1749 CM du 25 août 2021 : 9. D'une part, l'article 13 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française dispose que " les autorités de la Polynésie française sont compétentes dans toutes les matières qui ne sont pas dévolues à l'Etat par l'article 14 et celles qui ne sont pas dévolues aux communes en vertu des lois et règlements applicables en Polynésie française ". Les règles relatives à la santé publique ne sont pas au nombre des compétences que l'article 14 de la loi organique attribue à l'Etat, et qui sont, en vertu de l'article 13, limitativement énumérées. Par suite, la Polynésie française est compétente pour édicter une obligation de vaccination, sans que la circonstance que celle-ci puisse avoir des conséquences quant aux modalités d'exercice de certaines libertés puisse la faire regarder comme relevant de la garantie des libertés publiques, compétence réservée à l'Etat par le même article 14. La Polynésie française est notamment compétente pour organiser les contrôles, nécessaires au respect de l'obligation. Par suite, le moyen d'exception d'illégalité tiré de ce que les mesures mises en place par la loi du pays du 23 août 2021 sont entachées d'incompétence matérielle doit être écarté. 10. D'autre part, pour les motifs exposés au point 6, M. B ne peut utilement invoquer, à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté précité du 25 août 2021, le moyen devant être regardé comme tiré de la promulgation anticipée de la loi du pays ci-dessus mentionnée. 11. Aux termes de l'article 89 de la loi organique du 27 février 2004 relative à l'autonomie de la Polynésie française : " Le conseil des ministres est chargé collégialement et solidairement des affaires de la compétence du gouvernement définies en application de la présente section. / () Il prend les règlements nécessaires à la mise en oeuvre des actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays" ainsi que des autres délibérations de l'assemblée de la Polynésie française ou de sa commission permanente. () ". L'article 140 de cette loi dispose que : " Les actes de l'assemblée de la Polynésie française, dénommés " lois du pays ", sur lesquels le Conseil d'Etat exerce un contrôle juridictionnel spécifique, sont ceux qui, relevant du domaine de la loi, soit ressortissent à la compétence de la Polynésie française en application de l'article 13, soit sont pris au titre de la participation de la Polynésie française à l'exercice des compétences de l'Etat dans les conditions prévues aux articles 31 à 36 ". 12. Le requérant soutient qu'en déléguant au conseil des ministres de la Polynésie française le soin de définir les professions médicales et paramédicales et assimilées, soit un grand nombre de secteurs professionnels, concernés par la participation à la campagne de vaccination contre la covid-19, la loi du pays précitée du 23 août 2021 est entachée d'une incompétence négative, cette définition relevant selon M. B du domaine de la loi et, par suite, de la compétence de l'assemblée de Polynésie française. Toutefois, alors que les articles LP. 1, LP. 2 et LP. 5 de la loi du pays précitée du 23 août 2021 énoncent de manière suffisamment précise au regard des objectifs de la loi les limites de principe de l'obligation vaccinale qu'il incombe ensuite au conseil des ministres de mettre en œuvre par arrêté, il en résulte que le conseil des ministres était compétent pour prendre l'arrêté nécessaire à la mise en œuvre de la loi du pays du 23 août 2021. 13. Si le requérant soutient que l'obligation vaccinale prescrite par la loi du pays du 23 août 2021 restreint, du fait des sanctions qui y sont attachées en cas de non-respect, la liberté d'entreprendre et porte atteinte au droit au travail, il résulte des dispositions déjà mentionnées de l'article LP. 8 de cette loi que la seule sanction de la méconnaissance de l'obligation vaccinale par une personne qui y est soumise à raison de son activité est une amende administrative, et n'a de ce fait aucune conséquence sur l'emploi ou l'activité des intéressés. 14. En conséquence de ce qui précède, le moyen tiré de l'exception d'illégalité de la loi du pays du 23 août 2021 relative à la vaccination obligatoire dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée à la covid-19, présenté à l'appui de la contestation de la légalité de l'arrêté n° 1749 CM du 25 août 2021, doit être écarté. 15. Enfin, contrairement à ce que soutient M. B, les mesures critiquées sont, compte tenu de l'ampleur de la pandémie alors constatée, proportionnées au but recherché et justifiées au regard de l'objectif de la loi et ne peuvent, dans ces circonstances, être regardées comme portant, ainsi qu'il est invoqué, atteinte aux professions concernées par l'obligation vaccinale, notamment aux professions soumises à un statut réglementé, exercées sous forme libérale. 16. Il résulte de tout ce qui précède que M. B n'est pas fondé à demander l'annulation des arrêtés qu'il conteste. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. D E C I D E : Article 1er : Les requêtes de M. B sont rejetées. Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. E B et à la Polynésie française. Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Polynésie française. Délibéré après l'audience du 23 août 2022, à laquelle siégeaient : M. Devillers, président, M. Graboy-Grobesco, premier conseiller, M. Boumendjel, premier conseiller, Rendu par mise à disposition au greffe le 6 septembre 2022. Le rapporteur, A F Le président, P. Devillers Le greffier, D. Germain La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition, Un greffier, N°2100509, 2100510 |