Tribunal administratif de la Polynésie française Lecture du 10/10/2023 Décision n° 2300179 Type de recours : Excès de pouvoir Solution : Rejet
| Décision du Tribunal administratif n° 2300179 du 10 octobre 2023 Tribunal administratif de Polynésie française 1ère Chambre Vu les procédures suivantes : I - Par une requête et des mémoires enregistrés les 5 décembre 2022, 5 janvier, 24 mars, 28 avril et 22 mai 2023 sous le n° 2201007, Mme I H, représentée par la Selarl MVA, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures : 1°) d'annuler l'arrêté n° 2036/CM du 5 octobre 2022 par lequel le président de la Polynésie française a mis fin à ses fonctions de rapporteur général auprès de l'Autorité polynésienne de la concurrence (APC) ainsi que la décision n° 7639 du même jour par laquelle la même autorité a prononcé son licenciement pour faute grave ; 2°) d'enjoindre au président de la Polynésie française de prononcer sa réintégration " physique " au poste de rapporteur général de l'APC, ou à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la décision à intervenir serait rendue postérieurement à la date d'échéance de son contrat (le 14 janvier 2024), d'ordonner sa réintégration " juridique " à ce même poste ; 3°) de condamner la Polynésie française à lui verser une indemnité correspondant à l'intégralité des traitements et des primes qu'elle aurait dû percevoir entre la date de prise d'effet de son licenciement, le 7 octobre 2022, et la date d'échéance de son contrat, le 14 janvier 2024, en ce comprises les cotisations salariales et patronales à la sécurité sociale et à la caisse de retraite ; 4°) de condamner la Polynésie française à lui verser une indemnité d'un montant de 5 000 000 F CFP en réparation de son préjudice moral, psychologique et de réputation ; 5°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 1 000 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : S'agissant des moyens de légalité externe : - elle a été évincée de ses fonctions de rapporteur général de l'APC par suite de manœuvres orchestrées par la présidente de cette autorité, soutenue par quatre rapporteurs ; la présidente de l'APC a su fédérer autour d'elle la majorité des agents de l'APC en leur faisant croire qu'elle était visée par un projet de démission d'office initié par M. F, qui aurait été soutenu par elle-même ; les rapporteurs ont craint qu'une nouvelle procédure de démission d'office n'entraîne la disparition de l'APC et, par voie de conséquence, de leur emploi ; les écarts de la présidente durant ses premiers mois d'exercice peuvent créer des soupçons quant à son impartialité et son manque d'indépendance ; la visio-conférence qui a eu lieu le 27 janvier 2022, présentée comme une réunion interne de l'APC mais organisée en présence cachée d'un conseiller du ministre de l'économie, constitue, eu égard à sa réaction à ce sujet, l'étape décisive de son éviction de cette autorité ; elle a fait l'objet d'une accusation collective concomitante et concertée de harcèlement moral dès le mois de février 2022, alors que les actes de harcèlement n'ont pu se produire dès lors qu'elle a été en arrêt maladie, puis suspendue, c'est-à-dire par la suite sans contact avec les dénonciateurs ; - l'enquête conduite par la présidente de l'APC est irrégulière dès lors que celle-ci n'est pas dotée de pouvoir disciplinaire à l'encontre du rapporteur général de cette autorité ; cette enquête a ainsi été menée par une autorité incompétente ; de plus, cette enquête interne est affectée de partialité dans la mesure où elle a comporté des auditions, menées par la seule présidente de l'autorité, posant des questions orientées dans une affaire où elle était juge et partie ; - l'enquête diligentée par les autorités du pays est également irrégulière en ce que le président de la Polynésie française ne dispose pas du pouvoir disciplinaire à l'égard du rapporteur général de l'APC ; il y a une atteinte à l'indépendance de l'autorité commise par l'exercice du pouvoir disciplinaire du président du pays ; le droit commun selon lequel l'autorité de nomination, en l'occurrence le président du pays s'agissant de la rapporteure générale de l'APC, dispose du pouvoir disciplinaire, doit donc s'incliner devant le principe d'indépendance de l'APC ; en conséquence, l'enquête, puis la sanction, décidées par le président du pays, devront être jugées irrégulières comme émanant d'une autorité dépourvue de pouvoir disciplinaire à l'égard de la rapporteure générale de l'APC ; - par voie d'exception, l'article 13 de la délibération n° 2004-15 APF du 22 janvier 2004 selon lequel " le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité ayant le pouvoir de procéder au recrutement " est illégal en ce qu'il serait susceptible de confier au président de la Polynésie française un pouvoir disciplinaire à l'égard du rapporteur général de l'APC en méconnaissance du principe constitutionnel d'indépendance dont doit bénéficier toute autorité administrative indépendante infligeant des sanctions, dont l'APC ; - l'enquête conduite par la DMRA est entachée de partialité en ce qu'elle a été réalisée à charge à son encontre sans compétence des enquêteurs en droit de la concurrence, ce qui porte atteinte à l'indépendance de l'autorité ; elle a, de plus, été réalisée au prix d'un détournement de procédure consistant à ne pas respecter le périmètre de la lettre de mission du 11 mars 2022 portant sur des faits dénoncés par quatre agents de l'APC " susceptibles d'être qualifiées de harcèlement moral " et de justifier une procédure disciplinaire ; or, cette enquête a porté plus largement sur son recrutement, son CV et un prétendu " complot " au sein de l'APC ; la prétendue " expertise " a été réalisée par une psychologue dépourvue d'une telle compétence, l'évaluation de la psychologue du pays figurant au dossier d'enquête n'ayant pas été demandée par un magistrat ; quant à l'expert autoproclamée, une psychologue du travail, celle-ci n'a aucune compétence pour réaliser un diagnostic psychologique paramédical ; le " rapport Marty " a manqué de la loyauté pourtant exigée dès le stade de l'enquête par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; dans la mesure où la décision de licenciement est fondée sur des éléments recueillis dans le cadre de cette enquête, l'irrégularité de la procédure d'inspection entache donc l'ensemble de la procédure disciplinaire ; - la procédure de licenciement a été méconnue dans le sens également où sa suspension provisoire de fonction a été prise sur le fondement de la délibération n° 95-215 AT du 14 décembre 1995 portant statut général des fonctionnaires de la Polynésie française, alors que la sanction disciplinaire en litige a été prise sur le fondement de la délibération n° 2004-15 APF du 22 janvier 2004 relative aux agents non titulaires ; le délai de quatre mois qui lui a été notifié le 14 mars 2022 lors de sa suspension provisoire s'est écoulé sans qu'aucune décision ne soit prise ni aucune poursuite pénale engagée ; l'opportunisme procédural de l'administration porte atteinte aux droits de la défense et aux exigences d'un procès équitable car, devant un conseil de discipline, elle aurait pu faire valoir la légèreté de l'enquête à l'égard de la preuve ; - l'avis du collège de l'APC n'a pas été sollicité préalablement aux décisions en litige ; l'absence d'information et d'avis de ce collège a exercé une influence sur le sens de la décision de licenciement et l'a privée d'une garantie ; - la décision de licenciement fait l'objet d'une motivation insuffisante ; elle a donc été laissée dans l'ignorance tant des règles de droit, incluant les sanctions encourues, que des faits qui ont été retenus par le président de la Polynésie française pour la licencier ; elle ignore même la qualification donnée par l'autorité administrative à ces faits indéterminés dès lors que le courrier évoque une possibilité de qualification en harcèlement moral, qui n'est en définitive pas tranchée ; le rapport visé et cité dans la décision n'y est d'ailleurs pas annexé. S'agissant des moyens de légalité interne : - il ne peut lui être reproché une quelconque faute clairement identifiée ; aucune démarche de harcèlement moral ne peut lui être imputable ; les évaluations psychologiques attestant d'un profil de " harceleur " ont été effectuées en contradiction avec le code de déontologie des psychologues en ce qu'elles sont à charge et non vérifiées ; le portrait qui est dressé d'elle dans le rapport psychologique concernant sa " personnalité narcissique " et un " comportement hautain et méprisant envers les personnes hiérarchiquement inférieures " n'est pas étayé ; il n'y a pas de preuve des éléments constitutifs du harcèlement moral ; des relations de travail tendues, voire conflictuelles, entre elle-même et certains de ses collègues, ne sont pas, à elles seules, de nature à faire présumer l'existence du harcèlement allégué ; les attestations produites sont essentielles à la compréhension du dossier dès lors qu'elles montrent une personne dont les comportements durant toute sa carrière sont incompatibles avec le profil d'un harceleur, et dont la compétence reconnue sur le plan scientifique met à mal les accusations d'imposture de la psychologue du pays ; - le début des actes de harcèlement qui lui sont reprochés n'est pas démontré et les allégations à son encontre sont inconsistantes, s'agissant notamment du climat prétendument " délétère ", des prétendues menaces qui auraient caractérisé ses messages notamment lorsqu'elle demandait aux rapporteurs du service de se concentrer sur leurs dossiers, ce qui relève du pouvoir hiérarchique normal ; c'est en revanche la présidente de l'autorité qui a joué un rôle moteur dans la dégradation des relations de travail ; il est faux et calomnieux de dire qu'elle ne travaillait pas ses dossiers ; le fait qu'il soit allégué qu'elle réalise certaines corrections du travail des rapporteurs dans le but de se conformer aux attentes de M. F, membre du collège, est à la fois absurde et insultant ; les rapporteurs ont la possibilité de s'exprimer à l'extérieur de l'institution notamment pour présenter celle-ci ; l'emploi du terme " junior " pour certains rapporteurs n'est aucunement dénigrant ou dévalorisant ; certains de ses propos certes un peu " lourds " ne sont pas constitutifs de faits de violence au travail ; elle n'a pas communiqué par des " hurlements " à l'encontre de deux rapporteurs à propos de l'utilisation du terme " concurrence monopolistique " dans un dossier ; le signalement de Mme D en date du 3 mars 2022 est étonnant au regard des sujets abordés tenant notamment au racisme et à sa santé ; il n'y a pas de harcèlement moral à l'encontre de Mme D dès lors que c'est grâce à elle si cet agent originaire de la Polynésie française a pu être recruté comme rapporteur et alors que ce n'est pas de son fait si ce même agent, qui n'avait aucune expérience professionnelle, n'a pas perçu immédiatement le salaire habituel des rapporteurs ; le harcèlement moral n'est pas constitué dès lors que les faits qui peuvent lui être reprochés restent dans un cadre de relations hiérarchiques et n'ont pas été commis dans l'intention de nuire aux agents concernés ; - il n'y a pas de faits préjudiciables résultant d'agissements ayant pour objet la dégradation des conditions de travail ; une stratégie a été clairement arrêtée par les rapporteurs tendant à son éviction ; des difficultés relationnelles ne sauraient suffire à caractériser le harcèlement moral allégué ; elle a déposé une plainte en dénonciation calomnieuse et se réserve d'engager toute voie de droit appropriée concernant le harcèlement dont elle estime avoir, elle-même, été victime ; - elle est fondée à réclamer sa réintégration " physique " si le jugement du tribunal sur la présente affaire intervient avant l'expiration de son contrat soit, le 14 janvier 2024 ; à défaut, sa réintégration doit être " juridique " ; - l'administration devra procéder à la reconstitution de sa situation administrative dans les conditions où elle aurait dû normalement se poursuivre si aucune irrégularité n'avait été commise dans la sanction prononcée ; n'ayant perçu aucun revenu en remplacement de son traitement, la Polynésie française doit être condamnée à lui verser une indemnité, correspondant à la perte indue de revenus, d'un montant équivalent à l'intégralité des traitements et primes qu'elle aurait dû percevoir entre la date de prise d'effet de son licenciement, soit le 7 octobre 2022, et la date d'échéance de son contrat, soit le 14 janvier 2024, en ce comprises les cotisations salariales et patronales à la sécurité sociale et à la caisse de retraite ; - compte tenu de son parcours professionnel, son préjudice moral, qui est dû à un licenciement infâmant lui imputant des faits mensongers particulièrement graves, est d'autant plus important qu'il est porté une atteinte à son honneur et à sa réputation en fin de carrière ; elle a d'ailleurs souffert psychologiquement de cette situation qui lui a causé un syndrome dépressif pour la première fois de sa carrière en conséquence duquel elle a été placée en arrêt maladie du 4 février 2022 jusqu'à son licenciement, soit pendant huit mois globalement ; elle était encore sous traitement au mois de décembre 2022 ; ce préjudice doit être réparé par le versement d'une indemnité d'un montant de 5 000 000 F CFP ; - sa demande de réintégration physique ne peut pas être qualifiée de demande nouvelle. Par des mémoires enregistrés les 1er février et 24 avril 2023, l'Autorité polynésienne de la concurrence (APC) représentée par sa présidente, Mme B, conclut au rejet de la requête. Elle fait valoir que : - n'étant pas l'auteur de l'acte attaqué, elle entend intervenir dans le présent litige non en qualité de défendeur mais en tant qu'observateur directement intéressé au statut administratif de ses agents et donc, à l'issue de la procédure en cours ; - les conclusions de la requérante à fin de réintégration " physique " sont des conclusions nouvelles et ne peuvent qu'être rejetées ; - la décision contestée est justifiée par un rapport d'enquête administrative étayé et édifiant, qui ne laisse aucune place au doute sur les faits de harcèlement moral reproché à la requérante. L'exposé des faits présentés par la requérante est au mieux, hors sujet et, au pire, mensonger. La requérante présente un caractère manifestement narcissique et méprisant, confirmé par le rapport de la psychologue du travail. La requérante se fourvoie encore sur son interprétation toute particulière de l'impartialité et de la séparation des fonctions. En ce qui concerne l'APC, c'est justement le choix d'une séparation " fonctionnelle ", laquelle n'implique aucunement une étanchéité parfaite entre le service d'instruction et la présidence, qui a été fait, le service d'instruction étant intégré à cette autorité administrative indépendante polynésienne. Les services d'instruction restent à la disposition de l'autorité de la concurrence, ce qui exclut tout principe général d'indépendance des services d'instruction au sein de cette autorité. Ni la présidente, ni tout autre agent du service de la présidence n'a donné d'ordre aux agents du service d'instruction. Les échanges de courriels avec M. C et M. G sont accablants pour la requérante et apportent surtout un éclairage négatif sur son comportement à l'égard de ses agents au sein du service d'instruction. La requérante invente une manipulation des agents de l'autorité par sa propre présidente, à la seule fin de lui nuire alors que le cœur de ce contentieux réside dans les actes de harcèlement à l'encontre des agents anciennement sous la hiérarchie de la requérante. - la requête se fonde sur une majorité d'arguments qui ont été utilisés sans succès dans des contentieux antérieurs concernant Mme H, laquelle ne souhaite d'ailleurs pas, en réalité, être réintégrée au sein de l'autorité ; - en l'absence de recours et de demande préalables de la requérante, l'ensemble de ses prétentions indemnitaires doit être déclaré irrecevable ; - la requérante ne peut pas se prévaloir d'un préjudice moral sur le fondement d'une " médiatisation importante " alors qu'elle en est, elle-même, l'unique source, comme relevé dans le rapport DMRA ; - les moyens de légalité externe ne sont pas fondés et doivent être écartés ; - s'agissant du harcèlement, la requérante déforme à son avantage la réalité et il lui semble anormal qu'autant d'agents puissent l'accuser, sans jamais comprendre qu'il s'agit justement d'une preuve manifeste de son comportement dangereux pour son service ; celle-ci échoue dans sa démonstration à discréditer l'ensemble des éléments d'enquête, dont le très motivé rapport précité de la DMRA. Par des mémoires en défense, enregistrés les 7 février et 28 avril 2023, la Polynésie française conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 180 000 F CFP soit mise à la charge de Mme H au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle fait valoir que : - à titre principal, en l'absence de service fait pour la période correspondante, les traitements et les primes sollicités ne peuvent pas être versés ; la demande indemnitaire de Mme H tendant à la réparation de ses préjudices d'ordre moral et matériel n'a pas été précédée d'une demande préalable adressée à la Polynésie française, de sorte que le contentieux n'est pas lié sur ce point et la demande est irrecevable ; - à titre subsidiaire, sur le fond du litige, les moyens présentés par la requérante tant sur le plan de la légalité externe, notamment de la régularité de la procédure de licenciement engagée ou de la motivation de la décision de licenciement, que sur le plan de la légalité interne s'agissant de la réalité des faits fautifs de harcèlement moral à l'encontre des agents concernés, ne sont pas fondés. II - Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 mai et 3 juillet 2023 sous le n° 2300179, Mme I H, représentée par la Selarl MVA, demande au tribunal : 1°) d'annuler les décisions implicites de rejet opposées à ses demandes de protection fonctionnelle formées les 10 mars, 6 juillet et 21 octobre 2022 au titre du harcèlement moral dont elle est victime ainsi qu'au titre des accusations de harcèlement moral dont elle a fait l'objet et des faits de dénonciation calomnieuse dont elle a été victime ; 2°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 150 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - la requête n'est pas tardive ; - elle a été mise à l'écart par la présidente de l'APC, cette dernière méconnaissant à plusieurs reprises le principe d'indépendance de l'autorité ainsi que le principe de séparation des fonctions en son sein (instruction et jugement) ; - certains rapporteurs ont considéré, à tort, que certains de ses courriels étaient assimilables à des faits de harcèlement moral et de menaces à leur encontre ; - elle a fait l'objet d'une enquête interne irrégulière diligentée par la présidente de l'APC tendant à sa suspension et à son licenciement pour faute grave ; une enquête administrative a également été confiée à la DMRA pour des faits susceptibles d'être qualifiés de harcèlement moral au sein de l'autorité ; les accusations de harcèlement à son encontre n'ont eu d'autre but que son éviction en qualité de rapporteure générale, supposée hostile à la présidente ; - en cours de procédure disciplinaire, elle a formulé plusieurs demandes d'attribution de la protection fonctionnelle, toutes restées sans réponse de la part de l'administration ; elle a déposé plainte pour dénonciation calomnieuse contre plusieurs membres de l'APC, dont la présidente, au titre des accusations mensongères dont elle a été la cible ; - ayant subi des faits de dénonciation calomnieuse dans le cadre de l'exercice de ses fonctions, et faisant parallèlement l'objet d'accusation de harcèlement moral dans le même cadre d'exercice de ses fonctions, elle a le droit au bénéfice de la protection fonctionnelle et à la prise en charge subséquente de ses frais d'avocat ; - il n'est pas possible d'appliquer rétroactivement au litige la nouvelle version de l'article A. 610-1, intervenue en mai 2022, c'est-à-dire antérieurement à sa suspension ; - le rapport de la DMRA démontrant prétendument les faits de harcèlement moral dont elle serait coupable est un rapport à charge dépourvu d'impartialité et de toute preuve factuelle, reposant sur une " rumeur " ou un " complot " à l'encontre de la présidente de l'APC ; ce rapport n'apporte pas la preuve d'agissements répétés qui excèdent les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique ; le rapport de la psychologue est irrecevable compte tenu de ses atteintes à la déontologie. Par un mémoire enregistré le 9 juin 2023, l'Autorité polynésienne de la concurrence (APC) représentée par sa présidente, Mme B, conclut au rejet de la requête. Elle fait valoir, d'une part, que la requête est irrecevable en ce qu'elle est tardive et, d'autre part, que les moyens exposés par la requérante ne sont pas fondés. Par un mémoire en défense enregistré le 10 juin 2023, la Polynésie française conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 180 000 F CFP soit mise à la charge de Mme H au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle fait valoir, d'une part, que la requête est irrecevable en raison de sa tardiveté et, d'autre part, que les moyens exposés par Mme H ne sont pas fondés et qu'elle n'a commis aucune erreur de droit en opposant trois refus successifs aux demandes de protection fonctionnelle formées par cette dernière. Vu les autres pièces des dossiers ; Vu : - la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ; - la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ; - la délibération n° 2004-15 APF du 22 janvier 2004 relative aux agents non titulaires des services et des établissements publics administratifs de la Polynésie française ; - le code de justice administrative ; Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Graboy-Grobesco, premier conseiller, - les conclusions de Mme Theulier de Saint-Germain, rapporteure publique, - les observations de Me Millet pour Mme H, celles de M. E pour la Polynésie française et celles de Mme A pour l'Autorité polynésienne de la concurrence. Considérant ce qui suit : 1. Par un arrêté du 8 juillet 2019 pris en conseil des ministres du gouvernement de la Polynésie française, Mme H a été nommée en qualité de rapporteur général de l'Autorité polynésienne de la concurrence (APC) à compter du 15 janvier 2020 pour une durée de quatre ans, soit jusqu'au 14 janvier 2024, en application de l'alinéa 2 de l'article LP. 610-6 du code de la concurrence. Un contrat à durée déterminée a ainsi été signé le 10 janvier 2020 par le président de la Polynésie française et Mme H, alors âgée de 73 ans révolus à la date de signature de ce contrat. A la suite de certains incidents, plusieurs agents de l'APC, rapporteurs du service d'instruction au sein de cette autorité, ont saisi la présidente et effectué des signalements au cours des mois de février et mars 2022 pour dénoncer des faits de harcèlement moral commis par la requérante à leur encontre. La présidente de l'autorité a dès lors diligenté une enquête interne, assistée par la direction générale des ressources humaines de la Polynésie française, en procédant à l'audition des agents concernés. Un rapport d'enquête interne a ainsi été transmis, le 4 mars 2022, au président de la Polynésie française révélant, selon la présidente de l'APC, des " faits d'une particulière gravité " qui " appellent () une réaction rapide et proportionnée ". Par une décision du 11 mars 2022, le président de la Polynésie française a suspendu Mme H de ses fonctions à titre conservatoire. Le même jour, le président de la Polynésie française a demandé à la direction de la modernisation et des réformes de l'administration (DMRA), agissant au titre de sa mission d'inspection générale de l'administration, d'ouvrir une enquête administrative auprès de l'APC. Par une ordonnance n° 2200126 du 21 avril 2022, le juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté la requête en référé-suspension présentée par la requérante pour défaut de moyens propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision de suspension contestée. Le rapport définitif issu de l'enquête administrative susmentionnée a été établi le 16 juin 2022 et transmis au président de la Polynésie française. Par un courrier du 18 août 2022, Mme H a été convoquée par le président de la Polynésie française à un entretien préalable, le 29 août 2022, reporté au 5 septembre suivant, dans le cadre d'une procédure disciplinaire engagée à son encontre pour des faits susceptibles d'être qualifiés de harcèlement moral au sein de l'APC. Par un arrêté du 5 octobre 2022, le président de la Polynésie française a mis fin aux fonctions de Mme H et, par une décision du même jour, notifiée par signification d'huissier le 6 octobre suivant, la même autorité administrative a prononcé le licenciement de la requérante pour faute grave. En cours de procédure disciplinaire, la requérante a, les 10 mars, 6 juillet et 21 octobre 2022, formé des demandes d'attribution de protection fonctionnelle dont aucune n'a reçu de réponse de la part de l'administration. Par les requêtes susvisées, qui présentent à juger des questions semblables, qui ont fait l'objet d'une instruction commune et qu'il y a lieu de joindre pour statuer par un seul jugement, Mme H demande, d'une part, l'annulation des décisions précitées mettant fin à ses fonctions et sollicite la condamnation de la Polynésie française à lui verser une indemnité correspondant à l'intégralité des traitements et des primes qu'elle aurait dû percevoir entre la date de prise d'effet de son licenciement et la date d'échéance de son contrat ainsi que la somme de 5 000 000 F CFP en réparation de son préjudice moral et, d'autre part, l'annulation des décisions implicites de rejet opposées à ses demandes susmentionnées de protection fonctionnelle. Sur la fin de fonctions de Mme H : En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée aux conclusions à fin d'indemnisation : 2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle () ". 3. En l'absence de demande préalable indemnitaire formée auprès de la Polynésie française, ainsi que le fait valoir en défense la Polynésie française, le contentieux n'est pas lié à l'encontre de cette dernière. Dans ces conditions, les conclusions de Mme H tendant à la condamnation de la Polynésie française au versement d'une indemnité correspondant, d'une part, à l'intégralité des traitements et des primes qu'elle aurait dû percevoir entre la date de prise d'effet de son licenciement et la date d'échéance de son contrat et, d'autre part, à la réparation de ses préjudices moral, psychologique et de réputation, sont irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées pour ce motif. En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation : 4. Aux termes de l'article 64 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 : " Le président de la Polynésie française () nomme à tous les emplois publics de la Polynésie française, à l'exception de ceux qui relèvent de la compétence du président de l'assemblée de la Polynésie française () ". 5. Aux termes de l'article 13 de la délibération du 22 janvier 2004 relative aux agents non titulaires des services et des établissements publics administratifs de la Polynésie française : " Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité ayant le pouvoir de procéder au recrutement. / L'agent non titulaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée, a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel. Il doit être informé par l'autorité d'emploi des faits qui lui sont reprochés. Il peut se faire assister d'un défenseur de son choix dont il doit assurer la rémunération en tant que de besoin. L'administration doit informer l'intéressé de son droit à communication du dossier ". 6. Aux termes de l'article 16 de la délibération du 22 janvier 2004 susmentionnée : " Le licenciement est notifié à l'intéressé par lettre recommandée avec avis de réception ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre précise le ou les motifs du licenciement et la date à laquelle celui-ci doit intervenir compte tenu des droits à congés annuels restant à courir et de la durée du préavis ". Par cette disposition, l'Assemblée de la Polynésie française a entendu imposer à l'autorité qui prononce une sanction l'obligation de préciser elle-même dans sa décision les griefs qu'elle entend retenir à l'encontre de la personne intéressée, de sorte que cette dernière puisse à la seule lecture de la décision qui lui est notifiée connaître les motifs de la sanction qui la frappe. 7. En l'espèce, la décision n° 7639/PR du 5 octobre 2022 vise expressément la délibération n° 2004-15 APF du 22 janvier 2004 qui fixe les règles relatives au licenciement des agents non titulaires des services, des autorités administratives indépendantes et des établissements publics administratifs de la Polynésie française, ainsi que le rapport d'enquête administrative établi par la direction de la modernisation et des réformes de l'administration (DMRA). Toutefois, s'agissant des faits reprochés à Mme H et justifiant son licenciement, la décision litigieuse se borne à seulement indiquer que le rapport précité " conclut sans ambiguité à des faits susceptibles d'être qualifiés de harcèlement moral à l'égard des personnes placées sous votre responsabilité ". Le rapport sur lequel l'administration fonde sa décision n'est, en tout état de cause, pas annexé en pièce jointe à l'acte litigieux. Dans ces conditions, la requérante est fondée à soutenir que la décision qu'elle conteste est assortie d'une motivation insuffisante et, par suite, illégale. 8. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, Mme H est fondée à demander l'annulation de la décision précitée n° 7639/PR du 5 octobre 2022 par laquelle le président de la Polynésie française a prononcé à son encontre un licenciement pour faute ainsi que, par voie de conséquence, de l'arrêté n° 2036/CM, du même jour, par lequel la même autorité a mis fin à ses fonctions de rapporteur général auprès de l'Autorité polynésienne de la concurrence (APC). En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction : 9. Au regard au motif d'annulation qui précède, l'exécution du présent jugement implique seulement que le président de la Polynésie française procède à la régularisation de la situation administrative de Mme H. Il y a lieu de lui enjoindre de procéder à cette régularisation dans un délai d'un mois suivant la notification du présent jugement. Sur le rejet des demandes de protection fonctionnelle : 10. Aux termes de l'article 14 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, l'Etat reste compétent en Polynésie française en matière de procédure administrative contentieuse. L'article 7 de cette même loi organique prévoit que les dispositions relatives à la procédure administrative contentieuse " sont applicables de plein droit en Polynésie française, sans préjudice de dispositions les adaptant à son organisation particulière ". En revanche, aucune disposition de l'article 14 ne réservant à l'Etat une compétence générale pour édicter les règles de procédure et de forme applicables aux actes administratifs, la Polynésie française est seule compétente pour définir les règles de procédure administrative non contentieuse dans les matières relevant de sa compétence. Les dispositions du code des relations entre le public et l'administration qui définissent désormais les conséquences attachées au silence gardé par l'administration sur une demande, et notamment celles des articles L. 231-1 et D. 231-2 de ce code, ne sont ainsi pas applicables aux matières relevant de la compétence de la Polynésie française. 11. Alors même que l'Etat demeure compétent, y compris dans les domaines de compétence de la Polynésie française, pour assurer un accès au juge lorsque les dispositions réglementant une procédure administrative n'ont pas déterminé les conséquences à tirer du silence gardé par l'administration, afin de garantir le droit à un recours juridictionnel effectif, l'article R. 421-2 du code de justice administrative se borne à prévoir que : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours ". Or, la Polynésie française n'a pas, dans les matières relevant de sa compétence, déterminé les conséquences attachées au silence de l'administration saisie d'une demande. 12. Il découle des exigences attachées au respect du droit constitutionnel au recours une règle générale de procédure selon laquelle, en l'absence de texte réglant les effets du silence gardé pendant plus de deux mois par l'administration sur une demande, un tel silence vaut décision de rejet susceptible de recours. 13. Il ressort des pièces du dossier que Mme H a adressé au président de la Polynésie française, les 10 mars, 6 juillet et 21 octobre 2022, des demandes de protection fonctionnelle aux motifs de harcèlement moral et de dénonciation calomnieuse. Il n'a pas été répondu à ces demandes. Toutefois, la requête dirigée contre ces décisions n'a été enregistrée que le 11 mai 2023, soit après 1'expiration du délai de recours contentieux de deux mois posé par l'article R. 421-2 du code de justice administrative, sans que la requérante puisse utilement y opposer l'absence d'accusé réception de ses demandes mentionnant les voies et délais de recours contre des décisions implicites de rejet susceptibles de naître du silence de l'administration, aucun texte ni principe ne prévoyant une telle règle de procédure administrative applicable aux relations entre la Polynésie française et ses agents, dont fait partie Mme H. Dans ces conditions, ainsi que le font valoir l'Autorité polynésienne de la concurrence et la Polynésie française, la requête est irrecevable en ce qu'elle est tardive et ne peut qu'être rejetée. Sur les frais liés aux litiges : 14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 150 000 F CFP à verser à Mme H au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, en revanche, de faire droit aux conclusions présentées à ce même titre par la Polynésie française. D E C I D E : Article 1er : La décision n° 7639/PR du 5 octobre 2022 par laquelle le président de la Polynésie française a prononcé à l'encontre de Mme H un licenciement ainsi, par voie de conséquence, que l'arrêté n° 2036/CM, du même jour, par lequel la même autorité a mis fin à ses fonctions de rapporteur général auprès de l'Autorité polynésienne de la concurrence (APC), sont annulés. Article 2 : Il est enjoint au président de la Polynésie française de procéder à la régularisation de la situation administrative de Mme H dans un délai d'un mois suivant la notification du présent jugement. Article 3 : La Polynésie française versera à Mme H la somme de 150 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête, enregistrée sous le n° 2221007, est rejeté. Article 5 : La requête de Mme H, présentée dans le cadre de l'instance n° 2300179, est rejetée. Article 6 : Les conclusions présentées par la Polynésie française dans les deux instances susvisées tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées. Article 7 : Le présent jugement sera notifié à Mme I H, à l'Autorité polynésienne de la concurrence et à la Polynésie française. Délibéré après l'audience du 26 septembre 2023, à laquelle siégeaient : M. Devillers, président, M. Graboy-Grobesco, premier conseiller, M. Boumendjel, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2023. Le rapporteur, A. Graboy-Grobesco Le président, P. Devillers La greffière, D. Germain La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition, Un greffier, N° 2201007, 2300179 |